" Si un plant d'ananas présente une mutation spontanée qui donne au fruit une couleur rose, il peut être vendu sans autre forme de procès. Si on reproduit ce processus à l'identique par des techniques de modification génétique, le produit devra suivre la procédure d'autorisation draconienne réservée aux OGM. " © GETTY

Faut-il stigmatiser les fruits et légumes OGM ?

Des pommes qui ne brunissent pas lorsqu’on les coupe, des tomates plus riches en antioxydants, des pommes de terre plus résistantes : tous ces OGM existent… mais ils ne risquent pas d’aboutir dans nos assiettes de sitôt.

Les végétaux que nous consommons sont tous le résultat d’une sélection et d’autres interventions humaines qui reposent depuis toujours sur des méthodes d’amélioration visant à d’accroître leur productivité ou leurs qualités gustatives. À l’origine, on se bornait pour cela à sélectionner les graines des meilleures plantes afin de les reproduire et de les croiser avec des variétés apparentées. Fondamentalement, cette approche classique consiste à combiner plusieurs propriétés héréditaires et à sélectionner des mutations spontanées – de petites modifications qui se produisent naturellement dans le matériel génétique de la plante et qui, parfois, l’améliorent.  » Les choux de Bruxelles moins amers, par exemple, sont le produit d’un processus de sélection classique « , illustre René Custers, spécialiste en biologie moléculaire. Il est rattaché depuis plusieurs décennies à l’institut flamand pour la biotechnologie (VIB), où il s’occupe principalement de la sécurité, de la législation et des aspects sociétaux de la biotechnologie moderne. Les nombreuses mutations intervenues au fil du temps ont ainsi débouché sur une formidable diversité.  » Les choux sont tous issus d’une unique espèce sauvage. Les choux de Bruxelles ont été découverts pour la première fois par un paysan de nos contrées, tandis que le brocoli s’est développé quelque part en Italie. Le chou-fleur est, comme son nom l’indique, une inflorescence déformée et tuméfiée… mais si vous le laissez pousser, il finira par produire de vraies fleurs.  »

En Belgique, les produits labélisés OGM sont presque complètement absents des rayons.

Il y a environ 75 ans, l’Homme a commencé à provoquer volontairement des mutations en exposant les plantes à des substances chimiques ou à des rayons radioactifs ; c’est ce que l’on appelle l’amélioration par mutations induites.  » Cette approche se fait à l’aveugle. Le bombardement du matériel génétique de toutes parts provoque d’un coup plusieurs milliers de mutations aléatoires. Il suffit ensuite de sélectionner les nouvelles propriétés les plus intéressantes, même si on retient généralement aussi sans le savoir d’autres modifications qui ne sont pas visibles de prime abord. Un exemple d’amélioration par mutation est celui du pamplemousse rose, auquel une unique modification génétique a conféré la couleur différente et la saveur moins amère qu’apprécient tant de consommateurs.  » Bien d’autres fruits et légumes ont connu à un moment ou l’autre de leur histoire une telle mutation déterminante.

Modification génétique

Les techniques génétiques actuelles permettent également d’apporter des modifications extrêmement ciblées au génome d’une plante et, par exemple, de modifier très spécifiquement la couleur d’un pamplemousse en laboratoire – une approche qui permet d’obtenir le même résultat final, mais en se passant largement des mutations induites au petit bonheur par l’exposition à des substances chimiques ou radioactives.  » Jusqu’il y a peu, cette technique faisait généralement intervenir le transfert de matériel génétique d’une espèce à une autre, ce que certains ressentaient comme un dépassement des limites de l’acceptable.  »

Vous vous souvenez peut-être de l’affaire du champ de pommes de terre génétiquement modifiées planté à Wetteren en 2011, qui a été saccagé par des activistes et suscité des discussions houleuses sur le terrain et dans les médias.  » Pourtant, il s’agissait simplement de plants auxquels on avait réinjecté du matériel génétique provenant d’une variété de pomme de terre sauvage, se souvient René Custers. Celle-ci était en effet résistante au mildiou, un champignon ravageur qui force les producteurs à asperger leurs cultures de fongicides plus d’une dizaine de fois par an. La firme BASF aussi avait déjà développé une variété résistante, mais elle a finalement décidé de ne pas la commercialiser.  » Les opposants des OGM craignent notamment – et sans doute pas tout à fait à tort – de voir l’agriculture tomber aux mains d’une poignée de multinationales et s’interrogent sur la menace que ces variétés transformées pourraient représenter pour la production biologique.

D’après René Custers, certains s’inquiètent toutefois aussi (et cette fois sans raison) de leur impact sur la santé.  » De nos jours, les OGM sont pourtant les végétaux les plus étroitement contrôlés en termes de sécurité – et c’est particulièrement vrai en Europe, où la législation est vraiment draconienne. Nous en savons plus sur les plantes OGM que sur celles qui ont été améliorées par des approches conventionnelles et que nous consommons au quotidien !  »

Au rayon frais

En principe, l’assortiment de fruits et légumes proposé au rayon frais des supermarchés dans l’Union européenne ne contient pas d’OGM, assure René Custers.  » Il en va tout autrement au-delà des frontières de l’UE. Aux États-Unis et au Canada, par exemple, on trouve depuis quelques années des pommes OGM qui ne brunissent pas lorsqu’on les découpe. Baptisées ‘arctic’, ces variantes existent pour la Golden, la Granny Smith et la Fuji et reposent sur la désactivation d’une unique enzyme.  » Ces pommes sont intéressantes non seulement pour les consommateurs qui veulent en mettre dans leur salade, mais aussi pour les producteurs de plats tout faits ou de produits transformés à base de pommes fraîches. Pour l’instant, des applications agricoles comme celle-ci, où des modifications génétiques sont apportées à des variétés destinées à la culture, ne sont pas autorisées dans l’Union européenne. Si les produits qui en résultent sont approuvés pour l’importation, ils doivent être labélisés OGM.  » Mais en Belgique, ils sont presque complètement absents des rayons.  »

Faut-il stigmatiser les fruits et légumes OGM ?

Mais il est possible de retrouver des OGM autorisés en Europe, complètement indépendants de l’agriculture, comme dans les jus de fruits ; et ils ne doivent même pas figurer sur l’étiquette !  » Lors de la fabrication, on ajoute des adjuvants, des enzymes qui vont par exemple affaiblir la paroi des cellules des oranges pour leur permettre de libérer davantage de jus au pressage et accroître ainsi la production « , illustre René Custers. Ces enzymes proviennent de micro-organismes génétiquement modifiés de manière à les produire d’une manière la plus efficiente possible. Des enzymes issues d’OGM sont également utilisées dans la fabrication de bières, de vins, de fromages et d’autres produits laitiers, etc.

Trop d’incertitudes

La réglementation européenne en matière de végétaux génétiquement modifiés impose aux producteurs de réaliser des tests préalables pour en garantir la sécurité ; ce n’est qu’ensuite qu’ils pourront obtenir une autorisation de mise sur le marché. Ces dossiers sont soumis à des exigences très strictes (ce qui les rend aussi très coûteux), de telle sorte que seules quelques grandes entreprises peuvent se permettre de développer des OGM. L’Agence européenne pour la sécurité alimentaire (EFSA) peut, sur la base du dossier introduit, décider que la plante est sans danger pour la santé, mais sans pour autant que ceci ne débouche automatiquement sur une autorisation. Ce sont en effet les États-Membres qui décident ensuite si la variété peut accéder au marché. Mais force est bien de constater qu’ils parviennent rarement à un consensus et que le dossier est généralement renvoyé à la Commission européenne, qui tranche.  » L’importation vers l’UE de plus d’une soixantaine d’OGM a déjà été autorisée par cette voie. Il s’agit principalement de végétaux utilisés dans la fabrication d’aliments pour animaux, comme le soja, le maïs ou le colza.  » Un seul OGM peut aussi être cultivé dans l’UE – un maïs résistant aux insectes produit dans une poignée d’États membres, en particulier en Espagne. On se doute que, dans ces conditions, les firmes n’investissent plus guère dans la commercialisation de produits à base d’OGM sur le marché européen…

Pas de risque sanitaire

Rien ne permet de supposer que les produits à base d’OGM nuiraient à la santé.  » C’est un argument complètement dépassé « , confirme René Custers. Dans certains cas, ce serait même plutôt l’inverse !  » Aux États-Unis, on trouve par exemple des pommes de terre moins riches en asparagine, qui produisent à la cuisson de moindres quantités d’acrylamide carcinogène.  » Pourtant, même de l’autre côté de l’Atlantique, l’entreprise qui commercialise cette variété  » plus saine  » a du mal à faire son trou.  » De grandes chaînes de fast-foods préfèrent ne pas l’utiliser, vraisemblablement motivées par des considérations de marketing. Aux États-Unis aussi, le bio et le véganisme gagnent en effet grandement en popularité… et ces deux mouvements sont souvent radicalement opposés aux OGM.  »

Les scientifiques qui développent ces variétés améliorées sont également très inquiets de l’accueil réservé à la technologie CRISPR, une approche novatrice pour apporter en toute sécurité et de façon très précise des modifications génétiques aux végétaux. Celle-ci suscite en effet à l’heure actuelle une opposition farouche, et il semble que l’Europe n’ait aucune intention de lui faciliter les choses.

 » Si un plant d’ananas présente une mutation spontanée qui donne au fruit une couleur rose, il peut être vendu sans autre forme de procès. Si on reproduit ce processus à l’identique en introduisant cette mutation de façon ciblée à l’aide de la technologie CRISPR, avec un ananas identique à l’arrivée, le produit devra au contraire suivre la procédure d’autorisation draconienne réservée aux OGM « , conclut René Custers.

Quels OGM au rayon frais ailleurs dans le monde ?

? Des papayes résistantes aux virus qui en menaçaient la culture à Hawaii

? Des pommes  » arctic  » qui ne brunissent pas lorsqu’on les coupe

? Des ananas roses, plus sucrés et plus riches en lycopène (un antioxydant)

? Une variété de courge résistante aux virus

? Des pommes de terre qui produisent peu d’acrylamide à la cuisson

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© Getty Images/Hero Images

Aliments pour bétail modifiés

Si la culture des OGM reste extrêmement limitée en Europe, celle-ci importe par contre des quantités conséquentes de soja et de maïs génétiquement modifiés destinés à des fins autres que l’alimentation humaine. On les retrouve surtout dans la nourriture destinée au bétail : lorsque vous achetez un mélange de farine pour vos poules, par exemple, la probabilité est grande qu’il contienne des ingrédients OGM (qui seront toujours mentionnés sur l’étiquette). Ces produits sont également présents dans 80% des aliments mélangés destinés au bétail.

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Une amélioration poussée

Les techniques d’amélioration classiques et par mutations vont rester d’une importance capitale dans le futur et, en l’absence d’alternatives, l’Europe sera forcée d’investir dans ce créneau. Leurs possibilités sont du reste déjà très étendues et se reflètent clairement dans les rayons frais de nos supermarchés. Alors qu’on n’y trouvait encore il y a quelques décennies qu’une poignée de variétés de tomates, par exemple, l’offre s’est aujourd’hui développée de façon exponentielle. Les salades aussi sont de plus en plus diversifiées et les choux-fleurs se déclinent désormais en variétés non seulement blanches, mais aussi vertes ou violettes.

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Réglementation

D’après la réglementation, les variétés obtenues par les méthodes d’amélioration classiques ne peuvent pas être commercialisées si elles présentent un risque pour la santé, mais elles ne sont pas soumises à des tests de sécurité préalables. Si des problèmes se manifestent a posteriori, le producteur est tenu de retirer son produit du marché le plus rapidement possible et endosse la responsabilité des éventuels dommages. Les OGM, au contraire, doivent apporter des preuves préalables extrêmement poussées de leur sécurité avant d’être labélisés et autorisés.

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