Hollywood repoussoir, Manhattan refuge

Louis Danvers
Louis Danvers Journaliste cinéma

Projeté en ouverture du Festival de Cannes, Hollywood Ending décoche de manière amusante quelques flèches à l’industrie du film. Il révèle aussi les angoisses de son auteur, Woody Allen

Entre les deux côtes des Etats-Unis, Woody Allen n’a jamais eu à choisir. Celui qui représente la quintessence d’un certain art de vivre et de filmer à New York a connu le succès sur son terrain naturel de Manhattan, et Hollywood n’a pas tenté de le faire venir à lui. L’eût-il fait que notre homme n’aurait pas traversé le pays pour installer ses pénates – ni même son bureau – dans cette Californie qui ne lui fait nullement envie. Trop de soleil, là-bas, pour sa peau sensible, obligation d’aller partout en voiture alors qu’il aime tant marcher, culture (quand ce n’est pas culturisme!) du corps et de la surface, là où New York offre l’intelligence à profusion et la profondeur en prime. Et puis, cette industrie du film… qui finance bien les petits travaux de Woody, mais à concurrence de budgets si raisonnables qu’il pourrait, au besoin, s’en passer. Cette industrie du film qui fascine et répugne à la fois le cinéaste, mais qu’il n’entend fréquenter qu’en gardant ses distances…

On sera bien évidemment tenté de chercher une authenticité personnelle, voire des résonances autobiographiques dans certaines vacheries balancées (sans vraie méchanceté) par Allen dans Hollywood Ending, sa nouvelle comédie. Présenté en ouverture du Festival de Cannes – une première, Woody étant un fidèle du Festival de Venise -, ce film drôle et, par endroits, touchant a pour personnage central un… réalisateur. Val Waxman a eu son heure de gloire dans les années 1980, avec deux oscars à la clé. Depuis une décennie, son étoile a nettement pâli et il n’a plus tourné grand-chose. Son caractère difficile, ses crises psychologiques et sa maniaquerie de perfectionniste ont fini par lui aliéner une industrie cinématographique peu réceptive, par ailleurs, à ses exigences d’artiste intello. Val est dans la mouise, même si le décor qui l’entoure au tout début du film est fait de neige canadienne… dans laquelle il tourne une publicité pour un déodorant! Ayant réussi l’exploit de se faire virer de ce tournage aussi, le cinéaste rentre à New York et prend connaissance d’un scénario qu’on vient de lui déposer. Déjà surpris de se voir proposer un vrai long-métrage de fiction (intéressant, qui plus est), il sera stupéfait d’apprendre qui lui destine ce projet. Les producteurs de The City That Never Sleeps sont, en effet, son ancienne épouse divorcée Ellie (jouée par Téa Leoni) et l’homme pour lequel elle l’a quitté, Hal Yeager (Treat Williams). A la tête du studio Galaxy, Yeager représente tout ce que Val Waxman peut détester dans l’univers hollywoodien. Ajoutez le ressentiment amoureux d’un mari trahi, et vous comprendrez le dilemme devant lequel se trouve le réalisateur: dire non comme son coeur le lui dicte et perdre tout espoir de relancer sa carrière, ou alors accepter cette chance ultime et inespérée en faisant taire son amour-propre…

Satire et sentiment

Comment se déroulera la préparation puis le tournage de The City That Never Sleeps, nous ne vous le dévoilerons pas ici. Sachez tout juste que les rapports ambigus entre les personnages principaux y auront une influence certaine. Et qu’une surprise incroyable vous y attend! Malgré ce coup de théâtre inédit, Hollywood Ending s’inscrit dans la logique habituelle du cinéma de Woody Allen. La double question des relations avec les femmes et du rapport avec l’art a souvent occupé le centre de ses films. Elle connaît ici des développements essentiellement comiques, teintés d’une certaine tendresse, mais aussi d’une pointe d’amertume. Allen tourne un film par an et chacun d’entre eux le rapproche de sa propre fin de parcours, un « ending » dont la sympathique pirouette finale qu’il s’offre dans son nouvel opus ne fait pas oublier l’inéluctable menace. Sous le trait satirique comme toujours bien ciblé, derrière un nouveau et réjouissant portrait d’artiste hypocondriaque, on devine au détour d’un plan ou d’un aphorisme le sentiment profond d’un Woody sur lequel l’âge commence sans doute à peser. S’il fait toujours le clown pour notre plus grand plaisir, s’il esquive habilement toute tentation de lourdeur et masque soigneusement le profond pessimisme qui l’habite (et que révèle tout entretien un peu détaillé avec lui), Allen s’interroge de plus en plus clairement sur le but et le terme de son parcours d’homme et d’artiste, deux notions que la langue française unit sous le même terme de « fin ». Le fait que Hollywood Ending ne soit pas un de ses meilleurs films n’empêche pas qu’au-delà du (bon) divertissement se profile l’inquiétude d’un artiste angoissé par les atteintes de l’âge et navré par l’évolution du pays où il vit. Avec Hollywood en miroir et Manhattan en refuge. Avec, aussi, la tentation de l’exil, telle que l’esquisse la fin d’un film à méditer au-delà des rires qu’il offre en abondance.

Louis Danvers

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