FESTIVAL

« Feu, Foule, Folie » seront les thèmes d’inspiration du festival Ars Musica 2001, qui part à l’assaut de deux formes emblématiques de la tradition: l’opéra et le quatuor à cordes. Immersion dans le jamais entendu

Chaque année, depuis sa naissance, en 1989, le festival Ars Musica, qui se déroule dès le 15 mars à Bruxelles, travaille à extraire la musique du ghetto des musiciens, à créer des passerelles vers d’autres disciplines, à élargir son champ. Normal, pour un festival qui eut successivement à sa direction deux transfuges des arts plastiques, Paul Dujardin et France de Kinder. Aujourd’hui, le festival est mené par Frank Madlener, un musicien, certes, mais aussi l’inventeur de la série « L’écrit vint à la musique », homme de plume autant que d’écoute, et fameux remueur d’idées.

Avoir placé le festival sous le triple signe de « Feu, Foule, Folie » pourrait sembler risqué. Mais ce risque est calculé. le feu et la folie ont toujours fait partie du processus créateur (le défi prométhéen, en quelque sorte) et la foule occupe une place évidente dans la tragédie en musique, autrement dit l’opéra (un des deux secteurs plus particulièrement fouillés cette année). Pourtant, l’opéra se détourna parfois de la foule, notamment dans le cours psychologique et ensuite vériste qu’il adopta depuis Mozart, tout au long du XIXe siècle et chez les successeurs postromantiques de Wagner. Le festival a décidé de rendre à celle-ci sa place et, même, de lui en faire une nouvelle, à travers la mise en valeur d’oeuvres à la fois captivantes et, autant que possible, alternatives.

Premier invité de cette exploration: le compositeur néerlandais Louis Andriessen, qui fera l’ouverture du festival avec De Stijl (extrait de son opéra De Materie), Tao et De Staat, par l’Ensemble Akso, le choeur de l’ensemble Schönberg, ainsi que quatre solistes vocaux. On est loin des formes habituelles, loin des « histoires » et des grands airs (quoique). Pourtant, même si le drame psychologique a cédé aux extraits de La République, de Platon, l’opéra d’Andriessen parle à tous. On sent, derrière la forme hyperconstruite, une vie frémissante et un goût marqué pour la communication, avec le public et avec les autres arts. On sent aussi l’homme de théâtre, le partenaire de Peter Greenaway, de Bob Wilson, de Lavelli, avec, en prime, quelques restes sulfureux du « provo » des années 70. Un de ses objectifs: « Essayer de transposer la liberté du théâtre dans les moyens de l’opéra ». L’art d’Andriessen est à son image: haut en couleur, sensuel, cadré et ouvert à la fois, explosant de joie de vivre, mais conscient de la mort. Il suffit d’écouter De Materie (1984-1988), gravé chez Nonesuch, avec les mêmes ensembles qui viendront à Bruxelles, pour en faire l’expérience.

Après cette fresque épique sur les textes de Platon, le festival donnera d’autres aperçus de l’opéra alternatif: opéra imaginaire selon le Canadien Claude Vivier, action invisible selon Salvatore Sciarrino, tragédie de l’écoute selon Luigi Nono, oratorio selon Georges Aperghis, toutes approches qui seront vérifiées et commentées lors du festival. Notamment, au cours d’une rencontre européenne sur le thème « Par-delà théâtre et opéra », qui se tiendra le 17 mars au CIVA, à Bruxelles, en présence des compositeurs déjà cités. On y retrouvera aussi Philippe Boesmans, qui, fort de ses propres opéras – et de leur succès fulgurant -, a sans doute quelques idées sur la question.

Quatuor à mille voix

« Je suis une foule », assène la musique de Wolfgang Rihm. C’est lui, aussi, qui écrit: « Le flux ne peut pas, ne doit pas s’interrompre; quelle que soit la boue qu’il attire des profondeurs. » Rihm ne compose pas d’opéra, mais bien de la musique instrumentale, de la symphonie au quatuor, musique dite « pure », en l’occurrence impure, selon l’observation de l’intéressé. Avec l’opéra – ou le non-opéra -, le quatuor sera donc l’autre forme à l’honneur du festival, traduite dans l’intégrale des quatuors de Rihm, assortis de quelques-uns de Beethoven, et de la création, le 20 mars, du Quatuor de Jean-Luc Fafchamps (dont une autre création, Puisque le retour, pour soprano et ensemble instrumental, aura lieu le 25 mars).

Cette expédition dans le genre quatuor se fera avec la participation des Arditti, Vogler, Artemis et, last but not least, les Danel, que l’on peut compter désormais parmi les maîtres du genre (c’est notamment le quatuor Danel qui créera l’oeuvre de Fafchamps).

Parmi les autres artistes invités, citons la sensationnelle metteuse en scène Ingrid von Wantoch Rekowski, qui signe le Lohengrin de Sciarrino; Patrick Davin, qui dirigera, à la tête de l’Orchestre philharmonique de Liège, des oeuvres de Berio, de Nono et de notre compatriote Claude Ledoux, grand inspiré devant l’Eternel, homme de feu, sans aucun doute; l’ensemble Ictus qui donnera – en compagnie d’une foule d’autres interprètes – Die Hamletmachine-Oratorio, de George Aperghis, créé à Strasbourg l’automne dernier et mettant en scène la Cité, abîmée dans sa contemplation des ruines de l’Europe.

Arsmuzikina

La musique avait déserté l’école, la voici qui réapparaît sous la forme de son temps. En effet, la deuxième édition d' »Arsmuzikina », le volet pédagogique d’Ars Musica, propose trois projets ambitieux sous forme de rencontres – entre des enfants de l’école primaire, d’une part, et des compositeurs et des interprètes, d’autre part -, elles-mêmes destinées à déboucher « sur des oeuvres temporaires, fruits d’expérimentations, de collaborations et de confrontations », le tout couronné par une présentation au public.

Que les bambins s’accrochent: Sarah Goldfarb, elle-même compositeur et chorégraphe, a imaginé un scénario en prise directe sur la programmation du festival et donc, a priori, pas du genre télé des familles.

Un premier projet, centré sur la pratique du chant (belle idée, plus personne ou presque ne chante à l’école!), prendra comme point de départ le fameux Hamletmaschine-Oratorio de Georges Aperghis, à travers deux mythes, la création et la destruction du monde, pour aboutir à un troisième, tout à fait nouveau, qui sera alors mis en musique (dix séances d’un demi-jour pour un groupe de 20 enfants). Un deuxième projet, entrepris avec six chanteurs, six danseurs et quatre musiciens, travaillera autour du thème « le jour/la nuit » en prenant comme point de départ les quatuors de Rihm et de Sciarrino (une semaine et trois week-ends de travail collectif). Le troisième projet met en présence des enfants, quatre jeunes compositeurs belges et deux musiciens du London Sinfonietta, qui travailleront ensemble à partir d’oeuvres personnelles des compositeurs, sur le thème bipolaire de la foule et de la voix (une classe par compositeur, durant cinq semaines).

L’aboutissement de ces projets sera présenté au théâtre Marni, à Bruxelles, les 15, 18 et 29 mars. Là, mis sur pied d’égalité, l’enfance, la création et le public formeront une même « communauté », sans doute le volet le plus révélateur du festival.

Ars Musica, du 15 mars au 1er avril 2001. Informations et réservations: 02-219 40 44.

Martine Dumont-Mergeay

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