Goupil en point de mire

Les pressions se multiplient pour renforcer la chasse à divers animaux. Premier sur la liste: le renard. Le signe, peut-être, que la nature façonnée par l’homme ne tourne plus rond

Les renards ont eu chaud. Déjà susceptibles d’être détruits par divers moyens (tirs, pièges, collets), ils ont failli encaisser un nouveau coup dur. Si le projet de José Happart (PS), le ministre chargé de la chasse, avait passé la rampe du gouvernement wallon, ils auraient fait l’objet d’un véritable déferlement de tirs d’un nouveau genre. L’ex-homme fort des Fourons voulait, en effet, autoriser la chasse de nuit au moyen de diverses sources lumineuses. Phares et bacs à lumière permettent en effet d’attirer les animaux et, littéralement, de les hypnotiser. Le tir est alors sans faille, théoriquement.

Mais voilà. Quinze jours après avoir été proposé une première fois au gouvernement wallon, et au prix d’un ultime face-à-face avec son homologue José Daras (Ecolo), le projet est finalement passé à la trappe. Même si le texte portait exclusivement sur les renards d’une région limitée (grosso modo, la Hesbaye et le Condroz), les Verts ne voulaient pas entendre parler de tirs de nuit, pour deux raisons. D’abord, cela aurait entraîné une insécurité permanente sur nos chemins de campagne: le renard est loin de se cantonner au fin fond des forêts. Ensuite, et surtout, cette forme de destruction se serait nettement apparentée aux pratiques des braconniers. Ils sont les seuls, en effet, à utiliser – et dans la plus totale illégalité – des sources lumineuses pour abattre les animaux. On imaginait déjà la scène: alertés par des comportements ou des tirs suspects, les policiers ou les unités antibraconnage se seraient retrouvés devant d’éventuels braconniers qui, pour justifier leurs tirs, auraient simplement évoqué la présence d’une espèce parfaitement susceptible d’être tirée de la sorte: le goupil.

Pour tenter de faire passer la pilule, Happart avait bien prévu quelques garde-fous. Parmi eux, l’obligation d’avoir recours à des techniques de piégeages moins cruelles et d’avertir préalablement les autorités. Mais n’est-il pas naïf d’espèrer que les poseurs de collets vérifient leur piège « une fois par jour, le matin », comme le prévoyait le texte de l’arrêté? Les environnementalistes ont dénoncé la résurgence d’un « état d’esprit de rejet, si pas de haine », que l’on croyait révolu depuis vingt ans à l’égard des renard et des « mordants », comme les fouines et les putois (également visés par l’arrêté). Signe des temps, ils ont été rejoints par une partie des chasseurs, particulièrement ceux qui frémissent à l’idée d’être considérés, par le grand public, comme de vulgaires tireurs ou de simples destructeurs (aux yeux du législateur, « chasse » et « destruction » sont des concepts distincts).

De là à dire que le tir aux renards n’intéresse personne, il y a un pas. Depuis des années, les chasseurs – ils ne sont pas les seuls, à la campagne – se plaignent de la surabondance du carnassier roux. Ils l’accusent de toutes les rapines, dans les basses-cours et les poulaillers. L’autre tort du maudit canidé est d’exercer une prédation redoutable sur les pontes et les progénitures des petits animaux. Dont le petit gibier: faisans, perdrix, lapins… Une concurrence jugée inacceptable lorsqu’on arpente le même terrain de chasse. Pièges à mâchoires et oeufs empoisonnés, interdits, n’ont pas encore totalement disparus de nos campagnes…

Pour les naturalistes, la raréfaction du petit gibier, incontestable dans maintes régions, s’explique davantage par l’appauvrissement du milieu naturel que par la surabondance des goupils ou celles des fouines et des putois.

Selon cette thèse, chasseurs et naturalistes auraient beaucoup d’intérêts communs à faire valoir. Las! A l’inverse de ce qui s’ébauche pour le gros gibier, ce discours passe encore très mal la rampe d’une majorité d’entre eux, qui campent sur leurs positions.

Les estimations scientifiques donnent un tableau contrasté de l’abondance du renard en Wallonie et… à Bruxelles. Selon une étude toute fraîche de l’Institut Pasteur (qui surveille la rage en Belgique, aujourd’hui disparue), sa densité est, aujourd’hui, quatre fois plus élevée dans le région bruxelloise qu’en Ardenne et en Gaume! Dans ces deux régions, les effectifs sont jugés stables depuis six ans. Une certitude: près des villes, l’animal adapte facilement son régime alimentaire à la présence des poubelles et des rebuts abandonnés par le public. C’est surtout là que sa démographie explose. Ainsi, sa densité serait forte en périphérie de Liège, de Namur et de Charleroi. Elle serait faible, par contre, dans le Brabant wallon et en Hesbaye.

En croisant ces observations statistiques avec les impressions subjectives du « terrain », on a l’impression que la surabondance du renard est bien réelle dans certaines sous-régions (par exemple, dans le Hainaut: Thudinie, Tournaisis, etc.): là-bas, les patients efforts de certains chasseurs pour réintroduire des souches indigènes de petit gibier seraient réduits à néant par la présence du renard, notamment. Ailleurs, l’impression de surabondance semble trompeuse, sinon fictive: à force de voir des renards écrasés le long des routes, on est tenté d’accréditer le discours sur la multiplication effrénée de l’espèce. En réalité, le prédateur – charognard et de plus en plus diurne – est attiré par les abords immédiats des axes de circulation, où gisent quantités de petits animaux morts. Souvent, il y est écrasé à son tour, au plus grand bonheur des corneilles et des pies, d’autres animaux qualifiés – comme lui – d' »opportunistes », c’est-à-dire manifestant d’étonnantes facultés d’adaptation aux activités humaines.

Manifestement, José Happart est pressé. Le ministre ne veut pas attendre la tenue, en avril, d’un vaste débat parlementaire consacré à toutes les facettes de la chasse. Si Happart-le-chasseur veut foncer, c’est parce qu’il tient à marquer durablement la politique cynégétique de sa griffe personnelle, lui qui a dû plus d’une fois ronger son frein, dans le passé récent, face aux tollés de protestations suscitées par ses réformes. C’est, aussi, parce qu’il tient à protéger le public, dit-il, contre les risques de l’échinococcose, une maladie transmise à l’homme par le renard ( lire l’encadré p. 32).

En réalité, la polémique autour du renard, loin d’être neuve, alimente une réflexion bien plus large: quelle relation voulons-nous avec le règne animal (plus ou moins sauvage) qui nous entoure, dans un pays aussi « dénaturé » que la Belgique? Ainsi, depuis quelques années, une autre espèce fait couler beaucoup d’encre chez nous: le cormoran ( lire l’encadré ci-contre), accusé de tous les maux par les pêcheurs et les pisciculteurs. Il y a deux ans, le règne animal avait évité de justesse la réouverture de la chasse de la martre, de l’hermine et de la belette: trois espèces protégées. Demain – Happart ne s’en est jamais caché -, il faudra envisager ce genre de scénario pour les pies et les corneilles. Si, ponctuellement, de telles solutions peuvent éventuellement être envisagées, ne faudrait-il pas, d’abord, s’interroger sur les véritables raisons de ces déséquilibres?

Philippe Lamotte

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