Guerre de chefs à Bucarest

Le Premier ministre ne veut pas cohabiter avec le président. Pour le chasser plus facilement, il change les règles du jeu. Cinq ans après l’adhésion du pays à l’Union européenne, l’apprentissage du jeu démocratique n’est pas terminé.

La Commission européenne n’a pas pris de gants. Son dernier rapport sur la Roumanie, publié le 18 juillet, est accablant. La  » classe politique tout entière  » est invitée à faire la preuve de son  » engagement  » en faveur de la démocratie. Le nouveau Premier ministre, Victor Ponta, qui avait cru, ces dernières semaines, pouvoir changer les règles du jeu institutionnel pour se débarrasser plus facilement du chef de l’Etat, est sommé de rectifier le tir.

Si l’institution bruxelloise est aussi sévère, c’est que le pays est plongé dans une crise politique qui a mis en évidence la difficulté des dirigeants roumains à accepter les contraintes du pluralisme. Au début du mois de mai, parce qu’un certain nombre de députés ont préféré virer de bord plutôt que d’avoir à assumer face à leurs électeurs une politique d’austérité très impopulaire, le gouvernement conservateur a été mis en minorité. Mais la nouvelle coalition gouvernementale, sociale-démocrate et libérale, refuse de cohabiter avec le président de droite, Traian Basescu, qu’elle accuse d’outrepasser ses pouvoirs. Les étiquettes ont, en la matière, assez peu d’importance. Le conflit relève d’abord de l’incompatibilité d’humeur. Il traduirait aussi, selon plusieurs analystes, la crainte de certains politiciens d’être traînés en justice pour détournement de fonds.

Le 6 juillet, les députés ont utilisé une disposition de la Constitution qui leur permet, en cas de  » manquements graves « , de destituer le chef de l’Etat. Mais leur décision doit être confirmée par référendum. La consultation aura lieu ce 29 juillet. Des bureaux de vote ont été installés en urgence dans les stations balnéaires de la mer Noire afin d’éviter une trop forte abstention. Le Premier ministre, qui avait d’abord rayé d’un trait de plume le seuil de 50 % d’inscrits prévu par la loi pour valider le résultat, a été ensuite obligé de faire machine arrière sous la pression des Européens.

Ce n’est pas la première fois que Basescu est ainsi mis sur la sellette. En 2007 déjà, le Parlement l’avait révoqué. A l’époque, l’électorat n’avait pas suivi. Mais cette fois, après trois années de crise économique, sa cote de popularité est au plus bas. Vieux routier de la politique, Basescu est, comme tous les politiciens roumains de sa génération – il a 60 ans -, issu de la nomenklatura communiste. Ancien capitaine de marine, il est l’homme fort du pays, depuis sa première élection à la présidence en 2004. C’est un  » hyperprésident « , qui laisse peu de marge de man£uvre à ses Premiers ministres et moins encore aux parlementaires, qu’il traite avec arrogance.  » Il est presque impossible de travailler avec lui, il a un incroyable talent pour se faire des ennemis !  » confie Adrian Cioroianu, qui fut un temps son ministre des Affaires étrangères.

Basescu, le  » bon élève  » de l’Union européenne

C’est pourtant une autre facette de sa personnalité qui expliquerait qu’il soit devenu l’homme à abattre. Après s’être rapproché, au début des années 2000, de la droite européenne (Parti populaire européen), dont il est aujourd’hui l’une des figures majeures, Basescu est devenu un  » bon élève  » de l’Union. A la grande satisfaction de la Commission, il a soutenu, au ministère de la Justice, les réformes entreprises d’abord, entre 2005 et 2007, par Monica Macovei puis par Catalin Predoiu.

Il a aussi nommé les deux personnages qui ont diligenté les premières enquêtes visant des politiciens : Daniel Morar, à la direction nationale anticorruption, et Laura Kovesi, à la tête du parquet. Le mandat du premier expire en août, celui de la seconde en octobre. Seront-ils reconduits ? Remplacés ? Par qui ? Analyste politique et membre fondateur du think tank Expert Forum, Sorin Ionita est convaincu qu’ils sont les  » vraies cibles  » de l’opération anti-Basescu.  » Le principal clivage en Roumanie, assure-t-il, oppose non pas la droite à la gauche, mais ceux qui luttent contre la corruption et le clientélisme aux partisans du maintien de l’impunité. La condamnation de l’ancien Premier ministre Adrian Nastase et son arrestation, le 20 juin, après sept ans de procédure ont été un choc pour la classe politique. Basescu a beau être un cow-boy têtu, il a brisé l’omerta !  » Une analyse que partage Tia Serbanescu, éditorialiste au quotidien Curentul. Elle aussi voit dans le renouvellement des mandats de Daniel Morar et de Laura Kovesi le  » réel objet du bras de fer « .  » Le fait que la justice commence à fonctionner radicalise l’opposition entre les partisans de la modernisation et ceux qui la craignent, ajoute-t-elle. Or ces derniers sont majoritaires au Parlement.  »

Le nouveau Premier ministre social-démocrate, Victor Ponta, n’était pas, au début, le plus acharné contre Basescu. Cet homme jeune – il a 39 ans – plutôt convivial, que l’on dit un peu velléitaire, était de ceux qui plaidaient pour que le dossier de la destitution du chef de l’Etat ne soit pas ouvert avant les élections législatives, prévues fin novembre ou début décembre. Les pressions venaient des caciques de son propre parti et surtout de ses deux partenaires au sein de la coalition gouvernementale, Crin Antonescu, le chef des libéraux, candidat à la succession de Basescu, et Dan Voiculescu, un affairiste notoire, patron de chaînes de télévision et chef d’un petit parti conservateur.

Ponta a surtout fait preuve d' » immaturité politique « 

Mais en juin, deux événements, presque concomitants, l’ont conduit à durcir sa position : la condamnation définitive d’Adrian Nastase, son mentor en politique, à deux ans de prison dans une affaire de corruption ; les révélations d’une revue scientifique, l’accusant d’avoir largement plagié sa thèse de doctorat en droit, soutenue en 2003. Victor Ponta est, à tort ou à raison, convaincu que c’est Basescu qui a fait sortir cette affaire de plagiat, pour le déstabiliser. Sa riposte prend l’allure d’un Blitzkrieg : en trois jours, il remplace les présidents des deux chambres du Parlement, le médiateur et le patron de la télévision publique, promulgue une  » ordonnance d’urgence  » modifiant les modalités du référendum sur la destitution du chef de l’Etat, puis une autre qui rabote les pouvoirs de la Cour constitutionnelle. Des mesures prises sans que le chef du gouvernement roumain cherche à les justifier auprès de ses partenaires européens, chez qui la surprise est totale. D’où le sévère rappel à l’ordre de la Commission.

En privé, un haut fonctionnaire de celle-ci se dit convaincu que Ponta a surtout fait preuve d' » immaturité politique « , en ne mesurant pas le risque qu’il prenait de s’attirer les foudres de l’Europe.  » Basescu, ajoute-t-il, lui aussi, dans le passé, avait pris des ordonnances injustifiées. Mais il y mettait davantage les formes.  » Le jeune Premier ministre a dû rétropédaler. Il saura, le 29 juillet, s’il doit, en outre, apprendre les règles de la cohabitation. Le représentant de la Commission européenne à Bucarest, Niculae Idu, espère, quant à lui, que les Roumains finiront par  » changer leur manière de faire de la politique « à

DE NOTRE ENVOYÉE SPÉCIALE DOMINIQUE LAGARDE

 » Le principal clivage en Roumanie oppose ceux qui luttent contre la corruption aux partisans de l’impunité « 

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