Grippe A : on en fait trop ?

Soraya Ghali
Soraya Ghali Journaliste au Vif

Les pays développés se mobilisent pour prévoir l’imprévisible. Mais le virus A/H1N1 soulève la polémique.

C’est l’alerte générale, la veillée d’armes. La lutte mondiale, déclarée contre un ennemi nouveau, si rapide et inconnu : personne ne peut prédire la stratégie du virus H1N1. Nul ne le sait, mais  » le plus difficile est sans doute à venir « , prévient l’OMS. Et comme en 1957 (grippe asiatique) et en 1968 (celle de Hongkong), le fantôme de la grippe espagnole de 1918 resurgit. Pourtant  » le danger d’une néo-grippe espagnole reste très faible, assure le Dr Luc Bonneux, épidémiologiste travaillant à l’Institut démographique interdisciplinaire aux Pays-Bas (Nidi). Une grippe comme celle de 1918, dit encore le chercheur, n’a frappé qu’une seule fois en deux mille ans, et dans des circonstances exceptionnelles : c’était la fin de la guerre, les gens étaient stressés, les conditions sanitaires, précaires, nous n’avions pas d’antibiotiques. La bête féroce d’aujourd’hui, très contagieuse, se révèle donc pour l’instant bénigne. « 

Alors, n’en fait-on pas un peu trop avec cette grippe A/H1N1 ? Oui, affirme Luc Bonneux. Qui rappelle qu’en 2005 l’OMS craignait que sa  » cousine  » aviaire (H5N1) ne tue jusqu’à 150 millions de personnes. A l’heure actuelle, elle aurait fait 257 morts sur 421 contaminés. Et aucun cas de transmission entre humains du H5N1 n’a encore été mis en évidence. Quelques mois plus tôt, la maladie de la vache folle aurait pu emporter, selon la revue scientifique Nature, 370 000 victimes rien qu’en Grande-Bretagne…

Pourquoi et comment la crainte du H1N1 s’est-elle emballée ? Le Dr Luc Bonneux avance deux éléments. Celui du lien entre l’industrie pharmaceutique et les académies, sur fond de compétition : grâce aux vaccins, la grippe A recule. Dès lors  » au cours des années 1990, les groupes de recherche sur le virus grippal n’avaient pas assez de malades pour mener des études représentatives. Par conséquent, ils ne publiaient pas dans les prestigieuses publications scientifiques et n’empochaient aucun subside. Ils avaient donc tout intérêt à alerter sur un danger potentiel mais peu probable. D’autant qu’au sein de l’OMS le sida tenait le haut de l’affiche. Même les maladies cardio-vasculaires (qui augmentent aussi en Afrique) peuvent difficilement attirer la même attention du public que la grippe. « 

Seconde explication : le journaliste scientifique est une espèce en voie de disparition. Or il est le seul à pouvoir opposer une résistance aux lobbyistes scientifiques. Sa quasi-absence a un impact sur la qualité de l’info : les médias ne retiennent que les messages alarmistes. Entre les deux, les responsables politiques n’osent pas résister et préfèrent en faire un peu trop pour ne pas être accusés de ne pas en faire assez. Leur métier n’est-il pas de prévoir ?  » Il y a peut-être une surmédiatisation qui donne l’impression qu’on en fait trop. Mais l’essentiel est d’avoir un plan bien structuré, qui ne sera pas forcément à appliquer de la première à la dernière ligne « , reconnaît Jan Eyckmans, porte-parole du SPF Santé publique

 » Globalement, je ne pense pas qu’on surréagit. Nous sommes face à un virus très contagieux, transmissible involontairement par le seul fait de respirer, de serrer la main… Certes sa létalité ( NDLR : taux de mortalité parmi les personnes malades) n’est pas affolante, mais il faut rester sur ses gardes, car nous sommes face à un virus qui n’a pas le profil habituel d’un virus grippal. Il a un profil pandémique parce que, du fait de sa nouveauté, la population n’est pas immunisée contre lui. Surtout, il fait des victimes chez des gens jeunes qui, habituellement, ne meurent pas de la grippe saisonnière. En plus, c’est un virus qui peut muter « , souligne le Pr Nathan Clumeck, chef du service des maladies infectieuses au CHU Saint-Pierre (Bruxelles). Mutation du virus, disponibilité du vaccin, pics de virulence… autant d’inconnues qui réveillent dans l’inconscient collectif des images apocalyptiques rappelant les grandes épidémies du passé (lèpre, peste, choléra…). Laissant place, alors, à la psychose.

SORAYA GHALI

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