» Ils n’ont jamais été reconnus comme victimes « 

Le Vif/L’Express : Comment vous est venue l’idée de partir à la recherche des enfants du Lebensborn ?

Boris Thiolay : En 2008, lors d’un reportage en Allemagne, j’ai découvert, à Bad Arolsen, dans le Land de Hesse, les archives de la Croix-Rouge, désormais ouvertes aux historiens et aux journalistes. Dans six bâtiments d’une ancienne caserne de la Gestapo sont rassemblées des masses de documents sur les victimes du régime nazi : déportés, prisonniers politiques, familles séparées, enfants déplacés… Parmi les feuillets de papier jaunis par le temps figurent les archives de l’organisation Lebensborn, du moins celles qui subsistent. Car l’essentiel a été détruit à la hâte dans les premiers jours de mai 1945, lors de l’agonie du Troisième Reich.

Que penser de ces nurseries très spéciales ?

Certains ont voulu y voir des  » haras humains  » ou même des  » bordels SS « . Cette imagerie est sans doute liée à notre fascination pour le Mal. La réalité est ailleurs. C’est un mélange d’utopie monstrueuse et de petits arrangements pour survivre à une époque sans merci. Au Lebensborn, les jeunes femmes peuvent accoucher dans l’anonymat, bénéficier d’un encadrement médical de qualité et toucher une pension. De plus, une attestation d’aryanité est délivrée au nouveau-né, censée lui ouvrir plus tard les portes d’écoles réservées, du parti, de l’armée, voire de la SS.

Vous avez recueilli les témoignages de plusieurs personnes nées dans les maternités SS belge et française. Evoquent-elles volontiers ce passé ?

Ce sont des témoins à part. Certains ne connaissent pas leurs véritables origines. Ou ne veulent pas les connaître. Ceux qui savent ont dû essayer de reconstruire leur prime enfance. Mais ils se sont heurtés au silence : mères naturelles honteuses, parents adoptifs non avertis, archives allemandes détruites ou difficilement accessibles… Au fil des recherches, j’ai recensé 46 noms d’enfants nés à Wégimont et à Lamorlaye, sur près de 70 naissances avérées. Quelques-uns étaient décédés, plusieurs ont préféré ne pas revenir sur leur passé, d’autres n’ont pu être localisés. Et ceux qui ont accepté de me raconter leur histoire avaient de nombreux trous de mémoire.

Les autorités se sont-elles préoccupées de ce qui leur est arrivé ?

Jamais. Dans la cohorte des victimes du nazisme, les enfants des maternités SS comptent parmi les derniers à n’avoir pas été reconnus comme tels. Pas une déclaration officielle, pas un geste ne les légitime. Les autorités allemandes ne pourraient-elles pas se pencher un jour sur la question ?

ENTRETIEN : OLIVIER ROGEAU

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