Google fait de plus en plus peur

Street View, la nouvelle invention de Google, débarque en Belgique avec ses images panoramiques controversées. La firme californienne est plus mégalo que jamais. Pour le bien commun ?

« Faut-il avoir peur du géant du Web ?  » C’est le sous-titre interrogatif du tout nouveau livre de Randall Stross, intitulé Planète Google (1). Editorialiste au New York Times, auteur de chroniques réputées sur l’actualité numérique, Stross s’interroge sur le prétendu humanisme de la société de Mountain View qui ambitionne de  » réunir toutes les informations du monde « . Les dernières actus de Google tendent à confirmer son appréhension.

Au mois de février, Google s’est payé un encart insolite dans 200 journaux de 70 langues différentes : elle y annonçait aux auteurs du monde entier que Google Books allait archiver leurs livres et qu’ils pouvaient se faire connaître s’ils refusaient de figurer dans cette bibliothèque numérique planétaire. Google projette de numériser plus de 32 millions d’ouvrages édités depuis 1922. Fin octobre, un accord a été signé avec les éditeurs américains, à hauteur de 125 millions de dollars. En France, craignant de connaître le sort de l’industrie du disque, le Syndicat de l’édition a intenté un procès à la firme californienne qui a néanmoins réussi à persuader la bibliothèque de Lyon d’adhérer à son projet faramineux. La Bibliothèque nationale de France semble tentée, à son tour.

Depuis trois semaines, des Opel Vectra rouges, surmontées d’une caméra panoramique, sillonnent les rues de Bruxelles, avant de s’attaquer à d’autres villes comme Liège ou Anvers. Ces caméras prennent, tous les quelques mètres, des clichés à 360° pour alimenter le service Google Street View. Ce dernier permet aux internautes de se déplacer virtuellement dans une grande ville, comme s’il s’y promenait en réalité. Après les Etats-Unis, Google mitraille ainsi toute l’Europe. Le résultat est étonnant, mais le principe suscite la polémique, même si, après de nombreuses plaintes, Google a décidé de flouter automatiquement, mais de manière imparfaite, les visages et les plaques minéralogiques reconnaissables.

Suivre l’internaute à la trace pour cibler les pubs

Début mars, le leader des moteurs de recherche a lancé son offre de publicité ciblée. En clair, tous les partenaires commerciaux de Google pourront afficher des bannières publicitaires en fonction des préférences des internautes. Pour adapter ces pubs au profil des utilisateurs, Google utilise les cookies, ces minifichiers espions qui permettent de repérer les sites visités par un individu. Jusqu’ici, le moteur diffusait des publicités en lien avec le contenu de la page affichée : une pub de déco sur un site d’immobilier, par exemple. Désormais, il s’agit de cibler le comportement de l’internaute, en le suivant à la trace dans ses déplacements virtuels.

Depuis décembre dernier, le site de Google Flu Trends permet, lui, de suivre, plus rapidement que tout autre réseau d’information, l’évolution d’une épidémie de grippe en fonction des recherches des internautes qui ressentent les premiers symptômes de la maladie. Pour l’instant, ce service n’a été mis en place qu’aux Etats-Unis.

Toutes ces nouveautés amènent à un même constat : Google, qui a racheté YouTube en 2006 et la principale régie publicitaire numérique DoubleClick en 2007, acquiert une position de plus en plus dominante sur l’information. Cela devient très inquiétant, selon Randall Stross qui pointe les dangers de toutes ces applications : atteinte à la vie privée, au droit à l’image, au droit d’auteur… En dix ans, Google, dont le chiffre d’affaires frisait les 22 milliards de dollars en 2008, est devenu tentaculaire. La firme est souvent épinglée par les associations de défense des libertés individuelles, même aux Etats-Unis. Elle a remporté, l’an dernier, le Big Brother Awards, un trophée ironique que lui a attribué une ONG internationale  » pour avoir placé sous surveillance les internautes du monde entier « . La récompense pourrait lui revenir cette année encore.

Non contente d’imposer son moteur de recherche, la start-up ne cesse de déborder de sa vocation initiale en conquérant tous les marchés des technologies de la communication et de l’information : cartographie, téléphonie sans fil, messagerie, édition de logiciels… Le seul créneau qu’elle a manqué, jusqu’ici, est celui des réseaux sociaux. En détenant des millions d’informations personnelles sur les internautes,Facebook s’avère un concurrent sérieux. De son côté, Microsoft, un autre gros concurrent, met de plus en plus l’accent sur le respect de la vie privée. Sa stratégie de communication tourne autour de la garantie de confidentialité pour ses produits et ses services. C’est l’enjeu de demain pour le Web.

(1) Planète Google, par Randall Stross, éd. Pearson Education France, 323 p.

Thierry Denoël

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