Goodbye, mon lapin

L’ère Playboy est-elle derrière nous ? Un essai, aussi fourmillant que stylé, pose la question.

Au début du mois de janvier 2016, la médiasphère, entre deux considérations scandalisées sur les essais nucléaires que venait de tenter Kim Jong-un en Corée du Nord, reçut une nouvelle avec stupéfaction : Hugh Hefner, le fondateur du magazine Playboy, vendait sa résidence. De fait, la Playboy Mansion West, qu’il avait achetée en 1971, au faîte du succès de sa revue, était devenue une sorte d’incarnation architecturale des excès qui avaient placé Playboy au sommet du classement des médias les plus sulfureux de la planète. Construite sur les collines de Holmby Hills, à Los Angeles, la bâtisse, de style gothique-Tudor, ressemblait pourtant assez peu à l’appartement de bachelor type à la promotion duquel le magazine s’était attelé durant ses premières années d’existence. Comme l’explique Nikola Jankovic dans L’univers Playboy, le livre qu’il vient de consacrer à la manière dont la revue de Hefner a contribué à structurer la psyché de l’homme moderne, ce changement de style aurait dû mettre la puce à l’oreille des petits malins. En quittant Chicago, le lieu de sa fondation, pour Los Angeles, Playboy abandonnait aussi ce qui l’avait rendu célèbre.

Plus que les affriolantes beautés américaines blondes que tout playboy digne de ce nom se devait de collectionner (à l’instar d’Hefner lui-même), c’était le monde dont celui-ci s’entourait qui constituait son véritable objet de désir. Fauteuils ou tables signés Eero Saarinen ou Charles Eames, architecture moderniste dans la plus pure mouvance de Frank Lloyd Wright, dernier bolide ou montre à la mode : être un playboy, c’était d’abord disposer des armes qui lui appartenaient. Les femmes, elles, n’étaient que les trophées tombant dans l’escarcelle de celui qui avait accepté de changer sa vie, et de quitter la routine séculaire de la vie maritale au profit d’une nouvelle domesticité centrée sur ses propres plaisirs. Désormais, celui qui déciderait du style et des fournitures, du rythme de la vie et des choix y afférant n’était plus la femme, mais l’homme, jusque-là supposé consacrer son existence au travail et ramener le salaire dans un foyer dont il était entendu qu’il n’était pas le maître. C’est là que se situe la révolution Playboy : dans l’invention d’un espace nouveau, dans la promotion des valeurs du design, et dans la mise en valeur d’une sexualité dont la modernité était avant tout celle des accessoires qui l’accompagnaient.

Multipliant les illustrations et les photographies, l’ouvrage de Nikola Jankovic, plus qu’une biographie de Hefner ou une histoire de Playboy, est celle de cette modernité. Mais il est aussi celle de sa lente disparition depuis le milieu des années 1970, sous les coups de boutoir du féminisme, de la pornographie, de la concurrence, des erreurs de gestion, et puis, de la lassitude pour ce qui s’est mis de plus en plus à ressembler à une caricature. Après plusieurs décennies de réductions d’effectifs et de mises en vente, la cession viagère de la Playboy Mansion West à un milliardaire héritier de 25 ans sonna un peu comme un tocsin – le tocsin d’une utopie, qui était aussi celui d’une époque. Bienvenue dans l’ère post-Playboy.

Retrouvez l’actualité littéraire aussi dans Focus Vif : cette semaine, notamment, Les Animaux, par Christian Kiefer, page 44, et Premières neiges sur Pondichéry, par Hubert Haddad, page 45.

PAR LAURENT DE SUTTER

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