Franco, presque tyran

Avec sa caméra qui ne ment jamais, Manu Bonmariage a filmé, durant plus d’un an, le producteur et metteur en scène Franco Dragone. Un reportage tendu, sur un despote cosmopolite et touchant, de Las Vegas à La Louvière…

Son entourage l’avait mis en garde :  » Franco, oublie, c’est dangereux…  » Confier son image au réalisateur Manu Bonmariage, le père spirituel de l’émission Strip-Tease dont la caméra s’apparente au plus impitoyable détecteur de mensonges, était un pari risqué. Mais Franco, qui n’en fait qu’à sa tête, a joué le jeu. Et pour ça, rien que pour ça : chapeau bas.  » Pendant un an, Franco a eu cette générosité d’être tout franc dehors, même si, par moments, ça pouvait se retourner contre lui « , confie Bonmariage, à la veille de la diffusion de Looking for Dragone (1), un reportage étonnant sur l’univers contrasté de ce magicien de l’ entertainment, parti de rien, dans le Hainaut des années 1960, pour devenir le pivot d’une vaste entreprise organisatrice de spectacles sur tous les continents.

Goliath confronté à David

Et c’est bien ça, le plus fascinant : Dragone, que l’on voit, dans le documentaire, en commerce avec les plus grandes stars, doté d’une aisance déconcertante – malgré son anglais épouvantable -, tant sur le sol américain qu’à Macao, Dragone, ce petit bonhomme (d’affaires) sacrément efficace, se casse pourtant littéralement les dents lorsqu’il veut monter, à Mons, une libre adaptation de l’Othello de Shakespeare…  » Avec ce projet, offert en reconnaissance à la région qui a jadis accueilli ses parents, Franco voulait juste se faire plaisir, assure son épouse. Un vrai cadeau à lui-même, sans stress…  » Pour ça, c’est loupé, car l’expérience vire rapidement au cauchemar. Du casting initial aux dernières répétitions, on assiste, médusé, à la dégradation progressive du climat de l’£uvre en construction. Jusqu’au paroxysme d’un magistral  » pétage de plomb  » du maître, enlaidi par une fureur indescriptible… C’est Goliath confronté à David : le géant gérant des méga-productions aux quatre coins de la planète bute cette fois contre un minuscule  » os  » hennuyer. Ennuyeux…  » Dragone a perdu le fil du terrain. Il n’a, autour de lui, ni son infrastructure ni son équipe habituelles – ses dizaines d’assistants et de sous-traitants. Sans doute aussi, il a oublié que l’amitié et la considération pour autrui, inconnues dans le show-biz international, existent encore par ici « , constate Bonmariage. Qui garde une tendresse palpable pour son  » sujet « . Dragone, on veut bien le croire, n’est pas le sale type qu’il apparaît à l’écran. Dans une scène émouvante tournée dans la cuisine high-tech de sa villa de La Louvière, à l’heure du petit déjeuner, il consacre quelques instants précieux à un gamin allemand très poli, dont on se demande d’où il sort… et qui n’est autre que l’un de ses fils. Avec pudeur, il rabroue doucement la caméra, qui cherche parfois à lui faire évoquer son passé lointain ( » On est, dit-il, avare de commentaires, quand il s’agit du malheur… « ). Ces comédiens, surtout, qu’il traite sans ménagement, finissent par ébranler sa fibre humaine. Après un visionnage privé du reportage, dont il a crânement assumé le reflet, il a tenu à ajouter un petit commentaire personnel, en hommage aux acteurs malmenés…

Résolument non hagiographique, ce portrait, commandé par la chaîne télévisée flamande Canvas, se fond à merveille dans la série Hoge Bomen.  » L’idée, explique Bonmariage, était de montrer qu’un arbre qui s’élève plus haut que les autres encaisse du coup toutes les rafales de vent. Derrière la réalité visible, il y a plus à découvrir que le vernis superficiel dont s’enduisent les gens…  » Les expressions tour à tour flamandes, wallonnes, italiennes ou canadiennes que Dragone emploie sans cesse ravissent, mais sa capacité à retomber sur ses pattes, en dépit des avanies constantes, bouleverse. Autant que le combat qu’il s’acharne à mener contre tous les obstacles qui gênent sa route, dont le plus difficile à surmonter : lui-même.

Looking for Dragone sera montré, en avant-première, au palais des Beaux-Arts, à Bruxelles, le 8 juin à 20 heures. Il sera ensuite diffusé sur Canvas, le 10 juin, et sur la Une, le 11 juin. Infos : www.bozar.be ; 02 507 83 91.

Valérie Colin

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