Grand nettoyage de printemps

La fédération PRL-FDF-MCC prépare sa mutation en une « grande alliance citoyenne » pour le printemps prochain. D’ici là, bien des écueils subsistent: tout le monde n’est pas sur la même longueur d’onde

« Impossible de travailler sérieusement dans de telles conditions! s’émeut un membre – un « travailleur de l’ombre », ainsi qu’il se qualifie lui-même – du cabinet de Hervé Hasquin, le ministre-président de la Communauté française: « on » fait continuellement peser une épée de Damoclès sur notre tête ou, plus précisément, sur celle de notre « patron ». C’est la nouvelle mode, au PRL: le président joue avec ses ministres comme avec les pions d’un jeu d’échecs, histoire de montrer que c’est lui le chef. Cela crée une ambiance détestable! » Sont-elles fantaisistes ou fondées, ces rumeurs qui présentent les ministres libéraux de la Communauté française, Hervé Hasquin et Richard Miller, comme des fusibles que Ducarme pourrait faire sauter dès le retour du printemps (Pierre Hazette, lui, que l’on a dit un moment menacé, serait rentré dans les grâces présidentielles)? « Il faut bien constater que le gouvernement de la Communauté française ne fonctionne pas extrêmement bien », lance-t-on, laconiquement, dans les couloirs du parti. Du coup, la parano gagne: Antoine Duquesne lui-même, ministre de l’Intérieur, craindrait pour son avenir ministériel au sein du gouvernement fédéral.

Ces crispations, qui couvent depuis plusieurs mois déjà, se sont récemment renforcées, après l’éviction de Jean-Marie Severin du perchoir de la Communauté française. Officiellement, un geste fort s’imposait après la sortie politiquement incorrecte de Severin sur la fusion, d’après lui souhaitable, de la Communauté française et de la Région wallonne, une option désormais abandonnée par le PRL. La « peine » infligée à Severin a pourtant suscité des réactions en sens divers au sein du parti: dans l’entourage de Louis Michel, notamment, certains se sont offusqués de sa sévérité. Severin, lui, est monté aux barricades avant de déposer les armes: « Daniel Ducarme déplace ses pions au gré de son humeur, dénonce le président déchu du Parlement communautaire (Severin avait connu, auparavant, une brève carrière de ministre régional wallon, avant d’être répudié par… Ducarme). Ce faisant, il s’arroge un pouvoir excessif, en violation avec les statuts du parti. Et, surtout, il crée une ambiance détestable. » Un verdict que ne démentiront sans doute pas les trois parlementaires – Chantale Bertouille (Région wallonne), Marc Cools (Région bruxelloise) et Philippe Smits (Communauté française) – récemment dégommés au profit d’éléments plus « méritants ». La vice-présidence du parti – que se partagent trois mandataires – change, elle aussi, régulièrement de mains. Françoise Schepmans, appelée à remplacer Severin au perchoir communautaire, passera vraisemblablement, d’ici peu, le flambeau à Anne Barzin, la protégée du président.

Bien sûr, celui-ci a ses supporters: « Le chef de file d’un parti a traditionnellement le pouvoir de décision sur les mandats exécutifs, et c’est bien normal », commente le député bruxellois Ouezekhti, dont on dit qu’il pourrait bien, lui, hériter sous peu d’un portefeuille ministériel. « Le président doit veiller à faire monter au front ses meilleurs éléments », confirme l’un des membres de la nouvelle (!) garde rapprochée de Ducarme, composée de six personnes, parmi lesquelles figurent Philippe Pivin et Alain Zenner, l’actuel et l’ancien chef de cabinet du président, ainsi qu’Alain Gerlache, l’attaché de presse du Premier ministre (!).

Précisément, pour ce qui est de la stratégie du parti et de la fédération PRL-FDF-MCC, Daniel Ducarme aurait pris du galon. De l’avis général, le travail de titan accompli par ce dernier lors de la négociation de la dernière réforme de l’Etat (accords de la Saint-Polycarpe et du Lambermont) lui aurait valu la reconnaissance – méritée – du « grand » Louis Michel qui, jusqu’il y a peu, maintenait fermement la tutelle sur son premier lieutenant. Le partage du travail entre le ministre des Affaires étrangères et le président serait, désormais, très clair. Ducarme est bel et bien le chef du parti et de la fédération; Michel est l’emblème du parti au gouvernement, la caution morale de la fédération, le porte-drapeau du libéralisme social chargé de veiller à la prolongation de l’alliance gouvernementale cosignée par les libéraux et les socialistes, en juillet 1999 et pour huit ans.

Il n’empêche: à peine établie, cette distribution des rôles a déjà connu ses premiers couacs. En cause? Les « discussions » entamées entre les sociaux-chrétiens et les libéraux, par l’intermédiaire de Gérard Deprez qui gagne en influence auprès de Daniel Ducarme. Deprez, le grand-prêtre de la chapelle MCC réfugiée sous l’aile libérale, ne fait pas mystère de son objectif: supplanter les socialistes au hit-parade des formations politiques en Communauté française et à la Région wallonne et, à terme, reléguer le PS dans l’opposition en Wallonie. Conscient de l’ampleur de la tâche – et du temps qu’il faudra pour y arriver, vu la solidité de l’implantation socialiste -, Deprez s’est résigné à un autre scénario: tenter d’écarter les écologistes du pouvoir au prochain tour pour y réintégrer les sociaux-chrétiens. Une tripartite traditionnelle transitoire, en somme, avant d’en revenir à un tandem libéral-chrétien, la bonne vieille recette d’antan. Mais, dans le contexte général de désaffection des partis confessionnels et au vu, surtout, de ce qui se déroule en Flandre, on semble loin du compte: le CVP – ou plutôt le CD&V – se délite sous l’action de ses courants contradictoires, et le but affiché conjointement par le VLD et le SP.A est de lui asséner le coup de grâce en lui interdisant le retour au pouvoir. A moins que surgisse à nouveau du placard institutionnel le scénario d’un gouvernement fédéral asymétrique (où les partis flamands et francophones n’appartiendraient pas à la même famille politique).

Quoi qu’il en soit, Louis Michel n’a guère apprécié que Gérard Deprez fasse le joli coeur auprès de Joëlle Milquet, la présidente du PSC. Et il l’a fait savoir. Résultat? L’un et l’autre ont sagement démenti. Michel, lui, multiplie les gages de bonne volonté à l’égard de ses partenaires socialistes. Jusqu’à preuve du contraire, tout va donc pour le mieux sous l’arc-en-ciel francophone…

La méfiance du FDF

Idéalement, il faudrait que cela dure encore un petit moment. Le temps de permettre à Daniel Ducarme de réaliser sa grande oeuvre: la mutation de la fédération unissant, vaille que vaille, le PRL, le MCC et le FDF, en une « grande alliance libérale, réformatrice, citoyenne et populaire ». L’objectif affiché de Daniel Ducarme? Réaliser la fusion pure et simple des trois composantes. C’était, déjà, celui de Jean Gol au moment du rapprochement entre le PRL et le FDF, en automne 1993. Conscient des vives réticences des responsables du FDF, Louis Michel a, par la suite, adopté une attitude moins « agressive » envers ses partenaires. Aujourd’hui, les choses paraissent mûres pour une fusion entre le PRL et le MCC: la « chapelle » sociale-chrétienne du PRL n’est guère incarnée que par Gérard Deprez et Nathalie t’Serclaes, lesquels jouiront sans doute d’une plus haute considération lorsqu’ils seront devenus des libéraux à part entière et non plus considérés comme des pièces rapportées. Du côté des mandataires FDF, en revanche, de solides réticences subsistent: quelques baronnies bruxelloises, bien implantées dans certaines communes, n’ont aucune envie de voir leur fonds de commerce se fondre dans une « alliance ». Ils ne nourrissent pas, non plus, une passion pour Daniel Ducarme, considéré comme trop autoritaire. Pour autant, l’idée d’abandonner purement et simplement ces partenaires réticents et, de surcroît, remuants – sur le dossier de l’euthanasie et celui de la réforme de l’Etat, notamment, les responsables du FDF ont affiché bruyamment leurs désaccords avec le grand frère PRL -, n’effleure pas les esprits libéraux: le PRL a un besoin vital du supplément de voix glanées, à Bruxelles, par le parti communautaire. Sans cela, les socialistes, que les élections communales d’octobre 2000 ont confortés dans la capitale, domineraient davantage encore qu’aujourd’hui l’échiquier politique en Communauté française.

Y a-t-il une issue possible à ce petit jeu du « Je te tiens, tu me tiens par la barbichette… »? « L’opération de refondation libérale attendue au printemps sera vraisemblablement cosmétique, prédit un cacique du PRL. La fédération changera de nom, le MCC disparaîtra sans doute, mais le FDF sera sans doute encore identifiable. Et, pour fêter le remaillage plus serré des liens entre tous les membres de cette grande famille, Gérard Deprez héritera certainement d’un maroquin ministériel. Le futur nominé, d’ailleurs, ne tarit pas d’éloges sur le « bon fonctionnement de la fédération » depuis que Louis Michel a passé le flambeau de la présidence à Daniel Ducarme. Olivier Maingain (FDF), lui, pourrait également se faire récompenser pour bons et loyaux services: il aura fort à faire pour calmer ses ouailles les plus réservées à l’égard du PRL et de ses rêves d’intégration. La fédération se prépare-t-elle à une grande opération de nettoyage, ou se contentera-t-elle de gommer superficiellement quelques rides? D’ici au printemps prochain, en tout cas, quelques ministres libéraux continueront à trembler…

Isabelle Philippon

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