God save the punk

Après vingt ans d’absence, John Lydon, alias Johnny Rotten, l’ancien chanteur des Sex Pistols, est de retour avec un nouvel album. Entretien avec un anarchiste rock qui n’a pas la langue dans sa poche.

Ils l’ont fait. Lors de la cérémonie d’ouverture des Jeux olympiques de Londres, les organisateurs ont diffusé un morceau des Sex Pistols (Pretty Vacant) en présence de la reine Elisabeth II. En 1977, leur interprétation furibarde de God Save the Queen avait été bannie des ondes de la BBC. Les temps ont changé. Le punk rock sale et méchant fait désormais partie du patrimoine musical anglais. Et le chanteur Johnny Rotten est élevé au rang de monument. Après l’explosion en plein vol des Sex Pistols, en 1978, le gamin des rues de Londres, de son vrai nom John Lydon, a formé Public Image Limited (voir l’encadré page 65). En 2012, il revient côté PiL avec un nouvel album. Côté face, il célèbre les 35 ans du manifeste Never Mind the Bollocks, Here’s the Sex Pistols. Voilà deux bonnes raisons de prendre le pouls du punk avec ce quinquagénaire volubile, gouailleur et bourré d’humour.

Le Vif/L’Express : Avant This Is PiL, votre dernier disque avec le groupe Public Image Limited remonte à 1992. Qu’avez-vous fait ces vingt dernières années ?

John Lydon : Je me suis battu. Mon label refusait de me produire tant que je ne remboursais pas l’argent que je lui devais. Ça n’a jamais été mon choix d’arrêter la musique. J’ai dû attendre que le contrat arrive à son terme. Ce système marche sur la tête. On me considère comme une icône de la musique moderne et on m’empêche de faire des disques.

Ce n’est pas la première fois que l’on vous entrave. En 1978, Malcolm McLaren, le manager des Sex Pistols, avait tenté de vous interdire l’utilisation de votre nom de scène, Johnny Rotten.

Mais McLaren a perdu ! Et j’ai quand même décidé de laisser Johnny Rotten derrière moi. Il fallait faire table rase. Le nom de mon deuxième groupe, PiL, y fait référence, d’ailleurs.  » Public Image Limited  » : mon image publique doit être limitée. C’est vital.

Aujourd’hui, vous êtes à la tête de votre propre label. Quel rapport entretenez-vous avec ce travail de gestionnaire ?

L’envie de me taper la tête contre les murs. On m’a forcé à faire ce boulot de comptable, et donc je déteste çaà Même si c’est libérateur, c’est compliqué et laborieux.

C’est aussi par désir de liberté que vous avez quitté la Grande-Bretagne pour les Etats-Unis, il y a vingt-cinq ans ?

J’ai quitté le Royaume-Uni parce que la situation devenait invivable. Je me faisais taper dessus par les flics et poignarder par les monarchistes radicaux [NDLR : agressé par un gang de royalistes en 1977, il reçut plusieurs coups de couteau et faillit perdre un £il]. Je me plais bien à Los Angeles. Vu la quantité de flingues qu’il y a sur ce continent, je trouve ça fou qu’il n’y ait pas plus de morts dans les rues. L’idée selon laquelle les Américains seraient un peuple fondamentalement violent est un préjugé.

Comment faites-vous pour chanter  » L’Angleterre est morte  » sur votre dernier disque, alors que vous vivez à des milliers de kilomètres ?

L’Angleterre a perdu de sa saveur. Je le sais, j’y retourne régulièrement. Mais je fais également référence à ce qui m’est arrivé petit. J’ai été atteint d’une méningite à l’âge de 7 ans et je suis resté dans le coma pendant plus d’un an. A mon réveil, tous mes souvenirs avaient disparu. J’étais incapable de reconnaître mes propres parents. La première partie de ma vie, ma petite enfance dans les quartiers pauvres de Londres, est morte. A mon réveil, il a fallu que je fasse confiance à deux adultes qui se proclamaient mes parents. Plus tard, je me suis rendu compte que j’avais eu raison de le faire. C’est sûrement pour ça que je suis de nature optimiste. Je crois à la deuxième chance. Je crois au changement.

En quoi était-ce important de parler de votre enfance, en 2012, à l’âge de 56 ans ?

Je ne compte plus les gens qui sont morts autour de moi récemment. Mon père, ma belle-filleà Et mon frère vient d’apprendre qu’il est atteint d’un cancerà Tout ces événements m’ont poussé dans mes retranchements et m’ont obligé à l’introspection.

Pourquoi la carrière des Sex Pistols fut-elle si brève, moins de trois ans, entre 1975 et 1978 ?

Nous étions jeunes. Nous nous sommes trop battus, nous avions du mal à communiquer, et l’héroïne a détruit Sid [Vicious, bassiste du groupe, mort d’overdose en 1979]. Les Sex Pistols ont explosé en plein vol. C’était parfaitement logique, à défaut d’être prévisible. Mais ce qui m’étonne le plus dans cette histoire, c’est que nous étions traités de voyous alors que nous véhiculions avant tout un message d’honnêteté et de vérité. Les Sex Pistols avaient un rôle d’utilité publique.

Vous cherchez toujours à remettre en question les codes qui régissent la société du spectacle. Acceptez-vous l’étiquette d’intellectuel ?

Non, franchementà Comment pouvez-vous me poser cette question ? Si vous tenez à ces étiquettes, dites plutôt que je suis humanisteà Mais intello ! [Rire.] Non, l’indifférence glaciale des intellectuels pour les petites gens comme moi me fait froid dans le dos.

Lors du dernier concert des Sex Pistols, en 1978, vous aviez quitté la scène en lançant au public :  » Vous n’avez pas l’impression de vous être fait arnaquer ?  » Aujourd’hui, sur votre blog, vous vous adressez à vos fans en disant :  » On tient à vous.  » Vous seriez-vous adouci ?

Pas du tout. En 1978, l’industrie a voulu faire des Sex Pistols un groupe grotesque, à l’image des Stones. Un dinosaure figé dans du formol. Quelque chose de bien dégueulasse. Ce que j’ai dit lors de ce concert n’était que la triste vérité. Le punk devenait risible, parce que le système était sur le point de s’en emparer. Le système, que j’appelle le  » shitstem « , voulait vendre notre révolte comme un tube de dentifrice. C’était le moment de foutre le camp.

Qu’avez-vous appris de cette expérience ?

L’écriture. Et j’en suis très fier. Rien à l’époque n’était comparable à la justesse de notre message. En vieillissant, je me suis rendu compte que l’insurrection contre l’establishment n’est pas la seule chose qui compte dans la vie. Même si le propos est toujours aussi pertinent.

Prenez-vous du plaisir à réécouter Never Mind the Bollocks, Here’s the Sex Pistols ?

Oui, il vieillit, comme moi. Plutôt bien ! Ce qui m’étonne, franchement, c’est la qualité des paroles.

Etes-vous passé, comme beaucoup de punks vieillissants, de l’anarchisme au gauchisme ?

Non. Je ne fais pas vraiment la différence entre la gauche et la droite. Nous avons besoin des deux bords, c’est vital. Un oiseau a besoin de deux ailes pour voler, non ? Si vous êtes de gauche, je vous conseille de fréquenter des gens de droite, d’ailleurs. Et inversement. Je pense que le consensus est morbide.

En 2008, vous avez tourné dans une publicité pour le beurre anglais Country Life. Comment cette activité s’inscrit-elle dans votre parcours anticonsensuel ?

Cela m’a permis de rembourser une partie de mes dettes et de financer mon dernier album. Et, franchement, les gens de Country Life sont bien plus aimables que tous ces vautours de l’industrie musicale. Et leur beurre est excellent. Vous connaissez ?

Donc, Country Life était un plan de relance comme un autreà

Exactement.

Vous décririez-vous comme quelqu’un de cynique ?

Jamais. Je déteste les gens cyniques, il n’y a rien de plus déprimant. En revanche, je suis très sensible à la satire et à l’ironie : je suis anglais, mon grand !

Les Américains ne sont pas toujours sensibles à l’ironie. Ça ne vous ennuie pas ?

Je sais, il faut les faire marrer en pétant ou en grimaçant comme un macaque. C’est à cause de leurs racines puritaines, ça. C’est une catastrophe.

Que reste-t-il de l’esprit punk aujourd’hui ?

Vous parlez à qui depuis une heure, là ? Le secret, c’est de ne jamais précipiter une révolution. Les vrais messages résistent à l’usure du temps, et les connards finissent toujours par se faire baiser.

This Is PiL, Public Image Limited (Differ-Ant).

Never Mind the Bollocks, Here’s the Sex Pistols, The Sex Pistols (Universal). Réédition spéciale pour le 35e anniversaire du disque. Sortie le 17 septembre.

PROPOS RECUEILLIS PAR IGOR HANSEN-LOVE

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