Isaac Rosa. © M. Lois

Heureuse fin

Une fois par mois, l’écrivaine Caroline Lamarche sort de sa bibliothèque un livre qui éclaire notre époque.

Est-ce une anomalie? Nous sommes plusieurs à avoir dépensé l’équivalent de cinq repas dans un restaurant d’avant le confinement pour nous pourvoir en ouvrages de la rentrée qui nous sont parfois tombés des mains. J’avoue être, comme lectrice, une voyageuse de nuit qui a préféré dernièrement, aux volumes primés à Paris, La Confiture de morts de Catherine Barreau (Prix Rossel 2020), ou encore et toujours, du récent panthéonisé Maurice Genevoix, Ceux de 14 (que la censure, à l’époque, avait écarté du Goncourt). On ne le dira jamais assez: gonfler des livres qui ne nous rendent pas la beauté et l’énergie qu’appellent les temps que nous vivons, ce n’est pas un crime sans importance. Cela frappe à l’âme et au portefeuille, et nous avons bien besoin des deux, le coût de la vie étant ce qu’il est.

Heureuse fin
© debby termonia

J’ai pris l’habitude de lire, pour me consoler, des ouvrages traduits. Le Femina étranger, par exemple, qui s’offre cette année le luxe de deux titres de la même écrivaine, dont j’ai lu le jaune, gardant le violet pour plus tard. Au même moment et sur le même sujet – un divorce, la solitude, la précarité, les enfants, les factures -, a surgi un livre autrement original et même, ai-je envie de dire, stupéfiant (1). « Je pense, que pour beaucoup de gens de ma génération, tout vient de la stupeur », dit en effet Isaac Rosa (Séville, 1974) dans un entretien sur son oeuvre. Une stupeur qui, chez lui, s’applique autant à l’héritage de l’histoire – la guerre civile, la dictature, la transition démocratique – qu’à l’histoire intime, furieusement contemporaine, d’un couple dans l’Espagne d’aujourd’hui. C’est cette stupeur, ce désarroi et la manière, qui en découle, de creuser jusqu’aux larmes, jusqu’au rire, qui font parfois défaut dans les livres à bandeau rouge.

(1) Heureuse fin, par Isaac Rosa, traduit de l'espagnol par Jean-Marie Saint-Lu, Christian Bourgois éditeur, 320 p.
(1) Heureuse fin, par Isaac Rosa, traduit de l’espagnol par Jean-Marie Saint-Lu, Christian Bourgois éditeur, 320 p.

Le livre d’Isaac Rosa met en scène les deux protagonistes du couple dans des monologues qui se répondent sur plus de trois cents pages. Une prouesse psychologique et sensible – se mettre à la place de l’autre, proposer les deux versions de l’histoire – qui nous emporte et fait mouche. Car qui n’a vécu le déchirement de constater que l’amour de votre vie, celui ou celle que vous aviez choisi pour « vieillir ensemble » – projet magnifique annoncé dès la première ligne -, presque soudainement ne l’est plus, ou du moins plus de manière à poursuivre ensemble? Mais l’amour demeure, ou sa trace. Comment expliquer, sinon, la fougue de ce récit où se nouent les réalités de la survie quotidienne – partager les biens, trouver un logement, s’occuper à mi-temps des enfants – et le vertige de perdre le corps de l’autre après  » les treize meilleures années de notre vie » ?

Autre prouesse, technique celle-là: Isaac Rosa nous livre un parcours à rebours, depuis le constat du non-vieillir-ensemble jusqu’à la première rencontre illuminée par l’espoir d’un bonheur durable. Enfin, le livre est traduit par un orfèvre en la matière, capable de restituer la virtuosité d’une écriture. Une heureuse fin à notre quête automnale.

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