Jessica Fanhan, une comédienne et femme d'aujourd'hui. © dr

I have a dream

Bientôt sur scène dans Malcom X et J’accuse, Jessica Fanhan continue à graviter autour de ses deux thèmes de prédilection, la question noire et la condition féminine. Une double voie qui lui réussit.

« Je rêve du moment où la couleur de peau sera secondaire dans le choix d’un comédien ou d’une comédienne, autant que la couleur des cheveux « , dit-elle. Née en Guadeloupe, arrivée en Belgique à 18 mois pour s’installer dans un village près de Huy, Jessica Fanhan a vu une partie de son parcours professionnel déterminé par ses origines. Mais pas pour n’importe quels rôles, et pas dans n’importe quels spectacles. « Quand j’étais plus jeune, je me disais que c’était impossible : je ne me laisserais pas être utilisée pour ma couleur. A l’époque, je pensais plutôt à des petits rôles type femme de ménage façon Autant en emporte le vent. Ce qui n’a pas du tout été le cas.  »

Sa première expérience artistique en la matière est fondamentale et fondatrice. En 2012, alors qu’elle vient de terminer ses études à l’Insas, à Bruxelles, Jessica Fanhan tombe sur un tract dans un bar : Brett Bailey, metteur en scène sud- africain, recherche des performeurs d’origine africaine pour son projet Exhibit B, présenté dans le cadre du Kunstenfestivaldesarts. Il s’agit de participer à une série de tableaux muets mais vivants,  » retraçant l’évolution de la représentation du « Noir », depuis le bon sauvage du Congo belge jusqu’au demandeur d’asile d’aujourd’hui « . Installée dans l’église désacralisée du Gesù à Saint-Josse, la performance utilise les principes des  » zoos humains  » de l’époque coloniale, ces expositions où les Noirs étaient livrés en pâture au regard des Blancs. Lui-même blanc, Brett Bailey sera accusé par certains de précisément reproduire la forme de ce qu’il voulait dénoncer. Lors de son passage en Grande-Bretagne, Exhibit B sera carrément accusé de racisme et provoquera de fameux remous, jusqu’à être annulé dans certaines villes ou à être présenté sous protection policière.

Entre colère et émotion

 » Je n’ai pas compris cette polémique, confie Jessica Fanhan. Au contraire, moi, j’avais pris ce spectacle comme une ouverture et une possibilité de parler enfin de tous ces sujets.  » Pour la comédienne, le défi se situait plutôt dans le fait de rester pendant une heure et demie immobile dans son tableau : une femme, debout, vêtue d’un pagne, attachée au lit d’un colon par une chaîne, tournant le dos au public mais faisant face à un miroir qui lui permet de voir ce qui se déroule derrière elle. « J’ai éprouvé plein de sentiments lors de cette performance, poursuit-elle, avec parfois une confusion dans ce mélange d’émotions. Je ressentais une colère pour ce qui s’était passé et pour ce qui se passait en direct, avec ce public qui était majoritairement blanc. En même temps, il y a eu des moments hyperbeaux. Il y a eu des échanges avec les gens, juste dans les regards. Je me souviens d’un vieux monsieur qui pleurait beaucoup et qui n’arrêtait pas de faire tomber ses lunettes…  »

Pour la comédienne, Exhibit B a été l’électrochoc qui l’a plongée dans la  » question noire « .  » Je crois que c’est une question qui m’intéresse depuis toujours. Un de mes films phares quand j’étais petite était La Couleur pourpre(NDLR : de Steven Spielberg, en 1985, retraçant la vie de deux soeurs noires dans le sud des Etats-Unis au début du xxe siècle). Mais je crois que je ne voulais pas m’en approcher : j’avais beaucoup trop peur de ce que je pourrais éprouver, de colère, de haine, de douleur. Exhibit B m’a permis d’y entrer. C’est à la suite de ce projet que je me suis penchée sur l’histoire de la Guadeloupe.  »

D’autres spectacles vont l’éclairer sur différents pans de  » l’histoire noire « . Il y aura une participation à Hate Radio, où le metteur en scène Milo retraçait le rôle d’incitateur de la radio des Mille Collines dans le génocide rwandais en 1994. Puis, il y aura Malcolm X, repris à la rentrée (1), spectacle multidisciplinaire et multilingue orchestré par Junior Mthombeni autour de la figure du militant des droits des Afro-Américains. Jessica Fanhan y côtoie Pitcho, le rappeur bruxellois né à Kinshasa, les deux slameuses voilées de Poetic Pilgrimage, Sukina Abdul Noor et Muneera Rashida, le saxophoniste Frank Vaganée, les soeurs danseuses Doris et Nathalie Bokongo Nkumu, le comédien néerlandophone d’origine égyptienne Sabri Saad El Hamus…  » J’ai adoré faire ça, être entourée de gens si talentueux autour de ces questions-là, explique Jessica Fanhan. Il y avait beaucoup d’excitation, d’envie et de bienveillance dans l’équipe. Pour ma culture générale, tous ces projets sont géniaux. J’apprends plein de choses quand je prépare mes rôles, j’achète des livres. J’ai lu Une colère noire de Ta-Nehisi Coates. Il y a trois ans, j’ai découvert Toni Morrison, pour qui j’ai eu un coup de foudre monumental. J’ai toute une liste de bouquins à lire. Je file les plans à mes amis blancs. Ce sont des auteurs incroyables qui écrivent des choses que tout le monde devrait lire, qui nous concernent tous.  »

Meilleur espoir féminin

Mais le parcours professionnel de Jessica Fanhan ne se limite pas à la question noire. Un second versant de sa carrière concerne une autre minorité – triste réalité – des scènes de théâtre : les femmes. Après un tout premier rôle dans Je me tiens devant toi nue – écrit par une femme, l’Américaine Joyce Carol Oates, mis en scène par une femme, Christine Delmotte, et joué par un casting entièrement féminin -, Jessica Fanhan a reçu en 2014 le prix du Meilleur Espoir féminin pour Elle(s), spectacle musical qui entendait donner la parole à toutes les femmes et tracer la voie d’une femme libre avec l’auteure et comédienne Sylvie Landuyt. On la retrouvera en fin de saison prochaine dans J’accuse (2), mis en scène par Isabelle Jonniaux : cinq monologues de femmes d’aujourd’hui de l’auteure canadienne Annick Lefebvre qui déconstruisent les clichés. Jessica Fanhan est une battante sur tous les fronts. On risque bien de la recroiser souvent.

(1) Malcolm X, les 12 et 13 septembre au KVS, à Bruxelles ; du 11 au 14 octobre au théâtre de Liège. Jessica Fanhan participe également au prochain projet de Junior Mthombeni, Drarrie in de nacht (bilingue néerlandais – français), du 2 au 9 février 2018 au KVS.

(2) J’accuse, du 21 novembre au 9 décembre prochains à l’Atelier 210, à Bruxelles ; du 25 au 27 janvier 2018 au théâtre de l’Ancre, à Charleroi.

Par Estelle Spoto

 » Exhibit B  » a été l’électrochoc qui l’a plongée dans la  » question noire « 

Vous avez repéré une erreur ou disposez de plus d’infos? Signalez-le ici

Contenu partenaire