Haro sur l’euro !

Son pamphlet sur le péril de l’islam fut un best-seller. L’ex-banquier Thilo Sarrazin s’attaque à la monnaie unique au moment où l’opinion appelle au respect de l’orthodoxie budgétaire.

DE NOTRE CORRESPONDANTE

Le polémiste allemand Thilo Sarrazin, ex-membre du directoire de la Bundesbank, est passé maître dans l’art de prendre soin de ses finances personnelles. Après un premier pamphlet sur l’immigration, publié en 2010 et qui l’a rendu millionnaire (1,5 million d’exemplaires vendus), cet ancien fonctionnaire vient de sortir un deuxième ouvrage, au titre définitif : L’Europe n’a pas besoin de l’euro. Pour faire parler de lui et pousser les ventes, l’auteur y développe un argument douteux : éternelles victimes d’un chantage sur leur passé, les Allemands auraient tendance à vouloir expier leur faute en payant pour les autres. Ainsi, si Berlin prenait en charge le laxisme budgétaire de ses partenaires – par exemple en acceptant les eurobonds -, ce serait pour régler la note de l’Histoire. Il y aurait donc un lien étroit entre Shoah et euro-obligationsà Une fois posée cette thèse hasardeuse, Thilo Sarrazin développe dans son manifeste des arguments économiques souvent entendus outre-Rhin : introduire une monnaie commune avant une union politique et fiscale était une erreur, constate-t-il en 417 pages, mais, pour sauver l’euro, il faut désormais revenir aux fondamentaux des traités et respecter une stricte discipline budgétaire. En dépit de son titre, l’essai ne remet pas en question la monnaie commune, mais la gestion de la crise.

L’accueil réservé à ce nouvel ouvrage révèle que l’ancien ministre des Finances du Land de Berlin a  » touché un nerf « , comme disent les Allemands. Quelque 300 journalistes sont venus assister à la présentation du livre. La presse en a fait ses gros titres, à l’instar du Bild Zeitung ( » A-t-il raison ? « ) et, malgré son manque absolu de charisme, sa voix monocorde et ses hésitations sur le choix des mots, Sarrazin a été la vedette d’un talk-show populaire du dimanche soir : Avons-nous vraiment besoin de l’euro ?

1 Allemand sur 2 regrette l’introduction de l’euro

 » Ce livre arrive à un moment où les Allemands se posent de grandes questions sur la stratégie européenne, notamment à l’égard de la Grèce, remarque Daniela Schwarzer, chercheur à la Fondation Wissenschaft und Politik. Malgré l’engagement important de leur pays dans tous les mécanismes de sauvetage, ils s’interrogent : l’union monétaire peut-elle toujours fonctionner telle quelle ?  » A en croire les sondages, la réponse est clairement nein. Ainsi, 67 % des Allemands estiment que la Grèce doit quitter l’euro, 49 % que l’introduction de la monnaie unique était une erreur. Angela Merkel ne peut ignorer ce scepticisme grandissant, relayé sur le plan politique par une frange de députés conservateurs et libéraux toujours prêts à dénoncer l' » irresponsabilité collective  » de la solidarité européenne. Même l’opposition SPD-Verts a cessé de défendre les eurobonds proposés par le président français François Hollande (voir l’encadré). Isolée au sein de l’Union, la chancelière n’a aucun intérêt à sacrifier son orthodoxie budgétaire, toujours très populaire en son pays. Les chiffres sur les ventes du nouveau livre de Thilo Sarrazin devraient, dans quelques semaines, le confirmer.

BLANDINE MILCENT

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