Glenn Beck Le guerrier des ondes

Animateur populaire à la radio et sur la chaîne de télévision Fox News, ce héros cynique de la droite cathodique rallie les Américains les plus hostiles à Barack Obama. Une puissance de feu redoutable, à l’approche du scrutin de novembre.

Philippe Coste

DE NOTRE CORRESPONDANT

A quelques semaines des élections de mi-mandat du 2 novembre, où le camp démocrate risque de perdre la majorité au Congrès, Barack Obama et les siens redécouvrent, un peu tard, le pouvoir étonnant des journalistes et animateurs qui mènent contre eux une guerre sans merci sur les ondes. Parmi ces éternels prophètes de malheur, Glenn Beck occupe une place à part. Cassandre halluciné de quelque 400 radios et surtout de Fox News, une chaîne télévisée d’information prorépublicaine, Beck est parvenu à réunir le 28 août des centaines de milliers d’ultraconservateurs devant le Lincoln Memorial, à Washington, pour une étrange cérémonie religieuse. Puis, le 11 septembre, il a rejoint en Alaska Sarah Palin, égérie de la droite pure et dure, lors d’un grand show du mouvement populiste Tea Party.

C’est un curieux bonhomme. Agé de 46 ans, devenu mormon en 1999 après son sevrage de l’alcool et de la cocaïne, la bête noire des démocrates ne prétend pas défendre un programme. Mais ses fans, qu’il salue chaque matin d’un  » Bonjour, bande de malades !  » plein de virile connivence, adhèrent, de toute évidence, à ses propos racistes, sexistes ou simplement cruels. Son public est en majorité blanc, rural et peu éduqué. Victimes directes des effets de la crise financière, ces Américains-là se disent  » épris de valeurs « , terrorisés par le chaos du monde, affolés par la montée en puissance des minorités ethniques et l’élection d’un président noir. Ils sont, aussi, en quête d’un leader qui les éclaire et qui sache leur parler.

Il a bâti un petit empire multimédia lucratif

 » Mon Dieu, que je hais cette villeà « , soupire Glenn Beck chaque fois que ses tirades provoquent une manif devant ses studios de la Sixième Avenue, à New York. Le héros de la droite cathodique ne se prive pas de rappeler ainsi à ses 3 millions de téléspectateurs et à ses 10 millions d’auditeurs du Midwest et du Sud qu’il s’adresse à eux depuis l’arrière des lignes ennemies, à Manhattan, c’est-à-dire au c£ur même de Sodome et Gomorrheà Aux yeux de ce défenseur de la  » vraie Amérique « , la mégalopole de la côte reste un cloaque intello et cosmopolite où fermentent la  » déchéance des Etats-Unis et le retour du communisme « . New York est peut-être un  » Obamaland pourri « , selon son expression, mais c’est le lieu de sa consécration professionnelle, lui qui préparait déjà sa carrière dans son enfance, un magnétophone à la main, au fond de la boulangerie familiale, à Mount Vernon, dans les tréfonds du Nord-Ouest rural.

Du métier, il en a. Surtout quand il s’agit d’user du lance-flammes médiatique. Après avoir proposé de  » transformer la Palestine en parking à coups de bombes nucléaires « , il a suggéré d’user du même arsenal  » pour relever de 10 000 degrés les normales saisonnières à Téhéran « . Capable de fondre en larmes à la moindre mention des tours jumelles de Manhattan, il a été dépeint comme le  » petit frère givré de Satan  » par le romancier Stephen King pour avoir inventé en direct des tortures destinées aux suspects de terrorisme, discuté du possible meurtre du vidéaste rebelle Michael Moore et stigmatisé la  » haine profonde de Barack Obama envers les Blancs et la culture blanche « .

Parfois, il mord par simple goût du  » fun « , du sport et de la polémique. Dans une station de radio du Sud, il a appelé en direct la femme d’un concurrent pour se moquer de sa fausse couche. Puis il a récidivé, en blaguant sur la mort de la mère de Keith Olbermann, animateur prodémocrate sur la chaîne MSNBC.

A la télévision, sur Fox News, son ton se fait plus didactique. En large jean d’homme du peuple et blazer de communiant, trogne poupine empesée pour l’occasion de lunettes professorales, le mentor griffonne à la craie sur un tableau noir, pour prouver, par une bordée de syllogismes effarants, que l’assurance-maladie  » mène au retour du nazisme, via le renforcement du pouvoir de l’Etat « . Vous n’y croyez pas ?  » C’est un fait « , assène-t-il.

Cette vision si particulière du monde rencontre un large écho, au point que son émission a triplé l’audience de la chaîne, dans la tranche réputée anémique de 17-18 heures. Mieux, Beck a bâti autour de son nom un petit empire multimédia, mélange de talk-shows outranciers et lucratifs, de cinq sites Web voués à sa gloire ou à la diffusion de ses six best-sellers et d’un mensuel incandescent, Fusion. Le tout lui rapporterait plus de 32 millions de dollars par an.  » Beck s’inscrit dans la tradition des brasseurs de paranoïas américaines, une engeance qui prospère à chaque crise de société, contre les francs-maçons, les jésuites ou les communistes sous McCarthy, reconnaît Alexander Zaitchik, auteur d’une biographie acerbe et documentée, Common Nonsense : Glenn Beck and the Triumph of Ignorance (L’anti-bon sens : Glenn Beck et le triomphe de l’ignorance). Il ne se distingue que par son ambition névrotique, son don pour le marketing, la manipulation et l’autopromotion.  »

Beck n’est pas avare de confidences. Ses fans savent tout : le cadeau d’anniversaire de ses 8 ans (un coffret de disques des meilleurs moments de la radio), son premier salaire de disc-jockey (à 13 ans), les circonstances dramatiques de la mort de sa mère (divorcée pour cause d’alcoolisme)à Son propre parcours ne manque pas d’épisodes extraordinaires. Tenté de se tirer une balle dans la tête, en 1994, après des années d’errance nourrie de joints, de coke, d’alcool et d’une gigantesque pharmacopée de psychotropes, il s’est remarié et converti à la foi mormone en 1999. Avant le 11 septembre 2001.

Lorsque les tours s’effondrent, il n’est encore célèbre que dans la région de Tampa, en Floride. L’horreur révèle ses talents de metteur en scène pour de grands shows radio au patriotisme échevelé. Lorsqu’il promeut la guerre d’Irak, le réseau prorépublicain Clear Channel lui offre une antenne nationale. Depuis New York, en novembre, le fou des ondes pourrait faire très mal.

PHILIPPE COSTE

il salue ses fans d’un viril  » bonjour, bande de malades ! « 

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