Fortis colle aux doigts

Yves Leterme rêvait de rédemption sur le terrain socio-économique, son domaine de prédilection. Mais le dossier Fortis brouille à nouveau son image. Le Premier ministre apparaît confus et gaffeur. Et son gouvernement court un risque majeur.

Lendemains saumâtres pour les  » sauveurs de banques « . Souvenez-vous, c’était le dimanche 28 septembre. Entouré de Didier Reynders (MR) et de Laurette Onkelinx (PS), éreintés comme lui, le Premier ministre Yves Leterme (CD&V) avait prononcé ces mots mâles :  » Nous garantissons qu’aucun client, aucun épargnant ne sera laissé dans la difficulté.  » Deux jours plus tard, l’Etat belge entrait dans le capital de Fortis. Un geste coûteux salué par la plupart des médias, presque émus : ainsi, donc, le gouvernement, contaminé par le virus communautaire, pouvait encore se montrer utile. L’essentiel était sauf. Pour l’impact budgétaire, on verrait plus tard… Mais tout s’est trop vite gâté. En moins d’une semaine.

Le vendredi 3 octobre, jour où le ministre des Affaires étrangères, Karel De Gucht (Open VLD), a joué avec les allumettes ( lire ci-dessus ), Leterme et sa coalition orange-bleue-rouge ont plongé sans le savoir en eaux troubles. Fallait-il vendre les activités saines de Fortis, cet ancien monument, au français BNP Paribas ? Y a-t-il eu panique ou précipitation ? Autant les premiers gestes de sauvetage ont-ils été appréciés comme une courageuse intervention de l’Etat sur les terres de marchés financiers anarchiques, autant la seconde partie de l’opération sent-elle aujourd’hui le soufre. A ses trousses, le malheureux Leterme compte désormais : 1. Des milliers d’actionnaires, petits ou gros, armés de calculettes et protégés par des bureaux d’avocats intraitables, espérant obtenir un gel de toute la transaction auprès du tribunal de commerce de Bruxelles. 2. La justice qui suspecte une  » manipulation des marchés « , visant surtout l’ancienne direction de Fortis. Des conseillers du Premier ministre vont-ils devoir se justifier, eux aussi ? 3. La Commission européenne, soucieuse de vérifier la légalité des aides publiques accordées.

Et que fait Yves Leterme ? Il s’empêtre à nouveau. Le week-end dernier, le Premier ministre déclare à la presse que,  » si un tribunal remet en question la vente de Fortis, l’Etat récupérera ses billes « ,  » ce qui serait tout profit pour le budget « . Emoi au Parlement et coup de gueule chez Deminor et Modrikamen, défenseurs des actionnaires. Ceux-là dénoncent une man£uvre d’  » intimidation  » de la justice, que les observateurs neutres jugent avérée pour les uns, fumeuse pour les autres. Une erreur de timing, en tout cas. A quoi bon ouvrir la porte à de nouvelles spéculations ? Le chef du gouvernement n’aurait-il pas dû s’abstenir de tout commentaire, en attendant (sereinement, si possible) le verdict du tribunal de commerce, mardi prochain ? D’autant qu’au même moment l’ancien homme politique le plus populaire de Flandre s’attire l’ironie de la commissaire européenne à la Concurrence, la Néerlandaise Neelie Kroes. Leterme aurait laissé entendre que personne ne répondait au bureau de Kroes, au cours du week-end fatidique où Fortis a été vendu.  » Mensonges !  » a vertement répondu la commissaire. Une maladresse de plus. Les autorités européennes risquent de s’attarder quelque peu sur le  » cas  » belge, atypique, puisque le gouvernement a réservé un traitement distinct aux différentes banques en difficulté. Risquant ainsi de fausser les règles de concurrence ? Bref, le renouveau du gouvernement sur le terrain socio-économique tourne déjà au calvaire. l

Philippe Engels

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