Femmes, je vous aime

Auteur prolixe, entre autres de la célèbre trilogie 1Q84, Murakami nous entraîne, une fois encore, dans son univers très personnel où les mondes s’imbriquent et se fissurent afin de mieux pouvoir détruire des clichés et distordre certains textes classiques. Avec de la déférence pour Hemingway (Men Without Women), un clin d’oeil à Kafka (La Métamorphose) et un signe de la main à Woody Allen, les sept nouvelles de l’auteur japonais explorent la solitude de l’homme face à la perte d’une femme, la résurgence de la musique quand on a oublié l’être aimé et la soif de souvenirs pour se sentir vivant.

C’est ainsi que Gregor Samsa nourrit l’espoir hasardeux de revoir sa petite serrurière bossue, seul être humain qui a défié une Prague délitescente pour lui porter secours. Kino, barman jazzy, meurtri par l’infidélité de son épouse, se laisse aller à des coucheries bestiales avant de s’échapper pour un  » pays  » où il pourrait rêver de la chaleur d’une main sur la sienne. Et dans une nouvelle doublement ouverte, un personnage solitaire se laisse enchanter par une infirmière de soins à domicile, métamorphosée par le pouvoir de l’imagination en une Shéhérazade qu’il n’épousera jamais.

Les blessures que ces hommes tentent d’occulter les infectent au point de provoquer des douleurs encore plus lancinantes : un comédien se lie d’amitié avec le dernier amant de sa femme pour pouvoir ressentir la structure de sa main sur le corps de l’aimée. Un chirurgien plasticien, véritable collectionneur d’aventures féminines, se perd dans la mort pour avoir connu la perte de l’autre après avoir éprouvé pour la première fois  » l’embrasement des corps  » sans retour. Un jeune homme va jusqu’à  » prêter  » son amie au narrateur pour s’abstraire de l’image du couple petit-bourgeois.

Des nouvelles mélancoliques où la nostalgie d’un moment perdu est prégnante, des fins ouvertes qui laissent rarement filtrer une lueur d’espoir et soulèvent l’énigme, que ce soit par un geste de chaleur humaine ou un souvenir suranné. A la limite de la réalité et du fantasmatique, ce recueil pose des questions intimes auxquelles on tente de s’échapper car elles n’obtiennent pas de réponse.  » Parce que personne ne sait ce que seront nos rêves demain.  » A quand, enfin, le Nobel de littérature pour Haruki Murakami, plusieurs fois favori ?

Des hommes sans femmes, par Haruki Murakami, traduit du japonais, éd. Belfond, 294 p.

Retrouvez l’actualité littéraire aussi dans Focus Vif : cette semaine, notamment, La Dent du serpent, nouvelle aventure du shérif du comté le moins peuplé de l’Etat le moins peuplé des Etats-Unis signée Craig Johnson, page 42, et Des erreurs ont été commises, comédie domestique de l’Américain David Carkeet, page 43.

M.-D. R.

Vous avez repéré une erreur ou disposez de plus d’infos? Signalez-le ici

Contenu partenaire