Illustration 1: Chez les hommes, le taux de testostérone se situe entre 300 et 900 nanogrammes par décilitre, tandis que chez les femmes, il oscille entre 15 et 75 ; chez les athlètes féminines, il est compris entre 50 et 150 et chez les femmes ayant une production accrue entre 300 et 500.

Il ou elle ? Il et elle…

Depuis le 1er novembre, la Fédération internationale d’athlétisme (IAAF) applique une nouvelle directive qui stipule que les hommes ne pourront concourir que contre des hommes et les femmes que contre des femmes. Logique ? Pas forcément…

Dès qu’une femme présentant de multiples caractéristiques masculines commence à gagner de nombreuses compétitions, les commentaires ironiques vont bon train… Sur son apparence, ses cheveux, ses muscles proéminents, ses larges épaules, etc.  » Ce n’est pas une vraie femme « , entend-on dire.

En 2013, la sprinteuse indienne, Dutee Chand, alors âgée de 18 ans, a été exclue de toutes les compétitions par sa fédération, en raison d’un niveau de testostérone jugé trop élevé. Chand avait réalisé des temps record sur les 60, 100, 200 et 4 x 100 mètres et remporté deux médailles d’or. Elle a contesté avec succès son exclusion auprès du Tribunal Arbitral du Sport (TAS) de Lausanne, mais a ainsi manqué de grandes compétitions internationales.

La même mésaventure risque à présent d’arriver à l’athlète sud-africaine, Caster Semenya, double championne olympique du 800 mètres, suite à l’adoption de la nouvelle directive par la Fédération internationale d’athlétisme. Mais la jeune femme a d’ores et déjà saisi le TAS pour contester ce règlement.

Une directive inappropriée

Il y a de fortes chances que Semenya obtienne gain de cause, car dès le début, la nouvelle directive a suscité bon nombre de critiques, bien qu’elle ait été développée sur la base d’études scientifiques. Mais ces recherches ont été menées de manière inappropriée et sont fondées sur beaucoup de fausses informations, rendant impossible l’aboutissement à des conclusions sérieuses. L’IAAF a néanmoins pris des décisions sur cette base et les conclusions ont même été largement étendues. Il a par exemple été question d’avantages dans les sports de lancer, alors que la directive de l’IAAF ne porte que sur les sports de course. Dans le cadre de ces sports sont stipulées des distances sur lesquelles Semenya excelle, mais qui n’apparaissent pas dans l’étude, comme le 1500 mètres.  » L’IAAF vise-elle des athlètes comme Semenya ? Je le crains « , a déclaré le professeur Luc Baeyens, gynécologue du sport à l’hôpital universitaire Brugmann à Bruxelles, qui suit depuis des années de nombreuses sportives de haut niveau.

La variationest tellement grande qu’il est impossible de tracer une frontière équitable entre ceux qui peuvent ou ne peuvent pas participer à la compétition. » Luc Baeyens, gynécologUE

Taux de testostérone

Luc Baeyens comprend toutefois l’inquiétude que peuvent susciter les femmes à la stature très masculine qui brillent dans des compétitions féminines. En raison de leur taux de testostérone 10 à 20 fois plus élevé, les hommes ont une stature beaucoup plus puissante que les femmes, avec des muscles plus développés, un coeur plus gros, des poumons plus larges, davantage de globules rouges pour assurer le transport de l’oxygène et une morphologie plus puissante (voir illustration 1). Difficile à concurrencer en tant que femme. Le Pr Baeyens n’est toutefois pas en faveur de la nouvelle directive et rejoint d’ailleurs ainsi pleinement les critiques internationales.

La crainte de voir des hommes se déguiser en femmes pour rafler des prix dans les compétitions féminines est aussi vieille que ces concours eux-mêmes, bien que ce soit un phénomène extrêmement rare. Dans les années 1960, l’inquiétude quant à l’éventuelle participation dans les compétitions internationales d’hommes à l’aspect féminin venant de l’ancien bloc de l’Est a augmenté à tel point qu’en 1966, le Comité international olympique a décidé d’instaurer des contrôles de genre systématiques.

Des tests à nouveau voués à l’échec

Étant donné que les athlètes suspects devaient apparaître nus devant un groupe de médecins, cela a suscité beaucoup de critiques et en 1968, le Comité international olympique a décidé de procéder à des contrôles génétiques moins humiliants. Aucun homme n’a été surpris – toutes les femmes étaient bel et bien des femmes – mais les tests ont néanmoins révélé différentes variations chromosomiques, ce qui a donné naissance à de nouveaux problèmes. Il est en effet devenu impossible d’attribuer un genre défini aux athlètes car certaines femmes présentaient des caractéristiques des deux sexes : par exemple, un profil chromosomique mâle et un corps féminin avec des seins et un vagin. Une telle constatation a donné du fil à retordre à l’IAAF car les connaissances nécessaires pour expliquer ces différences étaient insuffisantes ; de plus, les tests ont été contestés avec succès par certains athlètes exclus. C’est pourquoi, ils ont été supprimés en 1999, mais le problème n’a bien sûr pas été résolu pour autant.

Lorsqu’en 2008, Caster Semanya a pulvérisé les records du 800 et 1500 mètres et que l’IAAF a jugé utile d’examiner s’il n’y avait pas eu dopage ou fraude, la question a refait surface. Rien n’a été reproché à Semenya, qui a pu conserver ses titres, mais en 2011, l’IAAF a publié une directive sur les conditions de compétition pour les femmes présentant un taux de testostérone élevé (6). Cela a créé beaucoup de tumulte, en particulier en Afrique du Sud. Deux ans plus tard, la directive a été contestée avec succès par Dutee Chand et en avril de cette année a été publiée une version modifiée, mais hélas toujours jugée inadéquate par de nombreux experts.

Une multitude de variations

Le Pr Luc Baeyens définit la base de la problématique actuelle comme une perturbation du développement sexuel, Disorders of sexual development (DSD) en anglais. Cela se traduit globalement de trois manières, comme il l’explique :  » Certains hommes sont moins sensibles aux androgènes ; cela peut varier d’une petite insensibilité à une insensibilité totale (environ 400 variations génétiques). Ce dernier groupe d’hommes se développe en apparence comme de vraies femmes, à la différence qu’ils n’ont ni utérus ni ovaires et ne peuvent pas avoir d’enfant. Il s’agit souvent de grandes et jolies femmes, avec des seins bien ronds et pas de pilosité. Par ailleurs, certaines femmes produisent beaucoup d’hormones mâles, pour différentes raisons, congénitales ou non, leur donnant une apparence très masculine. Et il existe un troisième groupe composé d’hermaphrodites présentant une combinaison de chromosomes mâles et femelles (XX / XY).  »

 » La variation au sein de ces groupes est tellement grande qu’il est impossible de tracer une frontière équitable entre ceux qui peuvent ou ne peuvent pas participer à la compétition « , poursuit le spécialiste, mais il soutient  » ses  » filles, qui n’y sont pour rien.  » Je suis qui je suis « , déclarent à juste titre ces femmes. Elles peuvent en effet être fières du corps avec lequel elles sont nées. Elles ressemblent à des femmes et ont été éduquées comme telles. On ne peut en rien les blâmer car il n’est nullement question de dopage ou de situations répréhensibles, et leurs performances sont également le résultat d’années d’entraînement et de travail acharné.

Au-delà de la génétique

Mais ce n’est pas tout, précise le Pr Baeyens qui soulève également la question des transgenres, qui se distingue toutefois de la problématique génétique, en dépit d’un certain chevauchement. Il fait référence aux nombreuses demandes d’harmonisation de l’enregistrement du sexe et l’identité de genre, qui ont fortement augmenté depuis la modification de la loi visant la simplification de cette procédure. Une athlète qui était autrefois un homme peut par conséquent pratiquer le sport chez les femmes et vice-versa.

L’IAAF a prévu des règles qui devraient, selon elle, assurer une bonne gestion de la situation. Les femmes peuvent accéder au sexe masculin et à la compétition correspondante sans restriction. Il leur suffit de demander un certificat médical pour le traitement par testostérone afin d’éviter les problèmes avec la législation sur le dopage. Leur taux de testostérone doit évidemment rester en dessous de la norme prescrite pour les hommes. Mais Luc Baeyens précise très justement :  » Quand on voit jusqu’à quel niveau ils peuvent grimper et à quel point ils varient, il y a de quoi se poser des questions.  »

Mauvaises motivations

À l’inverse, un homme qui choisit une identité de genre féminine et accède à la compétition chez les femmes doit satisfaire à un éventail de conditions. Autrefois, ils devaient même être castrés, mais cette exigence n’est heureusement plus d’application. La contrainte principale consiste à suivre un traitement pour que leur taux de testostérone soit inférieur à un certain seuil. Cela entraîne certains effets, mais toujours est-il que la personne conserve un corps masculin, qui s’est développé au plus jeune âge.  » Un homme ne devient pas une femme en avalant une pilule. Ce sont des sottises ! , souligne le Pr Baeyens. Les hommes qui franchissent le pas conservent leur squelette masculin, qui est par exemple dix fois plus résistant aux fractures de stress que celui des femmes. Cette moindre vulnérabilité engendre une différence significative dans la capacité d’entraînement. De plus, ces hommes ne souffriront jamais de règles, période durant laquelle les prestations des femmes sont moins bonnes. Leur masse musculaire restera aussi toujours plus importante et plus facile à développer. Autant d’avantages que les femmes ne voient pas d’un très bon oeil.  »

Selon Luc Baeyens, nous devons également tenir compte du fait qu’il y a désormais un risque de voir des athlètes masculins passer volontairement du côté féminin pour y décrocher de meilleurs résultats. Les pays sont en effet libres d’adapter leur législation comme bon leur semble, ce qui risque d’engendrer un certain chaos.

On ignore quelle tournure les choses vont prendre, mais le Pr Luc Baeyens craint pour l’avenir avec des athlètes génétiquement modifiés. On peut le comprendre ! La médecine expérimente beaucoup de corrections de mutations génétiques défavorables dans les embryons humains. Sans doute avec les meilleures intentions. Mais si cela fonctionne pour prévenir des maladies et des troubles, cette technologie sera également utilisée pour créer des super athlètes. Cela ne fait aucun doute !

Références www.bodytalk.be

LA sud-africaine Caster Semenya aux Championnats du Monde IAAF 2017 au London Stadium.
LA sud-africaine Caster Semenya aux Championnats du Monde IAAF 2017 au London Stadium.© BELGAIMAGE
ANDREAS  Krieger (née HEIDI Krieger) remporte  le lancer du poids durant les  championnats d'Europe d'athlétisme 1986.
ANDREAS Krieger (née HEIDI Krieger) remporte le lancer du poids durant les championnats d’Europe d’athlétisme 1986.© BELGA

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