» Imaginons un pacte de stabilité belge « 

Pour Olivier Maingain, le débat sur la loi de financement est  » révélateur  » d’une  » logique infernale  » voulue par les partis flamands.  » Celui qui a la maîtrise des recettes dirigera le pays « , assure le président du FDF, qui se dit néanmoins favorable à l’introduction de mécanismes coercitifs pour responsabiliser les Régions.

Le Vif/ L’Express : L’accord conclu le mardi 24 août sur une révision de la loi de financement prévoit une série de balises : les mécanismes de solidarité seront maintenus, il n’y aura pas de concurrence fiscale entre les entités, l’autorité fédérale sera renforcée… Vous êtes rassuré ?

> Olivier Maingain : La loi de financement est une matière éminemment technique. Il est difficile de se prononcer tant que les détails ne sont pas connus. Mais dire qu’on donne plus d’autonomie fiscale aux Régions tout en prétendant sauvegarder les mécanismes de solidarité, c’est du mensonge. Car, inévitablement, plus on accentue l’autonomie fiscale, plus on met à mal la solidarité. Il faudra bien sûr examiner quel degré d’autonomie on donne aux Régions. Mais la dynamique est toujours la même : les francophones s’arc-boutent sur des acquis du passé, la N-VA et le CD&V imposent des évolutions nouvelles.

Pourquoi la révision de la loi de financement est-elle, selon vous, à ce point cruciale ?

> C’est un débat révélateur. Parce que la loi de financement, aujourd’hui, consacre une logique selon laquelle c’est encore le fédéral qui donne les moyens budgétaires aux entités fédérées. Autrement dit : les mécanismes de cette loi ne peuvent être modifiés sans l’accord des francophones. Mais que veulent les partis flamands les plus nationalistes ? Rendre le financement de l’Etat belge dépendant de la bonne volonté de ce qu’ils appellent, eux, les Etats confédérés, c’est-à-dire la Flandre et la Wallonie. Cela change tout ! Accepter ça, c’est permettre à la Flandre d’exercer demain un chantage continuel sur le financement des mécanismes de solidarité. Car la solidarité ne passe pas seulement par la sécurité sociale, elle passe aussi par la loi de financement. Je crois que c’est là le c£ur de la négociation.

Les partis flamands, mais aussi certains universitaires francophones, insistent sur la nécessité de responsabiliser les Régions et les Communautés. Sur le principe, vous êtes d’accord ?

> On tente de nous faire croire qu’aucune exigence de responsabilité ne s’applique pour l’instant aux Régions. C’est faux ! Les entités fédérées sont tenues de participer au pacte de stabilité budgétaire que l’Union européenne impose à tous les Etats membres. Elles doivent respecter les convergences économiques et monétaires de la zone euro. Nous ne sommes pas dans une logique d’électron libre. Chaque année, il y a en Belgique une conférence interministérielle qui réunit des représentants de l’Etat fédéral et des entités fédérées, afin de déterminer la part de chacun dans les efforts d’assainissement budgétaire.

Pourquoi ces réticences ? Elio Di Rupo l’a lui-même annoncé : la réforme de la loi de financement ne peut en aucun cas appauvrir structurellement une partie de la population belge.

> Si les propos de Di Rupo ont un sens, on reste quasiment dans la logique des lois de financement actuelles. Je n’imagine pas que Bart De Wever et le CD&V parlent de responsabilisation dans un autre but que celui de mettre en difficulté la Région bruxelloise et la Communauté française. Soyons clairs : ils ont décidé d’acheter Bruxelles ! Si, demain, la famille qui inscrit ses enfants dans une école flamande y gagne financièrement, il ne faut pas vous faire un dessin pour savoir les conséquences qui en résulteront. Et je ne parle pas seulement des allocations familiales. A un moment, on a laissé entendre qu’on ne toucherait pas aux allocations familiales, mais qu’on donnerait la possibilité aux Communautés d’octroyer des allocations de scolarité, et qu’elles pourraient en déterminer le montant. L’effet serait le même. Tout système qui permet à la Flandre de mener une politique concurrentielle à Bruxelles conduit à terme à un basculement vers la Flandre d’une partie de la population bruxelloise.

En 2007, vous avez participé aux négociations pour la formation du gouvernement orange bleu. A l’époque, les exigences flamandes pour revoir la loi de financement étaient-elles si pressantes ?

> Pas du tout ! En 2007, il y avait des demandes significatives de transferts de compétences, mais pas dans des matières qui touchent à la sécurité sociale. On ne parlait pas du tout de communautariser les allocations familiales ou les soins de santé. Il y a bien eu une tentative, mais elle a vite été arrêtée. Même la N-VA, à l’époque, n’a pas insisté. Concernant la loi de financement, la demande flamande n’est venue que par la suite. Nous avons eu droit, au printemps 2008, à un exposé du chef de cabinet de Kris Peeters (CD&V). Il voulait déjà nous faire accepter un renversement de la logique qui sous-tend la loi de financement, c’est-à-dire  » qui donne les moyens à qui « . Soyons clairs : l’entité qui perçoit les recettes a la maîtrise de ce qu’elle accepte de financer ou pas.

Il semblerait pourtant qu’une régionalisation pure et simple de l’impôt sur les personnes physiques (IPP) ne soit plus à l’ordre du jour…

> Jamais la N-VA n’a sans doute estimé que l’IPP pouvait être totalement régionalisé cette fois-ci. Mais la dynamique est enclenchée. Et les francophones, apparemment, se sont engagés dedans. Le déroulement va se poursuivre… Ne soyons pas naïfs : quand la Flandre aura des masses budgétaires à affecter, elle les affectera à des politiques qui auront des répercussions à Bruxelles. Et nous ne pourrons pas soutenir la concurrence. Celui qui a la maîtrise des recettes dirigera le pays. Moi, je m’étonne de l’absence actuelle de contreparties fortes face aux exigences flamandes. Plus personne ne parle de l’élargissement de Bruxelles…

Le principe d’un refinancement de la Région bruxelloise, par contre, semble admis.

> Accepter la scission de BHV en échange d’argent pour Bruxelles, ce serait une vision à courte vue. D’autant que, malgré la crise, Bruxelles connaît une croissance de ses recettes propres. Ces recettes ont crû de plusieurs centaines de millions d’euros ces dernières années, notamment grâce au boom de l’immobilier à Bruxelles. Comme chacun le sait, les recettes de l’immobilier sont conjoncturelles. Il aurait fallu profiter des bonnes années pour thésauriser, en prévision des moments moins favorables. Au lieu de ça, le gouvernement de Charles Picqué a tout dépensé, notamment par des engagements massifs dans la fonction publique. C’est un manque de prévoyance total.

N’est-ce pas là l’illustration parfaite de la nécessité de responsabiliser les Régions ?

> Totalement ! Mais c’est une question de responsabilité politique. A chacun de gérer son budget de façon responsable. Cela dit, le pouvoir fédéral devrait avoir une capacité coercitive vis-à-vis des entités fédérées. Je suis d’accord pour que l’Etat fédéral, à un moment donné, mette de l’ordre… Cela supposera une négociation entre francophones et Flamands. Mais, au moins, ce ne sera pas une vision unilatérale qui s’imposera.

A quoi pourraient ressembler ces mécanismes coercitifs ?

> On devrait instaurer pour les entités fédérées, en Belgique, un mécanisme comparable à celui que l’Union européenne impose à ses Etats membres.

Créer une sorte de Pacte de stabilité à la belge, en d’autres mots ?

> Les Régions doivent déjà appliquer le Pacte de stabilité européen, mais on pourrait l’accentuer. Selon certaines modalités, la Cour des comptes pourrait ainsi devenir un organe d’arbitrage budgétaire. Elle aurait la capacité, par des moyens contraignants, d’amener les entités fédérées à respecter certains critères d’équilibre budgétaire. Je ne l’exclus pas. Mais les règles d’orthodoxie budgétaire seraient alors préétablies dans la loi fédérale, et c’est une instance indépendante qui devrait veiller à leur application. Cette instance obligerait chaque Région à rentrer un plan d’équilibre budgétaire à cinq ans, et aurait la capacité de mettre un coup d’arrêt en cas de dérapage budgétaire.

ENTRETIEN : FRANçOIS BRABANT

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