GOUVERNEMENT

Inondations? Attaque terroriste? Alerte nucléaire? Visite d’un chef d’Etat étranger? Le Centre de crise gouvernemental s’active. Et il entend, désormais, le faire savoir

Un nuage de pollution radioactive arrive par le Sud. Des terroristes menacent de mener des opérations-suicides sur le territoire belge. Un match de foot à hauts risques fait transir les autorités. Une grève des camionneurs empêche l’approvisionnement en mazout des hôpitaux. Une autre, des transporteurs de fonds, fait peser de lourdes craintes sur les caisses engorgées – et convoitées – des grandes surfaces. Il faut, d’urgence, installer un cordon sanitaire à la frontière belgo-hollandaise et mettre sur pied des contrôles policiers efficaces…

Sur qui, sur quoi, la Belgique peut-elle compter pour gérer pareilles situations extrêmement délicates? Sur le Centre gouvernemental de coordination et de crise (CGCCR). Ah bon? Pour la plupart des citoyens, cette institution est inconnue au bataillon. C’est que, jusqu’ici, le Centre de crise, dirigé par Jérôme Glorie (lire son portrait en p. 14), oeuvrait dans une grande discrétion, goûtant à l’ambiance feutrée, quoique travailleuse, d’une maison patricienne bruxelloise, rue Ducale, à un jet de pierre du cabinet du Premier ministre. Ses activités étaient même tellement confidentielles que les Belges angoissés ont eu, à plusieurs reprises, quelques raisons de se demander qui tenait la barre du pays en période de grandes turbulences…

Au printemps 1999, par exemple, au plus fort de la crise de la dioxine. Les errements des différents ministres concernés par l’affaire, leur communication hésitante – c’est un euphémisme – et leurs désaccords sur les stratégies concrètes à mettre en oeuvre ont mis la patience et la sérénité des Belges à rude épreuve. C’est d’ailleurs peut-être à tout cela, davantage qu’à la crise alimentaire elle-même, qu’incombe la responsabilité des déboires électoraux de la précédente majorité. A ce moment, pourtant, si les ministres de la Santé publique et de l’Agriculture l’avaient jugé bon, ils auraient pu faire appel aux services du Centre de crise et lui déléguer, par exemple, la mission d’information aux citoyens. Le centre est, en effet, un service interdépartemental, qui dépend directement du ministère de l’Intérieur mais dont les services peuvent être sollicités par les autres autorités gouvernementales fédérales.

Voici, en résumé, ses 4 missions principales: 1. Une permanence générale – téléphonique, informatique, etc. – vint-quatre heures sur vingt-quatre, sept jours sur sept, au service du gouvernement. 2. La planification, la coordination et le suivi des « grands » risques ou événements. 3. L’organisation de la sécurité des personnalités et institutions en Belgique. 4. La mise à disposition immédiate, en cas de besoin, d’une infrastructure de gestion de crise. Pour assumer ce cahier des charges, une quarantaine de personnes (parmi lesquelles 10 travailleurs constituent une réserve en cas de coup dur), informaticiens, logisticiens ou autres, qui sont tenues, par exemple, d’avoir l’oeil rivé en permanence sur le petit écran (CNN et Euronews) et d’être attentives au moindre signe d’agitation des divers systèmes d’alarme dont est pourvu le centre. Quatorze agents opérateurs sont plus spécifiquement formés à l’accueil téléphonique et à la prise rapide de notes; ils sont, paraît-il, rodés aux procédures à respecter en cas d’urgence et dotés – en principe! – d’un sens aigu des responsabilités.

Le CGCCR dépend directement du ministère de l’Intérieur: la centralisation des missions générales de sécurité civile et policière relevant de ce département – et des autorités qui en dépendent: la protection civile, l’Agence fédérale de contrôle nucléaire, la police fédérale – lui incombe donc automatiquement. Il peut également agir pour le compte de tout autre ministère – Santé publique, Agriculture, Agence fédérale de sécurité de la chaîne alimentaire, etc. – qui lui en fait la demande. A bon entendeur…

Si cela n’a pas été souvent le cas par le passé, c’est peut-être parce que le CGCCR a longtemps péché par trop de discrétion et les responsables gouvernementaux par trop d’individualisme. Mis sur pied en 1986, après l’agitation créée par les Cellules communistes combattantes (CCC), le drame du Heysel et la catastrophe nucléaire de Tchernobyl – ces événements ayant à chaque fois révélé le manque d’un lieu de gestion centralisée de crise -, le centre de crise a, pourtant, quelques belles plumes à accrocher à son chapeau. Exemples, tirés de la seule année 2001. Février: préparation, avec l’armée et les services de protection civile, d’un plan d’urgence en cas de contamination du cheptel belge par la fièvre aphteuse venue du Royaume-Uni. De juillet à décembre: organisation de la présidence belge de l’Union européenne et de la protection des chefs d’Etat et de gouvernement étrangers présents au sommet de Laeken. Depuis septembre: élaboration d’un plan catastrophe en cas de menaces d’attentats terroristes sur le territoire belge et révision du plan de protection des sommets internationaux. Décembre: scénario de transport alternatif des euros, au cas où les convoyeurs habituels auraient été empêchés d’accomplir leur mission. « Au jour J, tous les distributeurs automatiques devaient être alimentés, et ce quoi qu’il advienne, souligne Jérôme Glorie. Toutes les solutions de rechange devaient être imaginées, y compris un transport par hélicoptère! »

Attention, cependant, à ne pas confondre le directeur du Centre de crise et la quarantaine de travailleurs qui y sont affectés avec de nouveaux « Zorro ». Il leur arrive, en effet, de s’occuper de tâches plus modestes. Ainsi, en décembre 1993, alors que la Belgique a les pieds dans l’eau, la première mission confiée au Centre de crise par le ministère de l’Intérieur fut de dénicher une paire de bottes destinées à éviter que le roi Albert, rendant visite aux sinistrés, ne se mouille les pieds! Il faut aussi, parfois, jouer les psychologues: « La première émotion après les attentats aux Etats-Unis est passée. Aujourd’hui, il y a des gens qui interpellent le ministère de l’Intérieur pour protester contre le dispositif de sécurité installé autour de l’ambassade américaine, à Bruxelles. C’est à nous qu’il revient de préparer une réponse écrite. » La façon dont ces fonctionnaires un peu particuliers exercent leur métier est, parfois, un brin artisanal: « Au plus fort de la crise aphteuse, un gouverneur nous demande de trouver un lieu de stockage pour les 30 000 litres de lait produits quotidiennement dans sa province et qui ne peuvent ni être vendus ni jetés à l’égout. L’un de nos opérateurs a épluché les Pages jaunes et a, finalement, pris contact avec des sociétés louant des péniches. » Ce scénario ne s’est finalement pas concrétisé, mais il illustre à quel point l’imagination reste une valeur précieuse pour affronter certaines situations peu courantes. « Il n’existe pas de programme ni de plan tout prêt pour chaque situation d’urgence, souligne Glorie. Les autorités ont souvent une approche très « institutionnelle », formelle de la sécurité. Ici, en revanche, pour résoudre concrètement des problèmes, nous avons surtout besoin d’une bonne dose de débrouillardise. »

Une qualité que le responsable du Centre de crise et Antoine Duquesne, son « patron » de ministre de l’Intérieur, entendent mieux valoriser à l’avenir. D’où cette campagne de promotion inédite, servie, il faut bien le dire, par un bilan de l’année 2001 riche en crises avérées ou potentielles. Qu’on se le tienne pour dit: par vent de tempête, il y aura toujours quelqu’un à la barre…

Isabelle Philippon

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