Il était une fin

Il le dit, il l’assume : le réalisateur d’Erin Brockovich et d’Ocean’s Eleven arrête le cinéma. Pour un temps ou pour toujours ? Faut voir. Son dernier film, Effets secondaires, est très réussi. Comment va-t-il au moment de quitter la scène ? Rencontre.

Il est sorti de la pièce comme il y est entré. Poli. Sérieux. Aimable. Attentif. Disert. Mais sans effusions, sans vaches à garder ensemble, sans mots doux sous l’oreiller. Steven Soderbergh a fermé la porte et s’en est allé répondre à d’autres questions. Il n’a jeté aucun coup d’oeil derrière lui. Rien. Voilà, c’est fini.

C’est peut-être la dernière fois que l’homme de Sexe, mensonges et vidéo, d’Erin Brockovich, d’Ocean’s Eleven, de Che, aujourd’hui de l’emballant Effets secondaires vient parler de cinéma entre quatre-z-yeux, et il flotte ici un petit air de tristesse, voire de fin du monde.  » Ce n’est pas un choix, ni même une décision, juste quelque chose que je dois faire. Pour me maintenir en vie. J’ai besoin de changement. Je vais me tenir à l’écart. Mais, si j’arrête définitivement le cinéma, ça m’ira aussi très bien.  »

Cela fait quasi un quart de siècle que Steven Soderbergh est né au monde du cinéma en recevant sa Palme d’or pour Sexe, mensonges et vidéo, en 1989. Il avait alors 26 ans, il en a aujourd’hui 50, un bel âge, selon lui, pour disparaître sous les feux de la rampe. Il ne s’évanouit évidemment pas tout à fait. Ses films parlent pour lui, et son parcours également, suffisamment atypique dans le paysage hollywoodien pour être remarquable. Steven Soderbergh est sans doute le cinéaste, si ce n’est l’artiste, qui représente le mieux l’Américain, dans sa culture et ses racines, à la fois pionnier, chef de convoi, héros singulier, et tout entier impliqué dans le jeu d’équipe, prêt aux discussions, mais jamais dupe d’un milieu par trop carnivore. C’est un Eastwood plus joyeux, un Spielberg plus audacieux, un Scorsese moins névrosé, un Cameron moins mégalo.

Il a d’ailleurs fixé sa ligne de conduite dès ses premiers mots sur la scène cannoise. Sa Palme d’or toute fraîche entre les mains, il y déclarait, en résumé :  » Plus dure sera la chute.  »  » Je plaisantais un peu, se souvient-il aujourd’hui. Mais pas seulement. J’essayais d’imaginer ce que le public pensait : « Est-ce vraiment une bonne chose pour ce p’tit gars d’être maintenant assis aux côtés de Coppola, d’Altman ou de Buñuel ? » Je n’étais pourtant pas inquiet. J’espérais secrètement avoir la carrière que j’ai finalement eue. Faite de films différents.  »

Il en a même raté certains. C’est un point de vue personnel. Lui les juge surtout en fonction de l’idéal qu’il s’était fixé.  » The Good German est le plus proche de ce que j’avais imaginé. Il n’a pas marché. Est-ce à dire qu’il est mauvais ? Pas pour moi.  » Un peu quand même, si vous permettez. Mais le principe soderberghien n’est pas là. Plutôt dans la conscience absolue du travail à faire ; démarche, là encore, originale dans le métier. Exemple :  » Après Che, en 2008, mon envie d’être sérieux a disparu. J’en ai eu marre. Puisque je savais qu’il ne me restait que quatre ou cinq ans de boulot, j’ai donc opté pour des films amusants à voir et à faire.  » Parmi lesquels le formidable The Informant !, la série B façon exercice de style, Piégée, et l’actuel Effets secondaires, thriller hitchcocko-suspense des plus réussis avec Jude Law et de jolis retournements de tiroirs.

Il exige qu’un entretien à la presse écrite ne dure pas moins de quarante minutes et que la télé en ait droit à une vingtaine. Chose exceptionnelle dans un système médiatico-promotionnel où les interviews se font en batterie, pour ne pas dire à l’abattoir. Il aime expliquer, interroger, comprendre.  » C’est toujours intéressant de voir la distorsion entre ce que je veux raconter et ce que perçoit le public ou la critique. Ce n’est pas parce que je réalise un film de quatre heures sur le Che que je suis d’accord avec tout ce qu’il a fait. Je l’ai juste trouvé intéressant comme figure historique. Je voulais comprendre comment quelqu’un pouvait mettre en marche une révolution. Mais, aux Etats-Unis, les journalistes m’ont demandé pourquoi je racontais un parcours d’assassin. Ça me laisse pantois.  » Pour Effets secondaires, on s’est contenté de parler polar et d’évoquer Assurance sur la mort, de Billy Wilder,  » le film parfait « , les romanciers James Cain, Jim Thompson et Donald Westlake, un peu de Hitchcock également, que du petit-lait et du plaisir. Mais le temps presse.

 » Raconter autrement une nouvelle histoire  »

Il faut donc opter pour la question définitive à 10 000 euros :  » Pourquoi tournez-vous, quel est le point commun entre tous vos films ?  »  » Je n’en sais rien. Peut-être le fait d’avoir voulu tous les réaliser.  » Un peu court, jeune homme. Ce coup de botte en touche n’est pas digne. Vous dites  » tous ensemble « , on peut vous répondre  » tous, tout seul « . Une bio (Kafka), un truc expérimental (Schizopolis), des comédies d’action (Hors d’atteinte, Ocean’s Eleven et ses suites), un polar politique (Traffic), un jet d’acide contre Hollywood (Full Frontal), un fait divers devenu blockbuster (Erin Brockovich), une science-fiction (Solaris), un thriller horrifique (Contagion). Entre autres. Sans oublier le dernier à sortir mais l’avant-dernier tourné : une bio sur Liberace, le pianiste homo, star et dandy. Avouez tout de même que.  » C’est vrai. Ça paraît aller dans tous les sens. Mais ce qui m’a toujours motivé, c’est justement l’idée d’aller ailleurs chaque fois. D’essayer de raconter autrement une nouvelle histoire. Tous les cinéastes vous diront qu’entre garder la liberté artistique et avoir beau- coup d’argent pour réaliser un film ils préfèrent leur liberté. Ce n’est souvent qu’un choix théorique. Dans la pratique, c’est très différent. Moi, dès le début, j’ai pu contrôler les deux et m’adapter. Ocean’s Eleven et Schizopolis, si opposés soient-ils, le prouvent à leur manière.  »

 » Si je reviens à la mise en scène…  »

L’histoire de Steven Soderbergh est finalement celle d’un type qui veut remettre le conteur à zéro. Sans forcément l’éteindre tout à fait. Il devrait d’ailleurs, à l’automne, s’attaquer à une pièce de théâtre. Mais ce repos volontaire dit aussi l’évolution d’un art, le cinéma, qui s’est toujours fait le creuset de l’imaginaire américain, jusqu’à en devenir le miroir plus ou moins grossissant. A Hollywood, le raconteur d’histoires est, à la fois, le clown au nez rouge et le témoin de son temps. Et ce qui mine, c’est sans doute le formatage inhérent à l’économie du système. Certains en ont pris conscience, comme David Fincher, qui vient de réaliser une série, House of Cards, directement diffusée sur le Net. Tiens ! un éclat de curiosité passe dans l’oeil de Soderbergh.  » Ça, ça m’intéresse. Si je reviens à la mise en scène, j’irai vers des histoires longues, comme Berlin Alexanderplatz, réalisé par Fassbinder pour la télé. J’ai déjà trouvé un roman à adapter : Le Courtier en tabac, de John Barth.  » C’est la bonne nouvelle de cette triste journée : il suffit de pas de grand-chose pour remettre le moteur en marche. Il était une dernière fois Steven Soderbergh. Peut-être.

ERIC LIBIOT

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