Hollande l’illusionniste

Croissance, retraites, fiscalité, chômage, décentralisation, Europe… Le président feint plus qu’il ne fait. Et, si l’habileté est plus souvent au rendez-vous, les réformes nécessaires ne sont pas engagées. La chance viendra-t-elle suppléer au courage ?

Un bruit de bottes jamais ne comblera le silence. Que François Hollande affiche dans l’affaire syrienne une clarté de décision méritoire n’efface pas ses hésitations, tergiversations, calculs et compositions dans les dossiers de la rentrée. L’éclair pour l’international, la brume pour le national, telle est la météorologie paradoxale de ce président audacieux au lointain et pusillanime en France.

Le cas des retraites est le dernier exploit de l’illusionniste Hollande : il fait passer une retouche pour une réforme. Les mesures annoncées affichent une vraie lucidité comptable, qui pose l’équation de l’allongement de la durée de vie, donc des cotisations nécessaires pour les générations à venir. Mais sous cette cosmétique des chiffres les seules modifications du système, structurelles, entraînent des coûts supplémentaires, telle le  » compte-temps pénibilité « . La fin des régimes spéciaux, la convergence du public et du privé, la révolution de la retraite par points, le grand effort intergénérationnel pour que les baby-boomers gâtés par la vie aident vraiment les enfants de la crise : rien de cela n’est accompli, ni même amorcé, l’audace n’est nulle part et l’habileté s’infiltre partout. La droite française, honteuse encore de n’avoir pas fait plus en dix ans, se trompe de cible à concentrer ses tirs sur les hausses de cotisations, car il est logique de payer plus pour vivre mieux. La vraie faute de la gauche est ailleurs : elle manque à son devoir de réforme. Or, si elle ne modernise pas le modèle social français, il risque d’être un jour démonté par une nouvelle droite, ultra, aussi injuste que brutale, qui aura renié le vrai paternalisme chiraquien et le faux libéralisme sarkozyste.

François Hollande sort d’autres lapins de son chapeau. La  » pause fiscale  » décrétée en cette rentrée n’est que l’ajustement des efforts sur le nouveau calendrier de la rigueur : l’Europe ayant accordé à la France deux ans de plus pour redresser ses comptes, les Français auront leur part de sursis. Mais cette pause maintient le pays à un niveau de ponction fiscale qui étouffe le potentiel d’investissement, décourage l’esprit d’entreprise, affaiblit le goût du travail et bridera peut-être demain la capacité de consommation. La France a besoin d’un vrai palier de décompression, non d’une pause. Il faudrait pour cela une forte baisse des dépenses de l’Etat, que le magicien Hollande promet pour la loi de finances 2014, où il faudra distinguer les artifices des sacrifices.

La pause fiscale est d’autant plus une illusion que les collectivités locales s’apprêtent, à leur tour, à facturer leurs déboires budgétaires aux contribuables. Le gouvernement les a déjà autorisées à augmenter les droits de mutation (impôt payé par tout acquéreur d’un immeuble en France), et, passé les élections municipales, le bal des impôts se tiendra dans les campagnes. Les territoires ne se réformeront pas plus que l’Etat, et chercheront des recettes fiscales tous azimuts. Quel marché de dupes si on a la pause en haut et le choc en bas ! La nouvelle décentralisation en cours inquiète encore plus, avec ses métropoles qui vont ajouter des fonctionnaires aux fonctionnaires en zones urbaines, et ses nouveaux conseils généraux qui vont ajouter des élus aux élus en zones rurales. C’est à la gauche de fusionner les communes, de supprimer les départements, de créer de grandes régions et de diminuer le nombre d’élus tout en éradiquant le cumul des mandats, c’est sa mission depuis trente ans : elle ne fait rien de tout cela.

De même, c’est à elle de relancer l’idéal européen. Hollande vient d’avouer qu’il attendait les élections allemandes pour ouvrir ce chantier : il aura donc passé dix-sept mois à pratiquer l’esbroufe, parlant dans le vide de grands actes qu’il jugeait lui-même inutiles tant qu’un chancelier n’était pas installé dans la durée. Pendant ce temps, la situation institutionnelle de l’Union n’a cessé de se dégrader : l’Europe est aujourd’hui sans budget, sans volonté économique et sans unité géopolitique. Le pire trompe-l’oeil hollandais est ici : avoir fait carrière au Parti socialiste sur l’européanisme le plus affirmé et se révéler un président si timoré à Bruxelles, qui se plaint dans Le Monde de voir l’Europe obligée de s’excuser, mais n’assume pas, depuis un an, la responsabilité historique de la France sur le continent. Avoir abandonné le delorisme pour le dolorisme ne fait pas une stratégie.

Le prestidigitateur élyséen a lancé le 14 juillet, jour de la Fête nationale, sa plus belle colombe : elle s’appelle  » reprise « , et le public a envie de croire à cette apparition. Ni assurée ni impossible, ni réelle ni fictive, la reprise est un hologramme : on la voit mais on ne peut la toucher, on la distingue mais elle n’est pas là. En revanche, l’inversion de la courbe du chômage a toutes les chances d’être à l’affiche à la fin de l’année, car, comme le fakir Rabindranath Duval de Pierre Dac, François Hollande est en train de prouver qu’il  » peut le faire « . Chacun sait que les emplois aidés expliquent les récents chiffres de l’emploi, moins mauvais, mais seul compte le résultat du tour : le public n’est pas dupe face à la femme coupée en deux dont le tronc et les jambes virevoltent sur scène, mais il applaudit, ravi, l’inversion de ses courbes… En revanche, après les élucubrations économiques du ministre du Redressement productif Arnaud Montebourg, enfin raisonnable, aucune grande politique de réindustrialisation n’est engagée, et l’on voit mal comment de vrais emplois solvables remplaceraient, demain, ces petits boulots offerts aux chômeurs par les contribuables.

L’illusionnisme présidentiel est aussi de l’hypnose. En tranchant entre Manuel Valls et Christiane Taubira, Hollande endort les querelleurs, mais avalise une ambition pénale dont il n’a pas les moyens financiers ni politiques. Assurer la réinsertion des délinquants et éviter les  » sorties sèches  » coûte cher, et l’enfermement est la riposte des Etats pauvres ; sembler trop indulgent envers les délinquants se paie dans les urnes, et le pouvoir français ne peut ajouter ce risque électoral à la longue liste des mécontentements. De même, par sa récente gestion des ministres et des parlementaires, le président a créé une impression inédite d’autorité de Jean-Marc Ayrault et d’unité de sa majorité. Néanmoins, les élections locales raviveront les tensions avec les Verts.

Enfin, François Hollande a créé l’illusion d’avoir une opposition. A rappeler sans cesse le bilan de son prédécesseur et à prêter à la droite des dents plus grandes qu’elle n’a, il s’abrite derrière le rideau de fumée de la comparaison. Mais la droite n’a rien à proposer ni à opposer, et c’est contre ses propres faiblesses que doit lutter le pouvoir. La décomposition de l’UMP peut inquiéter par les turbulences idéologiques qu’elle entraîne, elle ne valorise en rien l’action gouvernementale.

Et si Hollande avait raison ? Ce murmure d’optimisme – cette ritournelle d’automne – dans un pays qui désespère même de son pessimisme sera peut-être validé par les chiffres de la fin d’année. Si la reprise est vraiment là, si le chômage baisse réellement, tant mieux pour la France et tant mieux pour ce président qui aura mis au service de son pays son tempérament joueur et sa baraka. Pour l’heure, quand le chef des armées redevient celui de l’Etat, quand il délaisse l’international pour revenir dans l’Hexagone, alors l’odeur de la poudre à canon cède la place, au premier étage de l’Elysée, au parfum de la poudre de perlimpinpin, et l’on craint de voir Jupiter se transformer en Garcimore.

Par Christophe Barbier

La reprise est un hologramme : on la voit mais on ne peut la toucher, on la distingue mais elle n’est pas là

Vous avez repéré une erreur ou disposez de plus d’infos? Signalez-le ici

Contenu partenaire