Jacques Attali

Haro sur le  » système « 

Jacques Attali

La campagne électorale française, comme celles qui l’ont précédée en Grande- Bretagne, aux Etats-Unis et aux Pays-Bas, et celles qui s’annoncent dans d’autres pays, est l’occasion, pour de très nombreux candidats, de se prononcer contre le  » système « , responsable de tous les malheurs, de tous les échecs, de toutes les difficultés. C’est le  » système  » qui aurait créé le chômage, la pauvreté, le mal- logement, le mal de vivre, la malbouffe, le terrorisme et même, prétendent certains, le réchauffement climatique.

Il n’est pas nouveau qu’on cherche une cause unique à tous les malheurs d’un temps. C’est même une pratique courante. Les Grecs lui ont donné le nom de pharmakon, qu’on a traduit par  » bouc émissaire « , en référence à une ancienne pratique de Judée : celui qu’on punit pour les crimes de tous, pour éviter d’avoir à se venger les uns des autres ; et qui, par sa mort même, rétablit l’ordre social. Au travers des siècles, bien des groupes et des peuples ont endossé ce rôle : sorcières, tsiganes, noirs, arabes, francs-maçons, juifs, chrétiens, musulmans, et tant d’autres étrangers au groupe.

Depuis quelque temps, ce rôle est de plus en plus attribué à une étrange entité, qu’on appelle le  » système « . Le mot est assez vague pour que chacun de ceux qui l’utilisent et chacun de ceux qui l’entendent puissent y mettre ce qui les arrange. Pour certains de ceux qui l’emploient, ce sont les hommes politiques ; pour d’autres, les chefs d’entreprise ou les riches ; pour d’autres encore, les hauts fonctionnaires, français ou européens. Plus généralement, tous ceux qui font en sorte que la société fonctionne comme elle fonctionne aujourd’hui ; plus généralement encore, tous ceux qui ont réussi dans le cadre des règles du jeu actuel et qu’on désigne comme une oligarchie. Et plus généralement encore, les règles du jeu elles-mêmes, c’est-à-dire l’économie de marché, l’ouverture des frontières, le régime parlementaire, la démocratie. Ce système qui aboutit, aujourd’hui, à une situation frustrante, injuste et inacceptable, à bien des égards, pour une vaste majorité des gens, qui n’ont pas d’espoir de voir leur situation s’améliorer et où une petite minorité, devenant héréditaire, s’octroie tous les privilèges.

De même, ceux qui l’entendent y mettent un sens spécifique, en général celui de la cause qu’ils ressentent à leur sentiment d’injustice et de frustration.

Alors, quand vous entendrez parler du système, demandez-vous ce à quoi vous pensez, et vous saurez ce qui vous gêne dans la société, et vous vous demanderez si c’est juste. Vous vous demanderez ce que visent vraiment ceux qui le dénoncent, et s’ils ne font pas si peu de cas de ceux à qui ils parlent qu’ils croient pouvoir leur faire croire à des généralités si sommaires.

Vous vous demanderez si, d’une certaine façon, le système, ce ne sont pas simplement, pour chacun de nous, les autres, quand on a des difficultés d’accepter leurs succès, quand on considère leur puissance ou leur richesse, ou leur réussite, comme illégitimes. Vous vous demanderez s’il faut vraiment remettre en cause tout ce qui fait notre démocratie, notre mode de vie, notre laïcité, l’ouverture de nos frontières, notre capacité à accueillir notre part de la misère du monde ; ou s’il ne vaut pas mieux, encore et encore, améliorer profondément ce fragile et délicat équilibre qu’on appelle la démocratie de marché. Pour faire en sorte que la sagesse de l’une équilibre la vitalité de l’autre.

Jacques Attali

 » C’est le système qui aurait créé le chômage, la pauvreté, le mal-logement, le mal de vivre, la malbouffe, le terrorisme et même (…) le réchauffement climatique  »

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