Indépendants, oui. Mais libres ?

Aux Burundais, le président Nkurunziza rappelle les affres du joug colonial pour mieux masquer son autoritarisme. Malgré le contexte, mission sans faute du prince Philippe à Bujumbura.

Un demi-siècle après les indépendances, le souvenir de la colonisation ravive-t-il un traumatisme légitime ou sert-il de paravent aux manquements des dirigeants en place ? C’est la question qui s’est immiscée dans les festivités du 50e anniversaire du Burundi, à Bujumbura, et dans la quasi-non- célébration de l’indépendance du Rwanda, à Kigali (voir en page 12).

Le premier séjour en Afrique centrale du prince Philippe s’est officiellement soldé par un sans-faute. La présence d’un membre de la famille royale pouvait légitimement faire débat dans un Burundi théâtre, depuis quelques mois, de la dérive autocratique d’un ancien chef rebelle devenu président, Pierre Nkurunziza (voir Le Vif/L’Express du 29 juin). Le gouvernement belge avait trouvé la parade et prévenu les critiques en déléguant non le roi, comme à Kinshasa en 2010, officiellement en raison d’un état de santé peu compatible avec ce voyage, mais le prince héritier. Avec la princesse Mathilde, les Burundais n’y perdaient pas au change en termes de glamour.

De toute façon, le prince Philippe n’a pas eu à se justifier. C’est le ministre des Affaires étrangères Didier Reynders qui s’est acquitté de la tâche en expliquant en substance qu’au vu de la souffrance de la population, abandonner le Burundi aujourd’hui équivaudrait à abandonner les Burundais à leur sort. Interrogé au Sénat la semaine passée, le ministre de la Coopération au développement Paul Magnette, également présent à Bujumbura, s’était déclaré conscient que  » la stratégie de bonne gouvernance est une exigence qui doit être consolidée et constamment suivie et évaluée « .

Bastonnés et humiliés

Stratège, le président burundais s’est gardé de prendre le risque de froisser les susceptibilités belges le jour des festivités. C’est avant l’arrivée du couple princier qu’il a tenu à régler ses comptes avec l’ancien colonisateur lors d’un discours radiotélévisé diffusé samedi. Né un an après l’indépendance, Pierre Nkurunziza n’a pas été tendre. Il a même eu les accents d’un Patrice Lumumba, le premier Premier ministre du Congo-Kinshasa, quand il a déclaré qu’à l’époque des Belges les Burundais  » ont été considérés comme des « bêtes sans intelligence », ont été bastonnés, et les parents ont été exposés à des humiliations en recevant des coups de lanières devant leurs enfants. Les jeunes filles ont été violées en présence de leurs parents, surtout pendant la guerre qui opposait les Belges et les Allemands « .

La critique paraît d’autant plus fondée que le président n’a éludé ni les aspects  » positifs  » de la colonisation (écoles, hôpitaux, variétés de cultures…) ni la responsabilité des Burundais qui, après l’indépendance,  » ont travaillé comme des colons, et au lieu de combattre la division [NDLR : instillée par les Belges], l’ont encouragée « . Le discours de Pierre Nkurunziza questionne en fait plus le Burundi d’aujourd’hui que le passé colonial.

En insistant sur les erreurs d’hier, il a détourné l’attention sur les errements d’aujourd’hui. Sa foi exprimée en  » une démocratie pluraliste comme système politique répondant le mieux aux aspirations du Burundi et des Burundais  » résonne comme une déclaration d’intention factice en regard de la répression exercée à l’encontre des opposants et des journalistes depuis les élections législatives contestées de 2010. En ce sens, le Burundi suit le  » modèle  » rwandais sans le boom économique. Mais le président Paul Kagame, lui, s’est définitivement émancipé de l’  » héritage colonial  » pour revendiquer un  » développement à la rwandaise « , qui s’accommode tout de même de l’imposante aide des Etats-Unis et du Royaume-Uni.

GÉRALD PAPY

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