Ferré par la  » jolie môme »

Annie Butor est la fille de Madeleine, la deuxième femme du chanteur-poète. Elle témoigne sur ce couple passionnel. Au nom de sa mère.

(1) Titre d’un article paru dans La Rue (2e trimestre 1968).

Comment voulez-vous que j’oublie…, par Annie Butor, préface de Benoîte Groult. Phébus, 220 p.

Le Vif/L’Express : Vous êtes la  » jolie môme  » de la chanson de Ferré. Pourquoi avoir attendu toutes ces années pour témoigner ?

Annie Butor : Du vivant de Léo, j’essayais de secourir le désespoir de Madeleine, ma mère. Après leurs morts, en 1993, j’ai voulu rétablir la vérité sur ces dix-huit ans de vie commune, entre 1950 et 1968, dont je suis pratiquement le seul témoin survivant. Mais il s’agit surtout de réhabiliter ma mère, Léo l’ayant agonie d’injures après leur divorce et ses ayants droit essayant de gommer tout ce qui peut rappeler son existence.

Dès leur rencontre, Léo et Madeleine constituent un couple fusionnel…

Physiquement, sentimentalement, intellectuellement. Ils avaient les mêmes goûts, les mêmes jugements. Elle a été sa muse et sa collaboratrice. C’était une littéraire. C’est elle qui a composé L’Etrangère, à partir d’un poème d’Aragon, et qui a mélangé plusieurs textes de Rutebeuf.  » Ce sont amis que vent emporte / Et il ventait devant ma porte… « , que Joan Baez chantera… Malheureusement, ma mère n’a inscrit son nom que pour une chanson : Notre-Dame de la mouise.

Dès l’âge de 5 ans, vous avez assisté à tout, même à leurs scènes d’amour ?

Je n’ai pas vraiment été éduquée ni même élevée. Tous les soirs, je les accompagnais dans les cabarets, les music-halls. Je menais une vie de patachon, je me couchais à 2 heures puis, à 8 heures, j’allais bien sagement au lycée La Fontaine, en jupe plissée. J’avais une double vie. Léo était plus un guide qu’un pédagogue, mais, incontestablement, mon univers s’est ouvert grâce à lui.

Quel genre d’homme était Léo Ferré ?

Il n’avait rien du poète éthéré. Il était susceptible, procédurier, râleur, âpre au gain (mais aussi très généreux). Et il avait la dent dure :  » Tous des cons !  » sauf Catherine Sauvage, Caussimon, Aragon, Elsa Triolet, Breton… Mais il se brouillera avec ce dernier après son refus d’écrire la préface du recueil Poète… vos papiers ! Léo l’écrira lui-même et il moquera  » l’hermétisme et l’écriture automatique  » du pape des surréalistes… D’autres, Gréco, Montand, Roland Petit, Ionesco, Buñuel… sont encore plus mal lotis. Quant à Brel, Léo ricanait sur son  » je t’offrirai des perles de pluie venues de pays où il ne pleut pas « . Cela ne veut rien dire ! éructait-il. La fameuse photo réunissant Brel, Brassens et Ferré, en 1969, relève plus du symbole d’une époque que de réelles amitiés.

L’arrivée de Pépée, le chimpanzé, fut le début de l’enfer…

Jusqu’à 2 ans, un bébé chimpanzé est merveilleux d’intelligence. Après, l’animal devient vicelard, méchant, pervers. Léo et Madeleine ont cru qu’en l’éle-vant comme un enfant il finirait par parler… Ils ont complètement déraillé. Ils ont acheté dans le Lot une grande maison isolée, entourée de 40 hectares, qu’ils ont transformée en zoo. Véritable huis clos, ils y ont tout renié, leurs amis (qui n’osaient plus venir car ils se faisaient mordre), leur adorable bonne, moi. Isolés, leur vie fut un enfer, comme Léo le raconte dans  » Je donnerais dix jours de ma vie  » (1). Ma mère est devenue excessive, dépressive, alcoolique, et Léo a fui, lâchement. Je ne minimise pas sa peine devant la mort du chimpanzé (Pépée, blessée après une chute, a eu la gangrène), mais il a expliqué sa fuite en disant :  » On a tué mon enfant.  » Léo le libertaire a fait venir un huissier, les flics… Puis il a réalisé ses fantasmes envers les très jeunes femmes.  » C’est extra…  » Enfin, il s’est remarié.

PROPOS RECUEILLIS PAR M. P.

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