» Il n’y a rien de plus antisocial que la dette publique « 

Le 29 mai, la Commission européenne dévoilera ses  » recommandations pays « , feuille de route des réformes désormais adressée à chaque Etat au nom d’une plus grande convergence de l’Union économique et monétaire. Le président Barroso défend la politique suivie :  » Si les gouvernements n’avaient pas réduit leurs dépenses, la situation serait bien pire. « 

Le Vif/L’Express : La Commission se montre bienveillante à l’égard de la France, qui ne respecte pas ses engagements budgétaires. Pourquoi cette mansuétude ? Afin d’obtenir le soutien de Paris pour un troisième mandat ou pour remplacer Herman Van Rompuy à la présidence de l’Union ?

José Manuel Barroso : Non, rien de cela. Nous sommes objectifs avec la France comme avec tous les pays. Nous ne ferons de cadeau à personne. Nous nous concentrons plutôt sur le déficit structurel que nominal, c’est-à-dire que nous tenons compte du cycle économique et des réformes. Le retour de la croissance en France se fait attendre, ce qui a des implications sur les finances publiques. Ramener le déficit sous 3 % du PIB en 2014 nécessiterait un effort bien plus important que ce qui est actuellement envisagé. Compte tenu de la situation, il serait raisonnable d’accorder à la France un délai de deux ans pour ramener son déficit sous 3 % en 2015 au plus tard.

Les réformes structurelles vous paraissent bien engagées ?

Certaines commencent à l’être, d’autres sont annoncées et ces engagements nous paraissent sincères. Réforme du marché du travail adoptée par le Parlement, même s’il faut maintenant mener à bien l’exécution, libéralisation de l’énergie et du rail… Désormais, Paris est conscient qu’il faut aller de l’avant pour résoudre les problèmes de compétitivité en Europe. En vingt ans, la France a perdu des parts du marché mondial, plus que la moyenne européenne. Elle n’est pas la seule : le Royaume-Uni et l’Italie sont aussi dans ce cas.

Angela Merkel affirme que les salaires minimaux trop élevés provoquent le chômage. Pensez-vous que la France, clairement visée, devrait tenir compte de ce jugement ?

Le coût du travail est une des clés de la compétitivité. D’ailleurs, les pays où la dette s’est envolée sont ceux où le coût unitaire du travail a le plus augmenté. La Commission estime que les hausses salariales doivent tenir compte de la productivité. Mais cette question des coûts n’est qu’un sujet parmi d’autres, comme la recherche de la qualité, la culture de l’innovation, la stabilité politique et sociale, la culture civique…

Quand vous vous regardez dans un miroir, vous dites-vous que la Commission est allée trop loin en préconisant des politiques d’austérité ?

Non. On a caricaturé nos positions. En Allemagne, la presse présente la Commission comme la grande dépensière : je suis le Portugais qui dépense l’argent des autres. En Grèce, nous serions les ultras de l’austérité… Notre application du pacte de stabilité et de croissance a été judicieuse. Nous avons proposé une extension des délais quand nous l’avons estimée possible. Si les gouvernements européens n’avaient pas, dès le début de la crise, montré aux marchés leur volonté et leur capacité de réduire leurs dépenses, la situation serait bien pire aujourd’hui. Quand des gouvernements ont annoncé vouloir laisser filer les déficits, immédiatement les taux d’intérêt ont flambé. Or chaque euro dépensé pour payer la dette, c’est 1 euro de moins pour les services publics, pour l’hôpital, pour l’école. Il n’y a rien de plus antisocial que la dette publique. Aujourd’hui, nous sommes sortis de l’urgence : nous pouvons équilibrer notre politique par des mesures pour la croissance.

Quand, en juin 2012, François Hollande dit avoir réorienté l’Europe dans le sens de la croissance, avec un pacte de 120 milliards d’euros, cela vous fait-il sourire ou rire ?

Le président français a épousé nombre des propositions de la Commission en faveur de la croissance. Je me réjouis donc de cette convergence. Mais on n’a pas fait assez en ce domaine. Les Etats membres s’étaient engagés à mettre en oeuvre des réformes qui tardent à se réaliser. Or, en Europe, nous avons besoin tout à la fois de corriger l’équilibre des comptes publics, de mettre en place des réformes afin d’améliorer la compétitivité et de procéder à des investissements ciblés.

Cette inflexion de la politique économique n’est-elle pas dictée par la montée des populismes et des partis eurosceptiques ?

Non. La qualification en 2002 du candidat du Front national au second tour de l’élection présidentielle française, l’ascension de Jörg Haider en Autriche ou de Pim Fortuyn aux Pays-Bas n’ont pas été le résultat des politiques actuelles. D’autres facteurs sont à l’oeuvre. On constate une angst, une anxiété, face à la mondialisation et à l’immigration, par exemple avec l’Ukip (parti pour l’indépendance du Royaume-Uni). Je vois aussi la tendance actuelle à désigner l’Europe comme un bouc émissaire. Je l’ai dit à certains dirigeants : si vous voulez critiquer l’Europe, d’autres le feront mieux que vous ! L’Europe n’est pas une puissance extérieure qui imposerait sa domination aux Etats membres ! La présenter comme un choix subi plutôt que comme une action collective n’est pas juste. Une victoire des forces antieuropéennes est-elle possible aux élections du Parlement européen de mai 2014 ?

Les élections européennes sont toujours l’occasion d’un grand défoulement, pour reprendre cette expression si française. Alors, oui, la montée des forces europhobes est possible, surtout si nous avons peur d’entrer dans le débat. C’est pour cela que j’appelle tous les proeuropéens de gauche, de droite et du centre à assumer nos convictions et à ne pas céder aux chantages des forces extrêmes.

Nicolas Sarkozy affichait sa bonne entente avec Angela Merkel. François Hollande, lui, préfère mettre en scène une  » tension amicale « . Certains au PS parlent de  » confrontation « . Quelle est la meilleure tactique à l’égard de Berlin ?

Je ne serai pas un commentateur de la relation franco-allemande. Mais un principe général s’impose : prétendre que les difficultés que nous rencontrons sont le fait des autres, c’est presque toujours un aveu d’impuissance, voire d’infériorité intellectuelle ou politique. Toutes les décisions prises au Conseil européen l’ont été à l’unanimité. Rendre responsable de ces décisions un seul des membres du Conseil, ce n’est pas honnête.

Lorsque Angela Merkel a proposé l’union politique, Paris n’a pas réagi, mais vous non plus. Pourquoi ce silence ?

En réalité, notre but est non pas de porter les agendas français, allemand, portugais, irlandais, mais de tenter de dégager l’intérêt général européen. Même les plus grands Etats européens n’ont ni la capacité ni les ressources de faire valoir, à eux seuls, leurs vues face aux Etats-Unis ou à la Chine. En mettant en partage nos souverainetés, nous pouvons accroître nos pouvoirs. C’est pourquoi la Commission et moi- même avons toujours défendu une Europe avec plus d’intégration politique. Et toutes nos décisions pour renforcer la discipline et la convergence au sein de l’Union économique et monétaire vont dans ce sens.

Vous avez récemment confié à Bloomberg Businessweek :  » J’ai perdu mes illusions lors de mon mandat ici.  » Que vouliez-vous dire ?

Je me suis rendu compte que les égoïsmes nationaux étaient parfois plus forts que l’attachement à l’intérêt européen. Mais, dans la vie, l’important est de garder son enthousiasme, même si l’on perd ses illusions.

Votre mandat s’achève en octobre 2014. Avez-vous envie d’être renouvelé ? De prendre la présidence de l’Union ?

Franchement, vous pensez que ce serait raisonnable de briguer un troisième mandat ? Deux, ça suffit… Mais je ne veux pas parler de cela. En politique, un mois, c’est une éternité. Je veux me concentrer sur ce que je fais.

Mais vous excluez un troisième mandat ?

Je ne veux ni inclure ni exclure.

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