Le Klarafestival ouvre son édition 2017. Une volonté de sortir le classique de ses murs. © SDP

Home sweet home

L’édition 2017 du Klarafestival est placée sous le signe des courants migratoires et du décloisonnement. La musique classique interroge la société et sort de ses murs pour toucher un public plus large.

Lorsque la légendaire soprano Eleanor Steber dit adieu à ses fans, au début des années 1970, elle le fait dans les vapeurs camphrées d’un sauna gay. En demeure une photo sur laquelle la diva tient fermement dans ses mains un bouquet de fleurs couleur brique et, à côté d’elle, sur la dalle humide, un violoniste courbé – position de pénitent, comme sur une Annonciation florentine du XVe siècle – semble l’accompagner. Steber, ce soir-là, décloisonna le classique et contribua à lancer un mouvement qui, aujourd’hui plus qu’hier, fait florès. Le classique veut sortir de ses murs comme Al Capone entendait sortir d’Alcatraz, dans un grand élan de survie.

Est-ce un hasard si le Klarafestival (1) – somptueuse vitrine de la culture flamande à Bruxelles – ouvre son édition 2017 au Mirano, la boîte de nuit où les Palladiums des années 1990 s’ébrouaient sur le dancefloor des Who’s Who’s Follies ? Pour le directeur du festival, Hendrik Storme, il est essentiel que le classique sorte de ses murs. Des microconcerts de musique instrumentale s’amalgament à des sets de DJ ; on ne danse pas sur le classique mais on l’écoute attentivement – avec, peut-être, un peu de circonspection – puis on se dégourdit les jambes sur des rythmes binaires et syncopés du DJ. La formule fonctionne depuis plusieurs années, même si son public – plutôt jeune et cultivé – fait rarement l’effort d’aller dans les salles de concert traditionnelles. A ce titre, l’expérience d’Exit F – le 10 mars – incarnera le sens littéral de l’extra-muros vu que quatre montgolfières décolleront de la place du Musée accompagnées, dans leur élan plus que dans leur envol, par un ensemble musical.

Identité(s)

S’il se permet ces escapades et s’il entend éclater le cadre traditionnel du concert classique, le Klara oeuvre cette année sous l’étendard d’un thème sociétal particulièrement contondant : les logiques migratoires. Pas de dolorisme mais Hendrik Storme tient à mettre en garde contre le repli identitaire qu’inspire l’étranger. Chaque projet devenant une démonstration que le brassage culturel contribue à l’enrichissement de notre culture, sans cesse balayée par des influences venues d’ailleurs. Hendrik Storme parle de  » foi en la force unificatrice de l’art. Le rôle du Klarafestival, ajoute-t-il, est essentiellement de rassembler, pas de diviser.  »

A la veille des commémorations des attentats du 22 mars 2016, Salaam Syria mariera des instrumentistes syriens expatriés – le Syrian Expat Philharmonic Orchestra – aux musiciens de l’Orchestre national de Belgique autour d’oeuvres de paix, syriennes et européennes. Le Retour d’Ulysse dans sa patrie de Monteverdi – programmé les 14 et 16 mars sous la direction du chef d’orchestre René Jacobs – est présenté comme une vaste réflexion sur le voyage, l’identité et le retour, preuve que les problématiques traitées par Homère au VIIIe siècle av. J-C. et par Monteverdi il y a 350 ans peuvent mettre notre propre actualité en lumière sans être un tant soit peu profanées.

Dress code

En parallèle, le Klara lance une large réflexion sur l’habilité des musiciens à communiquer autour de leur art. Il cherche à s’associer – dans sa distribution 2017 – des artistes capables de faire vibrer autant par leur discours musical que par leur charisme. Et force est de constater qu’on retrouve à l’affiche quelques extraterrestres, comme le chef d’orchestre grec Teodor Currentzis, sorte de Ian Curtis dégingandé, dont le travail apparaît comme une inlassable remise en question de toutes les vérités musicales dans un déferlement d’énergie proprement baroque. Il dirigera, le 9 mars, la première symphonie de Mahler, compositeur juif – converti au catholicisme – dans une Vienne antisémite grouillant pourtant d’artistes juifs. A situation paradoxale, partition paradoxale.

Pour mieux parler aux jeunes, les praticiens du classique doivent-ils leur ressembler ? Khatia Buniatishvili est une pianiste merveilleuse, mais une pianiste merveilleuse qui porte des robes de créateur dont les béances rendent sa plastique de mannequin encore plus éloquente. Elle jouera, le 24 mars, Rhapsody in Blue de George Gershwin, une oeuvre orchestrale profondément influencée par la musique afro. Gershwin ayant été précurseur en matière de fusion des genres : dans une Amérique ségrégationniste, le mariage de deux mouvances musicales antinomiques était vu comme une mésalliance raciale. En musique comme dans la société, il n’est rien de plus suspect que la pureté. Aujourd’hui, Rhapsody in Blue est jouée plus ou moins tous les jours, aux quatre coins du monde comme un hymne à la liberté. C’est un détail, mais l’oeuvre sera dirigée par Yannick Nézet-Seguin, un des chefs les plus charismatiques du globe – directeur désigné du Met de New York – qui, accessoirement, fait des démonstrations de spinning et de cardio en débardeur humide sur Internet. Puisqu’on vous dit que le classique est jeune, dynamique et tout musclé !

Théâtre musical

 » Parce que les musiciens ont beaucoup à apprendre de la dramaturgie « , le Klara met le théâtre musical au coeur de sa programmation. Ce n’est pas de l’opéra, ce n’est pas du théâtre, ce n’est pas un concert ; c’est tout cela à la fois. Invité de la cour d’honneur du festival d’Avignon en 2016, Ivo van Hove se plongera dans le Journal d’un disparu de Leos Janacek, cycle de mélodies qui colorent et donnent sens à l’absence d’un jeune homme parti rejoindre son amante tzigane dans le lointain. 3MER, des Solistenensemble Kaleidoskop, s’intéressera aux pérégrinations de Sergei Diaghilev, comète fulgurante qui transforma définitivement le monde de la danse. Enfin, Vanish Beach, la nouvelle création du collectif Hof van Eede évoquera l’exil californien du compositeur Arnold Schoenberg. Juif viennois et avant-gardiste, il avait fui les nazis en s’installant à UCLA où ses partitions atonales suscitèrent l’incrédulité. Au milieu de surfeurs, en costume trois-pièces, une raquette de tennis à la main, Schoenberg contemple l’océan – gigantesque séparateur turquoise de mondes et de réalités.

(1) Du 3 au 24 mars, à Bruxelles. www.klarafestival.be

PAR CAMILLE DE RIJCK

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