» François d’Assise n’était pas un naïf « 

L’image angélique de l’humble Poverello béat devant la création est une fiction historique.  » François exerçait un pouvoir très personnel sur son ordre « , constate Jacques Dalarun, l’historien médiéviste qui a révolutionné la recherche sur le saint italien.

Le refus du pouvoir par François d’Assise, marqué par sa démission spectaculaire de la direction de son ordre, le 29 septembre 1220, est au coeur de l’hagiographie franciscaine. Depuis plus d’un siècle, études et biographies nous présentent un Poverello trahi par certains de ses compagnons et  » récupéré  » par Rome. Il aurait vécu l’institutionnalisation progressive de l’ordre des Frères mineurs comme un drame personnel. Or, l’examen attentif des textes franciscains du XIIIe siècle – procédures d’élection des ministres de l’ordre, prises de décision internes… – montre que François exerçait un pouvoir très personnel au sein de son mouvement. C’est ce qu’a mis en évidence l’historien médiéviste Jacques Dalarun dans François d’Assise ou le pouvoir en question (De Boeck Université, Bruxelles, 1999). Cet ouvrage aussi érudit qu’iconoclaste met en évidence les tendances autocratiques de François, qui soumet les siens au  » diktat « . L’auteur qualifie également de  » fiction historique  » les conflits du fondateur avec la papauté, François faisant même appel au Saint-Siège pour mater des oppositions internes.

Quinze ans après la sortie de cette bombe historiographique, l’historien nous avoue avoir joué, à l’époque, la carte de la provocation :  » J’y suis allé à la dynamite pour balayer les idées reçues. On commence enfin à admettre que François n’était pas un grand naïf perdu dans ses rêves. Certes, ce n’était pas un intellectuel, mais il est habile et ne se résout pas à renoncer au pouvoir. Il est pris en tenailles entre un indéniable désir d’humilité évangélique et l’angoisse de ne pas accomplir la mission dont il a la certitude que le Seigneur l’a chargé. Tourmenté à l’idée que l’étincelle originale qui a fait naître son projet soit étouffée par l’arrivée en masse de nouveaux adhérents à la fraternité, il ne parvient pas à lâcher prise.  »

Les historiens laïcs italiens choqués

Cette thèse a-t-elle choqué dans le monde franciscain ?  » Mon livre a surpris les frères, reconnaît Dalarun, mais leur réaction n’a pas été hostile : ils ont compris que je ne cherchais pas à démolir leur vénéré saint fondateur. En revanche, des historiens italiens, pourtant laïcs, ont été nettement moins ouverts !  »

Pour Jacques Dalarun, l’abdication de François d’Assise, à son retour d’Egypte, ne doit pas être comprise comme un rejet du pouvoir, mais comme une stratégie : le Poverello juge plus efficace son autorité charismatique qu’un statut de  » patron « . Ainsi, le futur saint martèle en toutes occasions qu’il est directement inspiré par Dieu.  » Dans sa communauté, on l’appelle « LE frère », ce qui est beaucoup plus fort qu’un titre de « ministre » de l’ordre, remarque l’historien. Il ne se gêne pas pour nommer lui-même son successeur, Pierre Cattani, et le ministre général suivant, frère Élie d’Assise. De même, malgré son abdication, il dirige les chapitres généraux et désigne les ministres provinciaux. Pour la papauté, il reste l’interlocuteur de l’ordre et c’est en son nom propre que François obtient du Saint-Siège une nouvelle règle pour la communauté.  »

L’autorité charismatique du petit pauvre d’Assise prend une nouvelle dimension après l’imposition des stigmates, en 1224. Elle est encore affirmée dans le Testament dicté par François à l’approche de son agonie, à l’automne 1226, comme pour étendre son pouvoir sur ses frères au-delà de la mort.

Un saint en colère

Depuis les travaux de l’historien Paul Sabatier, publiés en 1894, saint François est décrit comme un doux. Une image peu conforme à la réalité, selon Dalarun :  » En fait, il était capable de se mettre dans une colère noire quand les frères tentaient de lui faire accepter une règle plus souple. Sabatier, brillant auteur protestant dont l’oeuvre a eu le mérite de contribuer au renouveau des études franciscaines, est aussi à l’origine de l’idée selon laquelle la papauté, confrontée à la radicalité évangélique de François, a édulcoré le souvenir du fondateur et a caché des choses. Là encore, on peut parler de fiction historique.  »

Jacques Dalarun vient de publier Le Cantique de frère Soleil : François d’Assise réconcilié, Alma éditeur.

Par Olivier Rogeau

 » J’y suis allé à la dynamite pour balayer les idées reçues  »

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