Bart De Wever et Elio Di Rupo © Belga

PS-Flandre: histoire d’un malentendu

Nicolas De Decker
Nicolas De Decker Journaliste au Vif

Ils s’ignorent et se toisent depuis des décennies, et leur incompréhension mutuelle n’est pas pour rien dans le blocage politique actuel. Retour sur presque 150 ans d’occasions manquées, plus encore quelques semaines d’incertitude.

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Les discussions s’éternisent, c’est le cycle éternel de la Belgique en crise. Charles Michel a remis sa démission au roi le 18 décembre 2018. Les élections se sont tenues le 26 mai 2019. Lundi 13 janvier 2020, le roi Philippe prolongeait la mission d’information de Georges-Louis Bouchez (MR) et Joachim Coens (CD&V). Le souverain, sous la suggestion du second, a invité les deux présidents à réexaminer l’éventualité d’une majorité associant le plus grand parti flamand, la N-VA, au plus grand parti francophone, le PS.

Un calcul assez simple

Depuis le 26 mai 2019 pourtant, un calcul assez simple établit que le PS est incontournable pour former une coalition fédérale. Or, le PS ne veut en aucun cas la composer avec une N-VA qui n’est, elle, pas incontournable.

Le deuxième parti flamand, le Vlaams Belang, ne peut pas gouverner avec le PS.

Les troisième et quatrième partis flamands, le CD&V et le VLD, n’osent pas dire qu’ils veulent bien gouverner avec le PS sans la N-VA. Ils redemandent donc au PS s’il est bien sûr de ne pas vouloir gouverner avec la N-VA.

Le cinquième parti flamand, le SP.A, veut bien gouverner avec le PS sans la N-VA, mais il trouve qu’il serait tout de même mieux que le PS gouverne avec la N-VA, et il plaide encore pour qu’on redemande au PS s’il est bien sûr de ne pas vouloir gouverner avec la N-VA.

Depuis huit mois, les cinq plus grandes formations politiques de la plus grande région de Belgique ignorent la réponse de la plus grande formation de la deuxième plus grande région de Belgique, et la plus grande formation de la deuxième plus grande région du pays ignore les questions des cinq plus grandes formations politiques de la plus grande région de Belgique.

C’est qu’il doit y avoir quelque chose qui ne tourne pas rond. C’est le cycle éternel de la Belgique en crise, dans une centrifugeuse qui tourne carré, et qui tourne de plus en plus vite. Le PS ne comprend pas la Flandre, et la Flandre ne comprend pas le PS.

C’est une histoire belge

C’est l’histoire d’un malentendu presque aussi vieux que le socialisme et que la Belgique.

Elle commence en 1885, cette histoire belge, avec la fondation d’un parti qui aura du succès en Wallonie mais dont les fondateurs seront très peu wallons (lire page 28), et se poursuit avec la croissance d’un parti dont les dirigeants, anticléricaux, seront peu sensibles au combat flamand.

La Flandre, en effet, est catholique, elle est pauvre, elle est paysanne. Mais déjà elle s’organise. Elle ne sera pas socialiste. L’Eglise, qui a vu les villes et les campagnes wallonnes se vider de ses fidèles à mesure que se creusaient les puits de mines et que s’élevaient les hauts-fourneaux, réagit. Dès 1886, à Gand la tisserande, la cité la plus socialiste des Flandres, la ville la mieux syndiquée du pays, le clergé local promeut la création de l’Antisocialistische Katoenwerkersbond (ligue antisocialiste des travailleurs du coton), l’ancêtre de la CSC. Cinq ans plus tard, en 1891, le pape Léon XIII a la Belgique en tête lorsqu’il rédige l’encyclique Rerum novarum, qui porte le syndicalisme chrétien sur les fonts baptismaux. Il avait été nonce à Bruxelles, Léon XIII, et Rerum novarum incitera les travailleurs catholiques à s’engager dans des associations d’entraide mutuelle, si possible avec leurs patrons, mettant en garde les classes laborieuses contre ces socialistes qui, dit-il,  » poussent à la haine jalouse des pauvres contre les riches « .

La Flandre ouvrière ne sera pas socialiste

Les socialistes belges, aux jeunes ego débordants d’optimisme et gonflés au marxisme, rigolent.  » Dans toute la partie flamande où nous avons encore peu d’influence, les démocrates-chrétiens vont jouer ainsi le rôle d’éveilleurs : ils disent aux paysans flamands, qui les écoutent, les vérités qu’ils n’écouteraient pas sortant de nos bouches, et ces premières clartés jetées, la réflexion et l’intérêt économique feront vite le reste « , écrivent Jules Destrée et Emile Vandervelde en 1898 dans Le Socialisme en Belgique. Ils se trompent car la superstructure syndicale démocrate-chrétienne sera prête quand la deuxième vague d’industrialisation frappera la Flandre : les mineurs de Campine, les ouvriers des usines automobiles, les travailleurs de la chimie portuaire, seront surtout démocrate-chrétiens. La CSC sera le plus grand syndicat du pays, le bloc catholique puis le CVP en seront le plus grand parti. En Flandre, Léon XIII a mis Marx au pas. La Flandre ouvrière ne sera pas socialiste.

Mai 2019 : John Crombez et Paul Magnette en campagne électorale à Ostende. Ca n'a pas très bien marché...
Mai 2019 : John Crombez et Paul Magnette en campagne électorale à Ostende. Ca n’a pas très bien marché…© fred debrock/id photo agency

Et puis la Flandre est certes catholique, elle est pauvre, elle est paysanne, mais son peuple parle surtout une langue méprisée par les fringantes institutions de la jeune Belgique.

Le mouvement flamand naît dans une petite bourgeoisie freinée dans son ascension sociale par l’Etat unitaire francophone, mais rapidement il gagne les classes populaires, confrontées parfois à l’arrogance d’un patron, d’un professeur, d’un propriétaire, d’un officier ou d’un maître qui refuse de se salir les lèvres à donner ses ordres en patois. Ses revendications d’égalité linguistique sont partagées par le bas clergé, qui se battra tout autant avec la hiérarchie conservatrice pour les faire admettre qu’avec les socialistes pour ne pas les lui céder. Ceux-ci ne sont pas foncièrement hostiles au combat flamand. Ils en sont alors surtout distraits par leur focalisation sur l’économie.  » Le problème, ce ne sont pas les belles paroles flamandes. Le problème, c’est le beefsteak !  » résumait le socialiste Gantois Edouard Anseele, père de la coopérative Vooruit, élu député en 1894 par les ouvriers de la circonscription de Liège, et dont les relations avec le flamingantisme étaient proverbialement mauvaises.

Moins obnubilé par la prééminence de l’infrastructure économique sur la superstructure linguistique, l’Anversois Camille Huysmans fut un flamingant de choc autant qu’un socialiste illustre. Après avoir conclu son mariage mystique avec le catholique Frans Van Cauwelaert, avec qui il lutta notamment pour la flamandisation de l’université de Gand, il fut bourgmestre d’Anvers et Premier ministre. Il signa avec Jules Destrée en 1929 un Compromis des Belges qui devait préserver à la fois la Belgique et le POB du séparatisme. Emile Vandervelde, patron du POB, déplora que le compromis se fût scellé sans l’aval du parti. C’est que les tensions communautaires mettaient déjà l’appareil socialiste à mal (les fédérations flamandes du POB puis du PSB tinrent des congrès séparés en 1937, 1951 et 1967, ils furent chaque fois tendus), quand bien même le mouvement flamand serait majoritairement catholique. Son pendant wallon, lui, pencherait plutôt à gauche, éloignant davantage la social-démocratie de la Flandre, et la Flandre de la social-démocratie.

1980 : André Cools et Karel Van Miert, les deux derniers (co)présidents du PSB-BSP unitaire se revoient. Ca ne marchait plus très bien...
1980 : André Cools et Karel Van Miert, les deux derniers (co)présidents du PSB-BSP unitaire se revoient. Ca ne marchait plus très bien…© belgaimage

Après la grève du siècle de l’hiver 1960 en effet, le Mouvement populaire wallon d’André Renard, auquel étaient d’abord réticentes les hiérarchies de la FGTB et du PSB-BSP, prit souche chez les socialistes wallons. André Cools, qui frôla l’exclusion du PSB pour avoir adhéré au MPW dans les années 1960, serait de 1973 à 1978 le dernier coprésident wallon du PSB-BSP unitaire, avec le Flamand Karel Van Miert. Les deux prirent acte de l’échec du pacte d’Egmont, qui visait alors déjà à terminer la fédéralisation de la Belgique, pour en conclure que toute vie commune était désormais impossible. Il y aurait en Belgique le PS d’un côté, le SP, plus tard SP.A, de l’autre et les socialistes du nord comme du sud pouvaient enfin assumer en avoir fini avec ce timide refrain,  » mieux vaut un ouvrier flamand qu’un patron wallon « , chantonné sans conviction depuis alors deux décennies.

L’histoire belge est aussi une histoire de famille, et le PS perdait son frère flamand qui, en ces terres inhospitalières, n’avait jamais empoché plus de 30 % des voix qu’une fois, en 1925.

Chacun désormais vivrait sa vie propre dans sa société propre, et dès les années 1980 le frangin flamand se montrait moins vindicatif que son cadet wallon. Le SP fut un des premiers partis sociaux-démocrates d’Europe à emprunter le chemin blairiste de la troisième voie, Karel Van Miert terminant du reste sa carrière comme commissaire européen à la Concurrence, alors que le PS, non sans ambiguïté, prétendait défendre la pureté de la tradition socialiste, notamment en maintenant plus fermes les liens de l’Action commune, avec le syndicat et les mutualités. Quand, au début des années 2000, le socialiste wallon Elio Di Rupo bravait à mains nues la mondialisation libérale au Forum social mondial de Porto Alegre, le socialiste flamand Frank Vandenbroucke se dérouillait les méninges en important en Belgique la vision manégériale de l’Etat social actif. Les faux jumeaux s’éloignèrent tant qu’après l’échec de l’orange bleue de 2007, le PS monta dans le gouvernement Leterme tandis que le SP.A choisit l’opposition.

Mars 2014 : Elio Di Rupo, alors Premier ministre, est invité à un congrès du SP.A. Ca n'a pas très bien marché non plus...
Mars 2014 : Elio Di Rupo, alors Premier ministre, est invité à un congrès du SP.A. Ca n’a pas très bien marché non plus…© Edwin Fontaine/reporters

C’était inédit : jamais en Belgique un parti n’avait siégé dans l’opposition tandis que son frère était au pouvoir, et c’étaient les socialistes francophones, ceux qui avaient jadis dit préférer un ouvrier flamand à un patron wallon, qui brisaient la solidarité de classe.

La crise de 2010-2011 fit d’Elio Di Rupo un réconciliateur empathique et un Flamand de carton. Son mauvais néerlandais, bien sûr, mais aussi son parcours politique, d’incarnation presque pharaonique de la Wallonie à Premier ministre d’un gouvernement d’union nationale, l’érigèrent en défouloir d’une droite flamingante déchaînée. Il est difficile, pour un président du Parti socialiste, de se faire aimer dans une Flandre dominée par la droite flamingante. Il est impossible d’y faire aimer le Parti socialiste dans une Flandre où le SP.A fait 10 %. Pourtant Paul Magnette, né à Louvain où ses parents étudiaient, se donne des airs d’y croire, et encore plus d’airs de le pouvoir. Son néerlandais est excellent. Il a écrit des chroniques très lues dans De Standaard, qu’il continue à lire, dit-il, chaque jour. Il a engagé une porte-parole flamande. Il brille sur les plateaux télévisés de là-bas. Et il avait, disait-on jusqu’il y a quelques jours dans l’entourage présidentiel, pris un fraternel ascendant sur le jeune Conner Rousseau, qui ne parle pas français et qui préside le SP.A depuis novembre 2019, dans les discussions fédérales.

Mais c’est pourtant le SP.A de Conner Rousseau, avec son prédécesseur Johan Vande Lanotte qui, le week-end dernier, s’est remis à demander si le PS était bien sûr de ne pas vouloir gouverner avec la N-VA.

Et ce sont les libéraux, au MR et à l’Open VLD, qui ont le plus fermement dit que ça n’en valait pas la peine. Alexander De Croo a même dit que le front libéral était plus fort que le front flamand.

C’est donc sur les adversaires libéraux, soit sur le deuxième parti francophone et sur le quatrième parti flamand, qui eux voulaient bien gouverner avec la N-VA, que doit compter aujourd’hui le PS pour faire bien comprendre à la Flandre qu’il ne veut pas gouverner avec le premier parti flamand.

C’est ironique, parfois, une histoire belge.

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