Chercheur d'humeurs, Gaëtan Roussel a notamment coécrit Bleu pétrole, l'ultime album d'Alain Bashung. Dans Est-ce que tu sais?, il questionne notre rapport au temps. © philippe cornet

Gaëtan le conquérant

De retour avec Est-ce que tu sais? , traitant entre autres des inusables troubles amoureux, Gaëtan Roussel réussit un album vibrant. Aux mélodies intemporelles, entre pop fuselée et chansons virales. Bien d’époque, donc.

« L’écriture de l’album se passe avant le confinement numéro 1, à Paris, fin 2019, confie Gaëtan Roussel. Avec comme choix de retrouver mon ADN, c’est-à-dire ma guitare acoustique, mon outil de travail premier. J’ai composé de cette manière et puis je suis allé en studio enregistrer en groupe: je l’ai fait à deux-trois reprises avant que le confinement ne tombe. Ce qui ne m’a pas empêché de continuer à tailler des chansons charpentées par la guitare et la voix. » Résultat? Onze titres d’une lumière nuancée: crue, tendre, noire, ombragée, chaude, solaire, dilatée, parfois aveuglante.

Ces variations baignent des titres aussi évidents que Je me jette à ton cou, Les matins difficiles ou Tout contre toi. Une façon d’approcher le doute comme les corps en jeu, avec une création riche en confluences musicales et en dopamine existentielle. Notamment dans un duo ballade avec cette autre artiste insulaire qu’est Camelia Jordana. « J’ai bouclé l’album avec un côté chansonnier, détaché de ce que j’avais beaucoup utilisé jusqu’ici: le côté patchwork, le décorticage, les machines, le disque dur voyageur entre les lieux et les collaborateurs. »

J’essaie de parler du temps qui passe, de celui qu’on essaie de retenir, de celui qu’on donne aux autres…

Chercheur d’humeurs, Gaëtan a donc ressorti de sa discothèque des témoignages sonores comme le OK Computer de Radiohead, « très produit mais quand même très acoustique. Les gens jouent ensemble, il y a de l’air, tout cela respire beaucoup et la chanson est interprétée en commun humain. Alors qu’un ordinateur, lui, il a la même humeur, du lundi au dimanche. » Est-ce que tu sais? (1) déverse une joie communicative, virale, même si le rose béat n’est pas forcément de mise. Dans La Colère, moment le plus offensif des onze titres, Roussel brûle les calories de nos révoltes et de nos vindictes. Il veut alors, selon ses propres mots, évoquer « ce dont nous sommes faits, de ces nerfs intérieurs. On essaie de garder le cap mais parfois, cela rippe, et la révolte n’est pas forcément au bon endroit. »

D’amour et de rupture

« Indispensable la vie/Redoutable le temps » chante Gaëtan Roussel dans Les Matins difficiles, l’un des titres qui, sur la moitié environ de l’album, évoque le noeud éternellement gordien. Celui des nombreuses avenues amoureuses plus ou moins encombrées par le passé. « Mais moi, je ne suis pas nostalgique, précise-t-il, même si je regarde dans mon propre rétroviseur où il y a plutôt une notion de mélancolie. J’emploie toujours la métaphore du conducteur: si vous regardez dans le rétroviseur, ce n’est pas du tout parce que vous voulez aller en arrière mais plutôt parce que vous voulez aller vers l’avant. »

(1) Est-ce que tu sais? , Gaëtan Roussel, chez Pias.
(1) Est-ce que tu sais? , Gaëtan Roussel, chez Pias.

Né en 1972, Roussel a grandi avec son père – ses parents sont divorcés – qui travaille dans l’éducation nationale. Ce qui vaut à Gaëtan de bourlinguer « de poste en poste paternel et d’être un enfant de la province française. Je suis arrivé à Paris à un petit 18 ans, pour faire des études d’architecture et d’urbanisme »… et épouser sa copine de lycée, les deux devenant doublement parents. Une séparation plus tard, comment cela nourrit-il la réalité de l’écriture? « Cela a évidemment joué un rôle dans ce que j’ai pu composer, tout comme le confinement qui a changé pour chaque être humain, son propre rôle aux proches, aux autres, au travail. La rupture n’est pas forcément le sujet des chansons, mais cela m’a profondément modifié. »

Au-delà des chansons, Gaëtan Roussel, matériellement parlant, n’est certes pas le plus à plaindre: les millions d’albums vendus avec Louise Attaque, ses propres succès en solo ou avec l’expérience Tarmac, garantissent une assurance financière durable. Sans oublier la co- production et coécriture de l’ultime album paru du vivant de Bashung, ce grandiose Bleu pétrole, disque de platine en France. Mais comme on le sait, l’euro ne fait pas une vie. Gaëtan vit dans un appartement parisien, une semaine sur deux, à six en famille recomposée. La suivante, à deux en couple. « Le rapport au temps a été explosé avec la pandémie, et cette notion est très importante dans mon disque. J’essaie de parler du temps qui passe, de celui qu’on essaie de retenir, de celui qu’on donne aux autres. Le temps est aussi, sans doute, conforme à l’interrogation de nos certitudes: c’est pour cela que j’ai mis un énorme point d’interrogation au titre du disque. »

Certitudes blindées que la poésie des mélodies – domaine où Roussel excelle – amène dès le tout premier morceau. L’ample et hypnotique Tu ne savais pas que tu mourrais un jour, question faussée vu la nature obligatoire de la réponse. Mais d’ici là, Est-ce que tu sais? est autant une temporisation d’interrogations sensitives que de plaisirs musicaux certifiés. Beau disque.

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