Franck Riboud  » On se substitue aux pouvoirs publics, et alors ? « 

Un patron de gauche, Franck Riboud, malgré ses 4,4 millions de salaire annuel ? Le PDG de Danone dit ne pas faire de politique, mais il a érigé la responsabilité sociale en valeur phare de la multinationale. Interview exclusive avec un des poids lourds, atypique, du CAC 40.

Marseille, 1972. Antoine Riboud, PDG de Danone, secoue le landerneau politique et patronal français en déclarant que la responsabilité de l’entreprise ne s’arrête pas à ses portes. Près de quarante ans plus tard, Danone est toujours persuadé que son projet doit être autant économique que social, à travers des initiatives comme la  » Danone Nations Cup  » (voir l’encadré) mais aussi des programmes d’éducation à une alimentation saine, des projets d’intégration sociale en Asie ou la protection des écosystèmes. Franck Riboud nous explique le pourquoi de cette responsabilité sociale  » génétiquement marquée « . Jusqu’au social washing ?

Le Vif/L’Express : Le terme anglo-saxon de  » social business  » suscite d’emblée la suspicion, non ?

Franck Riboud : Oui et non. Il y a la dénomination des concepts et puis leur explication par la pratique. Selon moi, tout est  » business  » en ce sens que toute démarche implique d’avoir des objectifs et des résultats. Il est faux de croire que le business capitaliste n’est que financier et que le  » social business  » n’est que social. Nous sommes des deux côtés. Mohammed Yunus [NDLR : Prix Nobel d’économie et fondateur de la banque de microcrédit Grameen Bank, dont Danone est partenaire] est le premier à dire que le  » social business  » doit faire des bénéfices. C’est l’utilisation de ces bénéfices qui est à discuter. Les organismes de charité ou certaines ONG ne reposent souvent que sur une forte personnalité, l’abbé Pierre, Coluche, etc. Le  » social business  » est une voie complémentaire qui, en gérant des bénéfices, est le plus bel exemple de développement durable. Il ne dépend pas du bon vouloir d’un seul homme, fût-il Bill Gates.

La Danone Nations Cup sensibilise les jeunes aux valeurs sportives. Vous distribuez également des jeux éducatifs dans les écoles en Belgique, pour apprendre à manger sain. Est-il normal que vous vous substituez aux pouvoirs publics ?

Et alors ? Ce qui compte, c’est d’arriver à mesurer l’éthique de l’entreprise. Nous pensons qu’il faut donner du sens, à la fois en interne et en externe. Le bonus des 1 500 top managers de Danone est lié pour un tiers à des objectifs sociétaux et environnementaux. On va au bout du raisonnement.

Il y a désormais plus d’obèses que de gens qui ont faim dans le monde. Mais il y aussi une résurgence de la pauvreté dans nos villes. Vous ne pouvez l’ignorer en tant que groupe alimentaire  » responsable  » ?

Cette pauvreté cause des déséquilibres dans l’alimentation. Je ne parle pas de l’obésité génétique mais du gamin lambda qui mange de la  » junk food  » presque chaque jour. Parallèlement, nos corps consomment moins d’énergie, on bouge moins.

Pourriez-vous lancer des produits de qualité low cost dans nos pays, comme vous venez de le faire au Bangladesh en lançant un yaourt local à 9 eurocents ?

Mais on a essayé ! Ça ne marche pas. Il y a déjà les marques des distributeurs et les premiers prix. Par contre, en 2007-2008, on a appliqué un programme de réduction des prix pour répercuter la baisse des prix du lait, entre-temps bien repartis à la hausse. Nous ne voulons pas perpétuellement transférer au consommateur les hausses des matières premières. Sinon, un jour, votre yaourt, ne s’appellera plus Danone mais Gucci…

Le bio est-il inconciliable avec votre logique du plus grand nombre ? Pourquoi n’avez-vous pas de produits bio ?

Nous en avons. Ils portent la marque Les 2 vaches, en France, et Stonyfield, aux Etats-Unis. Mais nous avons nos contraintes financières. Notre entreprise appartient aux actionnaires. Ce sont quand même eux qui déterminent les priorités. De toute façon, nous n’avons aucun intérêt à faire du marketing autour du bio, parce que c’est à la mode. C’est une communauté, le bio.

L’un de vos engagements concerne la communication transparente sur les qualités diététiques de vos produits, notamment les pro-biotiques comme l’Actimel, développé en Belgique. Etes-vous favorable à des règles européennes plus strictes ?

Des règles existent déjà, via l’EFSA (European Food Safety Authority), qui détermine ce que l’on peut affirmer ou pas. Mais elle est aujourd’hui débordée, sa mission principale étant la sécurité alimentaire. On ne sait toujours pas exactement ce qu’ils attendent qu’on leur démontre. Le risque à terme, c’est que l’industrie alimentaire freine sa R&D au profit d’une logique strictement économique.

La validation du fait qu’Actimel renforcerait effectivement les défenses immunitaires est attendue pour 2012…

Honnêtement, 95 % des scientifiques sont convaincus de l’effet bénéfique des pro-biotiques et micro-biotiques sur l’immunité. Mais il faut arrêter de sophistiquer artificiellement nos produits. Le yaourt, depuis la nuit des temps, a été considéré comme une alternative à l’antibiotique [NDLR : le premier Danone en 1919 était vendu exclusivement en pharmacie]. Les ferments vivants du yaourt permettent à une multitude de gens, qui ne digèrent pas le lactose, de bénéficier des apports du lait. Actimel et Activia ne sont que le prolongement de cela, avec des ferments plus puissants et donc un effet  » santé  » supérieur par rapport au yaourt de base.

Vous vous êtes dit prêt à payer plus d’impôts…

J’ai répondu qu’il était normal de contribuer à l’effort de crise en payant plus d’impôts. Je trouve même qu’il n’y a rien d’exceptionnel à cela. J’avais déjà dit, il y a deux ans, que je trouvais anormal qu’on crée un bouclier fiscal pour les plus riches. Vous savez, j’habite toujours en France et pas dans cette fameuse rue à Bruxelles…

Ne craignez-vous pas le social washing ? Que la démarche sociale ne soit qu’un vernis ?

Tout ce qu’on fait est audité. Il faut prendre un peu de recul et ne pas penser que tout est mauvais. Allez demander aux gamins qui participent à la  » Danone Nations Cup  » si c’est du social washing, ils n’en ont rien à f… de votre question. Mon boulot n’est pas de motiver les gens qu’avec de l’argent. Il faut donner du sens.

OLIVIER FABES

 » Le bonus des 1 500 top managers de Danone est lié pour un tiers à des objectifs sociaux. On va au bout du raisonnement « 

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