Inflation ou déflation ? Ni l’une ni l’autre

L’inflation négative a déjà fait baisser certains salaires. L’évolution future des prix suscite les pronostics les plus contradictoires : certains veulent nous faire peur avec le spectre de la déflation ; d’autres essaient de nous effrayer en prédisant une hyperinflation d’ici à quelques années. Qu’en est-il ?

Commençons par la déflation. Celle-ci est généralement définie comme étant une baisse durable du niveau général des prix. On en connaît peu d’exemples depuis le début du siècle dernier, mis à part la grande dépression des années 1930 et le cas du Japon depuis le début des années 1990.

Lors de la Grande Dépression, un cycle infernal s’était développé en raison notamment des mauvaises réactions des autorités au moment du déclenchement de la crise. Voyant leur rentabilité fortement atteinte, les entreprises avaient diminué les salaires de leur personnel pour améliorer leur compétitivité. Le résultat en fut désastreux sur le plan macroéconomique dans la mesure où la baisse des revenus avait entraîné une baisse des dépenses des ménages, ce qui a eu comme effet immédiat un aggravement de la crise.

De leur côté, les gouvernements, voyant leurs déficits budgétaires gonfler en raison de la baisse des recettes et de l’augmentation des dépenses, avaient pris les mesures que leur semblait exiger l’orthodoxie avec un impact tout aussi négatif sur l’activité économique. Les autorités monétaires, quant à elles, avaient laissé se contracter la masse monétaire. A cela s’étaient encore ajoutées des mesures protectionnistes finissant par paralyser le commerce extérieur.

Devant l’effondrement de la demande, les prix s’étaient mis à baisser. Ce qui n’aurait pu être qu’une récession plus ou moins grave s’était transformé en une dépression suite aux ravages provoqués par la déflation : quand les prix baissent, les acheteurs reportent autant que possible leurs achats, les usines ne reconstituent plus leurs stocks. De leur côté, les entreprises sont souvent obligées de vendre en dessous de leurs coûts de production, ce qui affecte leurs bénéfices et par conséquent leurs investissements. Les débiteurs, de leur côté, peinent à rembourser leurs dettes, la valeur réelle de celles-ci ayant tendance à augmenter, ce qui finit par mettre leurs créanciers en difficulté. Les politiques monétaires et les baisses de taux d’intérêt n’ont plus l’effet escompté, car les banques centrales ont beau créer de la monnaie, celle-ci est thésaurisée et ne circule plus. C’est ce que l’illustre économiste britannique Keynes appelait la liquidity trap (la trappe à liquidité).

Doit-on craindre un pareil scénario à la suite de la profonde crise financière dans laquelle nous nous trouvons aujourd’hui ?

S’il est vrai qu’au mois de mai 2009, pour la première fois, on a enregistré une baisse de l’indice des prix par rapport au mois correspondant de l’année précédente, un tel scénario demeure assez peu probable. Ce qui doit être de nature à nous rassurer, c’est que la plupart des gouvernements et des banques centrales ont tiré les leçons de la grande dépression des années 1930 et de la malheureuse expérience japonaise.

Montants gigantesques

Les taux d’intérêt des banques centrales sont maintenant proches de zéro et celles-ci ont pris des mesures exceptionnelles pour éviter toute pénurie de liquidité à la suite de la paralysie du marché interbancaire à l’automne 2008.

Les gouvernements, quant à eux, ont mis en place des programmes ambitieux de dépenses publiques afin d’éviter un effondrement de la demande. Ils ont également injecté des capitaux importants dans les banques pour leur permettre de continuer à accorder des prêts aux agents économiques. Les montants en question sont gigantesques ; ils dépassent tout ce qu’on aurait pu imaginer jusque-là.

Ces mouvements, précisément, font craindre à d’autres une accélération de l’inflation, voire une hyperinflation. Lorsque l’optimisme sera revenu, les énormes liquidités injectées dans l’économie pourraient être remises dans le circuit et gonfler la demande ainsi que les prix.

Le mouvement de hausse des prix pourrait bien être encore dopé par le renchérissement des matières premières et de l’énergie. On sait à quel point ces prix sont dépendants du cycle économique. Déjà aujourd’hui, le moindre signal de reprise de la demande ou de raréfaction de l’offre fait bondir le prix du pétrole. Qu’en sera-t-il lorsque la reprise sera vraiment confirmée ?

De nouveau, un tel scénario, bien que n’étant pas totalement impossible, doit être considéré comme très peu probable dans un avenir prévisible. La récession est en effet loin d’être terminée. La chute brutale de la demande n’a pas encore épuisé ses effets dévastateurs sur l’ensemble de l’économie. Le chômage devrait encore s’aggraver pendant quelques mois, ce qui déprimera encore longtemps la consommation.

Mais beaucoup dépendra ici des politiques qui seront suivies. Lorsque les premiers signes de reprise apparaîtront, il faudra que les autorités aient le courage de mettre fin aux mesures exceptionnelles adoptées pour combattre la crise. Les banques centrales l’ont, semble-t-il, bien compris et elles annoncent déjà maintenant qu’elles feront le nécessaire en temps voulu pour empêcher le retour de l’inflation. Pour ce qui est des politiques budgétaires, c’est moins évident. Car il faudra beaucoup de courage aux hommes politiques pour en revenir à la rigueur budgétaire à un moment où les attentes des citoyens risquent d’être particulièrement grandes.

JACQUES ZEEGERS

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