Halte aux réflexes autarciques !

La dernière mission princière a mis en exergue une certaine présence industrielle belge en Thaïlande. Elle pourrait cependant en inquiéter plus d’un chez nous. Explications.

Quel contraste entre une Belgique grelotant de froid, minée par les annonces ou rumeurs de fermetures ou de restructurations d’entreprises (Duferco, ArcelorMittal, Saint-Gobain, TNT…) et une Thaïlande qui, au-delà des 34° de température ambiante, affiche un taux de croissance annuel dépassant allègrement les 6 % (18,9 % pour le seul 4e trimestre de 2012, sic !) et qui ne connaît pour ainsi dire pas le chômage ! Au-delà de ce cliché, ceux qui ont fait le choix de participer à la mission princière en Thaïlande ne s’y sont pas trompés : ce pays est – vraiment – the place to be pour faire du business, surtout quand on sait qu’il est au coeur de l’Asean (l’Association des nations du Sud-Est asiatique), laquelle sera, d’ici à 2015, carrément édifiée en communauté économique !  » Dans les faits, on a là un marché potentiel de 600 millions de consommateurs au pouvoir d’achat grandissant, assure Jean-Claude Marcourt (PS), coiffant ici sa casquette de ministre régional de l’Economie et du Commerce extérieur. Il y a ici des besoins énormes à couvrir dans des domaines aussi variés que les infrastructures, la santé, l’agro-alimentaire, la logistique, les sciences, bref, des secteurs où les talents de nos propres opérateurs ne sont plus à démontrer.  »

Solvay et Magotteaux, pour ne citer qu’elles, l’ont anticipé et ont investi massivement en Thaïlande ces dernières années, aidées il est vrai aussi par certains avantages compétitifs indéniables offerts par ce pays : des coûts salariaux ridicules au regard des nôtres ainsi que des exonérations fiscales sur le moyen terme…

Le spectre des délocalisations

Voir nos plus beaux fleurons industriels préférer investir sous d’autres cieux plutôt que chez nous, n’est-ce pas, au fond et/ou à terme, (contribuer à) sacrifier les usines belges et les emplois qui en dépendent ? Chez Magotteaux, l’un des plus beaux fleurons industriels wallons, on s’en défend, avec conviction :  » Nous ne sommes vraiment compétitifs que si nous sommes géographiquement proches de nos marchés, explique Stéphane Plapied, directeur et business manager Asie. Vous savez, les seuls besoins en ciments – et donc en boulets de cimenterie – de la Thaïlande représentent à eux seuls six fois les besoins du seul marché belge ! Bref, tout ce que nous produisons ici a pour vocation de s’écouler ici et s’écoule effectivement ici.  » Et, d’année en année, le succès de Magotteaux en Thaïlande ne s’est en fait jamais démenti. Une première usine en 1993 avec une production de 4 000 tonnes. En 2010, la production était entretemps passée à 78 000 tonnes, avec un outil arrivé à saturation. L’usine inaugurée voici tout juste un an et celle actuellement en cours de construction permettront de porter la production annuelle à 145 000 tonnes d’ici à 2015. Ces infrastructures constitueront alors le plus gros site de Magotteaux à travers le monde !  » Je vous l’assure, il n’y a aucune arrière-pensée de produire à terme ici de quoi renvoyer ensuite vers l’Europe, vraiment pas, conclut Stéphane Plapied. Au demeurant, j’ajoute que les besoins divers et variés de nos clients dans cette partie du monde – en ce compris l’industrie minière, jusqu’en Australie – génèrent en tout cas pas mal de travail pour nos équipes de R&D basées en Belgique…  »

Concrètement, le cas de Magotteaux constitue là un exemple de croissance externe réelle. Certainement pas un  » marchepied  » préparant la voie à une forme de délocalisation des activités et de désindustrialisation de notre propre tissu économique. Tout le monde ne peut cependant pas en dire autant…

Sous l’angle politique et éthique, Jean-Claude Marcourt dit en tout cas comprendre la volonté légitime des Etats à chercher à développer leur propre économie – et donc les constructions d’usines locales – plutôt que d’être tributaire de leurs seules importations. Ce qui est vrai chez nous l’est tout autant en Thaïlande. Jean-Claude Marcourt se dit également rétif face aux relents de protectionnisme qu’il perçoit de plus en plus :  » La taille du marché belge, et même la taille du marché européen, font que notre pays a toujours eu une grande vocation à l’exportation. Depuis toujours, notre prospérité repose sur nos échanges. Bref, toute forme de protectionnisme ou de retour à une certaine forme d’autarcie nous serait très préjudiciable. Restent néanmoins deux problèmes d’envergure, à résoudre à l’échelon de l’Europe. Primo, l’Europe est devenue une passoire qui, en l’état, n’arrive pas à faire respecter à nos concurrents les règles qu’elle fait appliquer à ses propres entreprises, qu’il s’agisse de normes sociales ou environnementales, pour ne citer que celles-là. Secundo, l’absence de tout réel projet européen ambitieux. Il n’est pas possible de mobiliser les énergies et les gens sur des seules considérations d’objectifs budgétaires.  »

En Thaïlande en tout cas, on n’entrevoit pas l’avenir de façon morose, bien au contraire. Du pain bénit pour ceux qui s’intéresse(ro)nt à ce marché !

DE NOTRE ENVOYÉ SPÉCIAL EN THAÏLANDE – JEAN-MARC DAMRY, À BANGKOK

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