Ils aiment nos impôts

La Belgique est un paradis fiscal très en vogue… pour des Français fortunés. Chaque année, ils sont plusieurs milliers à découvrir nos charmes insoupçonnés

Une poignée de Français, dotés d’un portefeuille particulièrement bien garni, s’installent chaque année en Belgique francophone. Ils affirment apprécier le caractère très international du pays, la qualité de vie, la possibilité de s’exprimer dans leur langue, le Thalys… Et puis, ils raffolent de notre régime d’imposition. Rentiers, héritiers ou, plus rares depuis l’effondrement de la « nouvelle économie », nouveaux riches, la Belgique est, pour ces grosses fortunes hexagonales, un véritable paradis fiscal, au même titre que la Grande-Bretagne, l’Espagne et certains cantons suisses. A condition, toutefois, de ne pas s’expatrier ici pour des raisons professionnelles : la taxation sur les revenus du travail est, globalement, équivalente à celle pratiquée outre-Quiévrain.

Les raisons fiscales qui attirent ces Français ne manquent pas : absence d’impôt sur les grandes fortunes (qui, en France, est destiné à financer le revenu minimum d’insertion), plus-values boursières non taxables, régime très avantageux lorsqu’il s’agit de dons de biens meubles ou d’argent… Voilà de quoi inciter quelques milliers de voisins à emménager chaque année, au moins temporairement, dans les quartiers chics de Bruxelles, mais aussi dans le Tournaisis, pour les  » nordistes « . Il leur est d’ailleurs aisé d’y acquérir une luxueuse demeure… pour le prix d’un appartement parisien. Mais les bonnes affaires commencent à se faire rares.

Combien sont-ils, ces discrets bénéficiaires de la concurrence fiscale belgo-française ? Environ 5 000 selon l’hebdomadaire Business Week, 2 000, chaque année, d’après nos calculs, sur la base d’éléments figurant dans un récent rapport de la Direction générale française des impôts.  » Le phénomène est surtout important en termes de montants en jeu « , explique l’avocate Muriel Igalson. Selon certaines banques, les montants qui auraient ainsi échappé au fisc français dépasseraient déjà les 15 milliards d’euros.

Ce phénomène a pris une certaine ampleur médiatique ces derniers mois. Pourtant, le flux migratoire fiscal actuel n’a rien de neuf.  » Le mouvement français, qui est beaucoup moins marginal que celui des Allemands dans les cantons de l’Est, prend de l’ampleur depuis cinq ou six ans, notamment grâce au bouche-à-oreille parisien, confirme un conseiller fiscal belge, qui compte quelques grosses pointures de l’industrie française parmi ses clients. Avant eux, on a vu le même phénomène se produire avec les Suédois, puis les Hollandais, installés au nord d’Anvers. « 

Lointaine harmonisation

La domiciliation en Belgique est un passage obligé pour toutes ces immigrations fiscales. « Je conseille toujours à mes clients de résider au minimum une année civile complète en Belgique pour réaliser les opérations fiscales qu’ils souhaitent, qu’il s’agisse par exemple de la cession d’une société ou d’une affaire d’héritage, explique René Philips (KPMG). Mais, pendant cette année, pour que le déménagement soit crédible, il faut impérativement habiter ici.  » C’est que le fisc belge, sollicité par son homologue français, enquête régulièrement.  » Il vérifie que les contribuables habitent effectivement là où ils le prétendent, confie un avocat expérimenté. Il vérifie les factures d’électricité, de téléphone, interrogent les concierges… « 

L’administration française des impôts parviendra-t-elle à freiner les ardeurs des prochains candidats à l’exil ? Pas sûr. Elle a durci le ton depuis 1999, en leur imposant de compléter un quitus fiscal, un document dans lequel ils expliquent où ils partent et, surtout, avec quel patrimoine dans les valises. Mais rien n’y a fait.  » Pour être beaucoup plus efficace, explique Philips, la France devrait renégocier la Convention fiscale qu’elle a passée avec la Belgique. Mais celle-ci n’a aucun intérêt à revoir le système. Si la France y parvient malgré tout, changer les lois en vigueur prendra encore de nombreuses années.  » Quant à une harmonisation fiscale européenne, elle a beau être inéluctable à terme, elle n’en prendra pas moins encore du temps. Beaucoup de temps. Il est probable qu’à ce moment la Belgique fiscale sera encore un peu plus régionalisée. Ouverte, donc, à davantage de concurrence interne pour attirer nos richissimes voisins.

Xavier Degraux

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