Givet : un incinérateur sur la frontière

Michel Delwiche
Michel Delwiche Journaliste

Trente ans après l’installation de la centrale nucléaire de Chooz B dans la pointe de Givet, les Français remettent le couvert avec une centrale électrique alimentée avec des déchets de papeteries. A un jet de pierre de la frontière.

Trop, c’est trop ! Le ministre wallon de l’Environnement Philippe Henry (Ecolo) vient d’envoyer un courrier pas piqué des vers au préfet des Ardennes, Pierre N’Gahane, à propos du projet d’incinérateur dans la botte de Givet, juste sur la frontière belge. Le ministre s’y inquiète de ce que le rapport rédigé après l’enquête publique ne fasse nulle part mention des avis de la Région wallonne et des communes belges concernées (Beauraing, Dinant, Doische, Hastière, et Houyet). Avis qui sont unanimement négatifs.

C’est par la presse locale française, fin 2010, que le ministre avait pris connaissance de ce projet, sur un site enclavé en territoire wallon. Il avait alors demandé au préfet d’appliquer la directive européenne l’obligeant à fournir des éclaircissements. Il s’agit, avait répondu le fonctionnaire français, de transformer des déchets de papier en un combustible qui serait brûlé pour produire de l’électricité et de la chaleur.

De l’électricité verte ?

Le projet était ainsi présenté comme une unité de cogénération modèle, écologique puisque alimentée par de la biomasse, le papier étant obtenu au départ de bois, un combustible renouvelable. C’est tout l’intérêt de l’opération :

Les papeteries vont payer les promoteurs pour l’élimination de leurs déchets que, Europe oblige, elles ne pourront bientôt plus envoyer en décharge.

Après un tri, ces déchets rebaptisés combustible serviront à produire de l’électricité que EDF (Electricité de France) devra acheter à un prix nettement supérieur à celui du marché (le projet a en effet été sélectionné par le gouvernement français au titre de centrale électrique biomasse).

La vapeur pourrait être vendue pour chauffer des serres et alimenter des cultures, bios bien entendu (mais les amateurs ne se bousculent pas).

Pour les autorités wallonnes, le dossier est flou et incomplet. Il ne comporte, par exemple, que l’analyse d’un seul échantillon français de déchets et d’une vingtaine d’échantillons allemands. C’est totalement insuffisant pour juger d’une toxicité que l’on peut craindre. Les papeteries recyclent en effet au maximum le papier, et ne rejettent que des déchets qui comportent des plastiques, des encres chimiques, des métaux lourds… Les fumées de l’incinérateur seront nocives, ont d’ailleurs estimé les médecins généralistes de l’arrondissement de Dinant, rejoints par leurs collègues français. Et elles seront poussées vers la Belgique par les vents dominants.

La décision d’accorder ou non le permis est de la seule autorité du préfet, mais celui-ci est tenu de la motiver. Or le rapport français de l’enquête publique, s’il est plutôt favorable, prévoit tout de même une liste de 26 conditions, chacune suspensive, portant par exemple sur la nature et la provenance des déchets, des points sur lesquels les promoteurs sont très très vagues. L’autorité environnementale de la Région Champagne-Ardenne souligne elle-aussi de nombreuses insuffisances, tout comme l’administration wallonne. La décision était attendue pour le printemps, mais le préfet des Ardennes a fait savoir qu’il prendrait le temps nécessaire pour étudier tout le dossier avant de trancher  » en âme et conscience « . Les recours éventuels devraient être introduits devant le tribunal administratif. En France.

MICHEL DELWICHE

Vous avez repéré une erreur ou disposez de plus d’infos? Signalez-le ici

Contenu partenaire