» Il faut rétablir la justice accélérée « 

Bientôt 11 000 détenus… La surpopulation carcérale reste un fléau en Belgique. Comment y remédier ? Tentative de réponse avec Réginald de Béco, avocat pénaliste de renom, qui veut revoir le rôle du juge d’instruction et plaide pour une refonte de la détention préventive.

Le Vif/L’Express : La barre symbolique des 11 000 détenus, pour 8 500 places disponibles, est presque franchie. Comment vit-on la surpopulation à Forest, une prison que vous connaissez bien, puisque vous en présidez la commission de surveillance ?

Réginald de Béco : Dans les ailes dites rénovées du bâtiment, les cellules, prévues pour un détenu, en accueillent le plus souvent trois. A côté d’un lit superposé, on pose un matelas par terre, qu’on redresse la journée car, autrement, sur à peine 9 mètres carrés, on ne pourrait pas faire deux pas. En dehors du préau, les détenus y restent 23 heures sur 24. Ils y mangent, fument et font leurs besoins derrière un paravent de moins d’un mètre de hauteur. Forest étant une maison d’arrêt, beaucoup de détenus sont angoissés par le procès qui les attend et ont les intestins dérangés. Voyez le tableau… En outre, la tuberculose sévit toujours en prison. Je croise régulièrement des détenus avec un masque sur la bouche.

Transférer des détenus à Tilburg, aux Pays-Bas, n’aura servi à rien ?

Non. D’autant que la location de cellules hollandaises coûte très cher. Mais il faut reconnaître qu’aujourd’hui le ministre de la Justice dispose de peu de leviers pour agir sur la surpopulation carcérale. Les libérations conditionnelles dépendent exclusivement des tribunaux d’application des peines. Ceux-ci craignent l’erreur. Ils s’entourent de beaucoup de précautions avant d’accorder une libération. Les conditions sont trop strictes.

Idem pour le bracelet électronique ?

La mesure a été renforcée. Plus d’un millier de condamnés en bénéficient. Mais le ministère de la Justice n’a pas anticipé et a pris trop de temps pour mettre l’infrastructure en place. C’est aussi une question de mentalité. Actuellement, tout détenu condamné à moins de trois ans de prison peut demander la surveillance électronique. Certains magistrats trouvent cela invraisemblable.

On sait que les détenus tiennent le coup grâce à la drogue. Selon l’administration pénitentiaire elle-même, un détenu sur trois en consomme. Vous confirmez ?

Cette proportion est bien en dessous de la réalité [il sourit]. C’est surtout du haschisch qui circule. Mais il y a aussi de la cocaïne, de l’héroïne. Il m’arrive de me trouver en face d’un client dont le regard et l’élocution trahissent sans nul doute la prise d’une substance forte.

Après la mort de deux détenus par overdose à Jamioulx en juillet, le ministre De Clerck avait pourtant décrété la tolérance zéro face à ce phénomène.

Efficacité nulle ! En tout cas pour le haschisch qui, en raison de son effet anxiolytique, fait toujours l’objet d’une réelle tolérance de la part du personnel pénitentiaire. Car les relents de fumée d’un joint de cannabis ne passent pas inaperçus, même derrière la porte d’une cellule…

Les surveillants font souvent grève. Ils sont pourtant nombreux : un gardien pour un détenu. Leur ras-le-bol est-il justifié ?

La situation peut être très différente d’une prison à l’autre. L’autre jour, à Forest, un agent pénitentiaire me disait que ses proches se plaignaient des odeurs qu’il ramenait à la maison en rentrant du boulot. Vous imaginez ! Il y a aussi énormément d’absentéisme dans cette profession qui est peu valorisante et très stressante. Maintenant c’est vrai que les syndicats du secteur sont puissants. Récemment, à la prison de Bruges, ils ont négocié avec Stefaan De Clerck de pouvoir décider eux-mêmes, en passant au-dessus du directeur, la suppression de certains services aux détenus en fonction de la surpopulation. C’est très choquant. Leur seul moyen de pression est finalement de mettre les détenus dans des conditions telles que ceux-ci pourraient se révolter. Le service garanti du préau, des visites ou des transferts vers les tribunaux, est, pour moi, une absolue nécessité en prison.

Devant la commission Justice du Sénat, vous avez plaidé pour une refonte de la détention préventive. Pourquoi ?

Ces détentions sont de plus en plus nombreuses et longues : trois ans en moyenne pour les inculpés qui attendent leur procès en assises. Responsables politiques et magistrats dénoncent en ch£ur les abus en la matière. En même temps, j’entends régulièrement des juges affirmer, de manière de plus en plus officielle, qu’ils ne veulent pas laisser les faits d’une certaine gravité sans réaction immédiate, car la plupart des procès se tiennent deux, trois, quatre ans après la fin de l’enquête. Ils condamnent dès lors tout de suite. Mais c’est tout à fait contraire à la loi qui dit clairement que la détention préventive ne peut être une mesure de répression immédiate.

Quelle solution ?

Il faudrait remettre en route la justice accélérée telle que prévue dans l’article 216 quater du Code d’instruction criminelle. Ce système, appliqué un temps à Bruxelles, qui, pour certains faits, prévoyait une comparution devant un tribunal correctionnel dans les deux mois, n’a pas fait long feu, faute de magistrats. C’est très dommage.

Vous plaidez aussi pour un débat contradictoire dès le début de l’enquête…

Oui, l’assistance d’un avocat doit être immédiate, dès la garde à vue [NDLR : ce que tente de mettre en route Stefaan De Clerck]. Aujourd’hui, l’avocat n’intervient qu’en chambre du conseil, où comparaît son client menotté et encadré de policiers, après déjà cinq jours de détention. Le mandat d’arrêt du juge d’instruction crée inévitablement un précédent. Il est plus difficile de plaider pour faire sortir son client de prison que pour l’empêcher d’y entrer… En outre, les suspects ont tendance à paniquer et à se cabrer devant le juge d’instruction, ce qu’un avocat pourrait éviter par ses conseils. Il est parfois préférable pour un suspect d’avouer son crime. Cela simplifie le cours de la justice. Pour cela, il faut un climat de confiance que seul l’avocat peut établir. Et ce n’est pas compliqué à mettre en place : cela se fait déjà pour les suspects mineurs.

Vous allez encore plus loin en voulant décharger le juge d’instruction de son pouvoir d’arrestation. Pour quelle raison ?

Dès le départ, le mandat d’arrêt devrait se décider devant une chambre classique. Le juge d’instruction se doit d’être impartial. Or, lorsqu’il met un suspect sous les verrous, cela devient difficile d’instruire à décharge. Il va inconsciemment ou non rechercher des éléments qui vont justifier sa décision, au risque sinon de devoir se désavouer. Le pouvoir d’arrestation pervertit son rôle.

En Belgique, la détention préventive concerne 4 détenus sur 10. Les autres pays européens ne sont pas en reste. Comment l’expliquez-vous ?

Le taux belge est l’un des plus élevés. Mais, c’est vrai, il s’agit d’une tendance générale, liée au sentiment d’insécurité. Un sentiment de plus en plus difficile à vivre aujourd’hui. En même temps, quand je lis des ouvrages sur la justice pénale au xixe siècle, je suis surpris de voir à quel point cette époque pouvait être violente. Bien davantage qu’aujourd’hui. La différence est qu’on le ressentait sans doute moins : quand un crime se passait à Arlon, les habitants de Gand ou même de Bruxelles n’en savaient rien. Aujourd’hui, avec la télévision et Internet…

ENTRETIEN : THIERRY DENOËL

LES DÉTENTIONS PRÉVENTIVES SONT DE PLUS EN PLUS NOMBREUSES ET LONGUES

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