Il faut sauver Bruxelles

Le gouvernement ne parvient pas à soulager la justice bruxelloise, bloquée par l’application intransigeante des lois linguistiques de 1935

« Contrairement à ce qu’une certaine opinion publique flamande tend à faire accréditer depuis des années, le blocage communautaire concernant les conditions de nomination à Bruxelles n’a pas un effet désastreux du seul côté francophone. Le parquet de Bruxelles souffre ainsi de ne pouvoir recruter des candidats titulaires d’un diplôme délivré en langue néerlandaise et non officiellement bilingues. » Dans un courrier adressé à diverses autorités du pays, Benoît Dejemeppe, procureur du roi de Bruxelles, invoque la surcharge de travail de ses collègues flamands pour dénoncer l’absurdité du conflit communautaire qui paralyse les institutions judiciaires bruxelloises depuis six ans. La pénurie de magistrats flamands, qui, pas plus que leurs homologues francophones, ne sont parfaitement bilingues, se fait sentir lourdement, d’autant que la charge de travail est reportée sur un plus petit nombre de personnes.

Flash-back. En 1995, Stefaan De Clerck, ministre de la Justice (CVP), décide de faire appliquer, dans toute sa rigidité, la législation linguistique de 1935. Ni Tony Van Parys (CVP) ni Marc Verwilghen(VLD), qui lui ont succédé, n’ont osé revenir sur cette décision, confirmée par un arrêt de la Cour d’arbitrage. La loi de 1935 postule qu’à Bruxelles deux tiers du cadre ordinaire des magistrats doit être pourvu de « bilingues légaux », bien que ceux-ci ne puissent siéger que « dans la langue de leur diplôme ». Donc, tant que le quota des deux tiers de bilingues n’est pas atteint, aucune nomination n’est possible. Or très peu de jeunes juristes, tant flamands que francophones, réussissent cet examen particulièrement difficile. S’ajoute à cela une situation propre au parquet qui, dans l’ensemble du pays, souffre d’un manque flagrant de vocations. Résultat ( lire l’encadré page 24): à Bruxelles, pour le seul parquet (le tribunal n’est pas mieux loti), il manque 35 magistrats sur un total « potentiel » de 117, alors que le volume des affaires correctionnelles, lui, ne cesse d’augmenter (+12 % en six ans). Les magistrats s’épuisent à crier dans le désert, ils frôlent quotidiennement la dépression nerveuse et quittent cette galère sur la pointe des pieds.

L’amélioration du fonctionnement de la justice bruxelloise figurait, pourtant, en bonne place dans la déclaration gouvernementale. Mais la loi de 1935 est trop symbolique pour que, du côté flamand, on ait le courage d’y toucher. Dès lors, il va falloir biaiser. En 2000, la première initiative de Marc Verwilghen en vue de nommer des juges de complément – n’entrant pas dans le cadre ordinaire, ils ne sont pas soumis à l’obligation de bilinguisme – est un échec. Le Parlement flamand a soulevé, en 2000, le conflit d’intérêts. Verwilghen n’insiste pas: il retire son texte, pourtant approuvé en Conseil des ministres. D’autres tractations ont lieu, d’où naît un nouvel accord gouvernemental en 4 points: 1. Doublement des magistrats de complément au parquet et au siège. 2. Organisation d’examens linguistiques plus fonctionnels. 3. Augmentation du nombre de référendaires néerlandophones à la Cour de cassation. 4. Réorganisation du parquet de Bruxelles.

Les deux derniers points, plutôt réclamés par les Flamands, sont acquis, mais ça cale toujours sur les deux premiers. Le Parlement du nord du pays a, en effet, relancé la procédure de conflit d’intérêts à propos des juges de complément. Quant au gouvernement fédéral, pressentant l’opposition flamande, il tarde à sortir les « projets juridiques relatifs à l’emploi des langues en matière judiciaire », pourtant bel et bien approuvés en Conseil des ministres, le 22 juin 2001. Bref, les revendications francophones restent en rade, malgré les promesses formelles du Premier ministre, Guy Verhofstadt (VLD), d’obtenir de son ami Patrick Dewael, chef du gouvernement flamand, qu’il n’entrave plus les projets fédéraux en matière de justice bruxelloise.

La dernière idée pour faire cesser ce scandale ? Attendre l’extinction des procédures de conflit d’intérêts pendantes au Parlement flamand, d’une part, et au Parlement de la Communauté française (contre les examens linguistiques fonctionnels dans les administrations), d’autre part. Puis soumettre au Parlement fédéral les projets relatifs aux juges de complément et à l’assouplissement de l’examen linguistique, avec la ferme volonté, en tout cas du côté francophone, de les faire adopter. La procédure de conflit d’intérêts prenant cent vingt jours (examen en commission Justice de la Chambre, rapport du Sénat, réunion du Comité de concertation), il reste encore quelque trois mois pour voir resurgir ce dossier. A moins que les gouvernements des entités fédérées n’arrivent, avant ce terme, à conclure un accord.

Marie-Cécile Royen

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