» Ici, on évite la concertation « 

A l’heure où l’échéance de 2017 conditionne les projets de la Ville, certains se réjouissent de voir avancer les dossiers. D’autres s’inquiètent de leur tournure. Rencontre avec François Schreuer,  » militant urbain « .

François Schreuer, Liégeois de 31 ans, a de multiples casquettes qui l’amènent à régulièrement se pencher sur les projets de la Ville. En 2009, il faisait partie du collectif de citoyens qui défendait la candidature de Liège en tant que capitale européenne de la culture en 2015, titre finalement attribué à Mons. Ancien président de la FEF, fondateur d’urbAgora (groupe de réflexion sur la mobilité et l’urbanisme à Liège), membre de la coopérative politique VEGA ( » Verts et à gauche « ) ou encore administrateur de la Ligue des droits de l’homme, François Schreuer est décrit comme un  » militant urbain « .

Le Vif/L’Express : Liège est candidate à l’organisation d’une exposition internationale, en 2017. Ambition légitime ou démesurée ?

François Schreuer : Liège 2017 est un projet  » top down « , contrairement au mouvement Liège 2015. Il a été voulu et pensé par le pouvoir communal, qui cherche maintenant à fédérer des soutiens institutionnels et à susciter une logique plébiscitaire dans la population. L’information étant très peu accessible, évaluer l’impact de Liège 2017 pour la ville est difficile. Cet événement me semble quand même être une bonne opportunité, si l’on s’en sert comme d’un levier de développement urbain. Ici, tout est concentré sur un seul site, Coronmeuse, avec, certes, un projet d’éco-quartier intéressant, mais quid du reste de la ville ?

Que faudrait-il faire, selon vous ?

On trouve partout à Liège des traces des précédentes expositions encore utiles au quotidien : le pont de Fragnée, le parc de la Boverie, le musée d’Art moderne. Je crains qu’on ne cherche pas suffisamment à faire profiter la ville de l’expo. Avec urbAgora, nous proposons la création d’un téléphérique, entre le quartier Saint-Léonard et l’hôpital de la Citadelle, où d’importants problèmes de mobilité sont rencontrés. Il faut aussi rouvrir la gare de Bressoux, ou aménager les quais de la rive gauche de la Meuse, jusqu’au Val Benoit.

Vous vous interrogez également sur le budget de Liège 2017.

On dit que l’événement va s’autofinancer, mais je ne me satisfais pas des vagues promesses de la Ville ! Ne va-t-on pas ré-endetter Liège ? Il faut que les autorités publient un plan d’affaires sérieux. D’accord pour Liège 2017, pour autant que le budget soit équilibré et qu’il fasse tourner l’économie locale.

L’échéance fixée par cette exposition est tout de même un moteur pour toutes sortes de dossiers, non ?

Oui, et tant mieux. Mais elle ne doit pas être un couperet qui interdit tout débat. Dans le dossier du tram, par exemple, on constate que certaines options concernant le tracé ne sont pas étudiées au motif de l’urgence. Le risque est grand de voir ce projet bâclé.

Pour vous, le projet du tram n’est donc pas assez abouti.

Il faut rester nuancé. Le projet est insatisfaisant tel quel, mais c’est un premier pas et il est très important, a fortiori dans le contexte budgétaire qu’on connaît. Le tram répond en outre à une demande très forte, donc il continuera à se développer, c’est certain. Mais le tracé aujourd’hui sur la table présente plusieurs problèmes : il évite les quartiers les plus peuplés, notamment en rive droite, il manque gravement de complémentarité avec le chemin de fer, il favorise plus la pénétration dans la ville qu’il n’apporte de solutions pour ses habitants, là où s’observe aujourd’hui la saturation du réseau TEC. Par ailleurs, je constate l’absence d’une vision globale, à long terme, dans le chef de la SRWT (Société régionale wallonne du transport) et du ministre Henry [NDLR : en charge de la mobilité à la Région wallonne]. Pourtant, les outils existent : un Plan urbain de mobilité (PUM) et une étude  » transurbaine  » ont été menés, mais sont bloqués sur le bureau du ministre. Ces études donnent une perspective d’ensemble, dans laquelle il est nécessaire que la première phase du tram s’inscrive. Comme souvent à Liège prévaut une logique d’omerta : on fait taire la contradiction, on évite la concertation.

UrbAgora planche également sur un projet de REL, réseau express liégeois. Qu’en est-il ?

C’est une priorité majeure. Pour 200 millions d’euros, soit un budget bien plus abordable que le tram, nous avons démontré qu’on peut réaliser un REL de 4 ou 5 lignes qui traverse toute la province, jusqu’à Eupen, Huy, Waremme, Maastricht. Pour cela, il faut rouvrir des points d’arrêt. L’infrastructure existe et il y a du matériel roulant disponible en raison des retards du RER bruxellois. Mais les Liégeois ne sont nulle part dans les négociations, actuellement en cours, du plan d’investissement d’Infrabel 2013-2025. Sauf sursaut, on va donc louper le coche.

Autre enjeu pour 2017 : l’aménagement du quartier des Guillemins.

Sur la tour des finances, la Ville a choisi de passer en force, sans concertation. Le projet est mal emmanché, ne convainc pas et risque de se transformer en une saga sans fin, au préjudice de tout le quartier. Mais aux Guillemins, le principal enjeu est le logement : de nombreux immeubles ont été détruits, il faut éviter un  » Bruxelles-Nord  » bis et faire vivre l’esplanade en favorisant la mixité des fonctions. On est dans l’incertitude la plus totale concernant les immeubles qui seront construits à côté de la tour des finances et où le promoteur veut encore faire du bureau, ce à quoi la Ville ne s’oppose que très mollement.

Vous êtes membre de la coopérative VEGA, pour  » Verts et à gauche « . C’est une alternative au pouvoir en place, un nouveau parti ?

VEGA est une coopérative politique, sans rapport avec urbAgora. Elle regroupe des personnes attentives à la vie politique liégeoise, qui réfléchissent et proposent des idées. VEGA pose le constat d’un encroûtement du monde politique, qui fonctionne presque exclusivement par cooptation. Nous écrivons un programme, pour montrer que des idées qui peuvent améliorer la vie de façon très concrète sont réalistes sur un plan technique. Comme par exemple un abonnement TEC à 1 euro/mois pour les Liégeois, financé par une taxe sur le stationnement. Nous n’avons pas, à l’heure actuelle, décidé de présenter ou non une liste aux prochaines communales. Nous ne voulons pas disperser les voix de gauche, mais réellement peser sur le débat communal. Il y aura une liste VEGA que si nous pensons être en mesure de décrocher au moins un élu. [NDLR : depuis l’interview, VEGA a décidé de déposer une liste].

Vous dites que la politique liégeoise s’encroûte ?

Le Conseil communal est soporifique : il n’est pas assez le reflet des préoccupations de la société liégeoise. Mais quand, occasionnellement, une idée passe, tout le monde est sommé de se ranger derrière elle. Le problème ne concerne pas que la politique : les médias sont sinistrés. L’offre est de plus en plus faible, et les lecteurs plus rares. Il faut casser ce cercle vicieux en recréant des projets éditoriaux impertinents et originaux, dont Liège a le plus grand besoin. Le  » todibonisme  » sévit aussi pas mal dans la majorité : on est vite content, on ne cherche pas l’excellence. En matière d’urbanisme, pourquoi organise-t-on si peu de concours d’architecture et de concours d’idées ?

La majorité PS-CDH est en place depuis 1989. Est-il temps de passer à autre chose ?

Le premier échevin CDH Michel Firket, s’il rempilait, ferait sans doute le mandat de trop. Mais l’alternance n’est pas une garantie d’amélioration. Je constate en tout cas que le PS est indéboulonnable et se contente de gérer sans proposer grand-chose de neuf. Ecolo est un groupe d’opposition un peu éteint et ne semble pas en mesure d’accéder à la majorité. Quant au MR, il est grand temps de se demander ce qu’est son projet pour la ville.

PROPOS RECUEILLIS PAR ANNE-CATHERINE DE BAST

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