Football

En lutte pour le titre national, Anderlecht et Bruges évoluent sous la pression et perdent quelque peu les pédales. Il existe pourtant des remèdes pour aider à vaincre ce stress. Mais, en Belgique, ils sont pratiquement ignorés. Exemple: l’assistance psychologique

Après avoir mené, des mois durant, une marche autoritaire et euphorique, les clubs d’Anderlecht et de Bruges, en tête du championnat de Belgique, piétinent ou avancent à petits pas. Désormais, ils comptent davantage les points perdus par l’adversaire que ceux qu’ils engrangent eux-mêmes. Subitement, le doute s’est installé dans les rangs. Les jambes tremblent. Mais c’est dans la tête que cela se passe: la peur de gagner et celle de perdre s’y confondent. Trop d’enjeu, trop d’argent, trop de médiatisation, trop de pression.

Certes, on ne peut pas toujours gagner. La réussite permanente, cela n’existe pas. La performance sportive est déterminée par un ensemble de fluctuations. Il faut donc prendre conscience des risques d’usure physique ou psychique qui peuvent diminuer le rendement durant un certain temps. Pour éviter ce mal endémique, bien connu dans le domaine sportif, il importe d’influer sans cesse, le mieux possible, sur tous les éléments qui déterminent la performance: l’entraînement, l’alternance des compétitions, le repos, la diététique ou le mental, qui est l’ensemble des facteurs psychologiques.

Lorsqu’il se trouve confronté, à court ou à plus long terme, à une situation contrariante, le sportif individuel va se ressaisir ou… se planter. Mais il décidera seul. En revanche, dans un sport collectif, comme le football, il existe des possibilités de « déresponsabilisation »: en cas de mauvaise passe, les équipiers les moins capables de réagir peuvent s’appuyer sur d’autres. La force de réaction d’un groupe est, en effet, constituée par l’addition des états psychiques positifs et négatifs de ses membres. Elle se révélera d’autant plus efficace que les dispositions positives seront nombreuses. Mais si chacun compte sur l’autre, il ne se passera évidemment rien. Sauf le naufrage.

« En fait, affirme Philippe Godin, professeur de psychologie à l’UCL, avant chaque compétition, le sportif se fait une certaine idée de ce que sera sa performance, individuelle ou collective. Si la réalité ne correspond pas à l’attente, il faut, sous peine de déroute, gérer rapidement ses réactions. » Or ces techniques de réponse s’acquièrent. Comme le footballeur s’entraîne à améliorer sa condition physique et ses qualités techniques, il peut également apprendre à accepter et à gérer différentes situations fâcheuses, où la réalité ne correspond pas à l’idée qu’il s’en faisait. Comment ? Il s’agit d’un travail mental d’assez longue haleine qui doit rendre le sujet capable de se désensibiliser de contextes contraignants en adoptant une réponse adéquate, sur la base de réactions apprises dans des situations identiques ou similaires. L’objectif est de doter ainsi le sportif d’un fond, d’un acquis, dans lequel, en cas de difficulté, il puise la réplique souhaitée, un peu à la manière d’un réflexe conditionné.

Ce remède qu’enseigne l’assistance psychologique n’est, bien sûr, pas infaillible. Au même titre que l’entraînement physique, tactique et technique, ce soutien n’est qu’un outil faisant partie des multiples facteurs qui déterminent la bonne performance. Et il n’est vraiment rentable que dans la mesure où les autres facteurs le sont également. En aucun cas, la bonne réaction psychologique ne peut, à elle seule, provoquer de miracle. D’autant que cette faculté suppose un apprentissage lent, long et progressif. Idéalement, elle doit être inculquée aux sportifs jeunes, dès l’âge d’une douzaine d’années. Plus tard, le sujet se révèle souvent moins réceptif. « Ou bien, on évolue, alors, déjà dans le sport professionnel, où l’on exige un résultat immédiat. Or il n’existe pas de recette instantannée en la matière », affirme le Pr Godin. Les psychologues du sport ne sont pas des pompiers. D’ailleurs, huit fois sur dix, les expériences ponctuelles s’avèrent des échecs.

Alors que dans presque toutes les grandes compétitions internationales, le soutien psychologique apparaît désormais comme une pratique courante, en Belgique, il n’est pas encore vraiment entré dans les moeurs. D’abord, il subsiste toujours une certaine réticence envers tout ce qui est « psy »: une notion trop souvent assimilée à un état maladif ou anormal. Ensuite, de nombreux entraîneurs, surtout dans le monde du football, s’opposent à des techniques qu’ils ne maîtrisent pas. En fait, ils craignent de perdre certains de leurs privilèges. En tout cas, tout aussi bien Aimé Antheunis, à Anderlecht, que Trond Sollied, à Bruges, estiment que c’est à eux qu’il appartient d’insuffler prioritairement à leurs joueurs des vertus psychiques telles que la confiance en soi et la motivation. Pourtant, une étude menée, voici quelques années, par le Pr Renée Van Fraechem-Raway (ULB), illustrait une grande carence en la matière dans notre foot: moins de 50 % des entraîneurs des trois divisions supérieures possédaient une « bonne perception psychologique » de leurs joueurs.

La crainte d’une perte éventuelle de leurs prérogatives est un autre indice de la méconnaissance que possèdent de nombreux entraîneurs de l’assistance psychologique. « Tout au contraire, il s’agit d’un travail d’intime collaboration entre l’athlète, l’entraîneur et le psychologue, affirme le Pr Godin. On ne se marche pas sur les pieds, mais on apprend beaucoup les uns des autres. » L’une des composantes de la thérapie est d’organiser périodiquement des réunions où, en présence du « psy », sportifs et entraîneurs expriment ouvertement leurs satisfactions et leurs problèmes, plutôt que de rester chacun dans son coin. Ainsi, chez nous, le recours au soutien psychologique s’exerce au sein de plusieurs fédérations sportives, plus petites, comme, par exemple, celles d’escrime et de taekwondo, à la pleine satisfaction de leurs entraîneurs Jean Collot et Pascal Wauthiez.

En revanche, le football belge, lui, ne s’est guère montré réceptif. Au début des années 90, avec l’appui d’Ariel Jacobs, alors responsable de la formation des jeunes, une expérience a toutefois été envisagée par l’Union belge. Etant donné le caractère de plus en plus spécifique du sport professionnel et la nécessité d’atteindre, plus tard, des résultats, Jacobs estimait qu’un « psy » n’était pas un intrus dans un staff technique. Mais l’affaire a tourné court quand l’Union belge a dû… bourse délier pour les efforts déjà engagés. Les Prs Yves Vanden Auweele (KUL) et Godin, moteurs pour les deux régions linguistiques, en ont été pour leurs frais. En réalité, la Fédération a dédaigné l’action.

La méfiance qui subsiste dans une partie du milieu sportif pour l’assistance psychologique ne relève cependant pas de sa seule responsabilité. Selon le Pr Godin, également président de la Société de psychologie du sport, longtemps les psychologues classiques ne se sont nullement intéressés au sport. Cette ignorance, voire ce mépris, n’a évidemment pas inspiré les sportifs à recourir, en retour, à des savants qui les ignoraient superbement. Dès lors, dans ce vide, se sont ensuite infiltrés des « préparateurs mentaux » de toutes sortes, souvent plus opportunistes que réellement compétents. D’où des échecs et de nouveaux rejets…

Emile Carlier

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