Faut-il abolir la mixité à l’école ?

Depuis 1984, l’école est mixte en Communauté française. Aucun changement n’est envisagé. A l’étranger, en revanche, la mixité ne fait plus l’unanimité. Parce que les résultats des filles et des garçons seraient meilleurs en cas de séparation. L’argument est contesté.

Les garçons sont forts en maths ; les filles, en français. Les enquêtes internationales semblent confir-mer ce phénomène. La plus récente étude (Pisa 2006) démontre que les garçons dament le pion aux filles en maths : ils dépassent celles-ci, en moyenne, de 11 points (de 7 points, dans notre pays). En lecture, par contre, la balance penche très fort en faveur des filles : elles devancent les garçons de 38 points (en Belgique, l’écart est de 40 points). Dans les matières scientifiques, enfin, où les garçons ont longtemps ravi la vedette aux filles, les écarts entre les sexes fondent comme neige au soleil.

Chiffres à l’appui, certains n’hésitent pas à remettre en cause la mixité scolaire. Séparer les filles et les garçons : l’idée échauffe régulièrement les esprits, sans que rien de concret s’ensuive. Dans nos contrées, du moins. Ces dernières années, les Etats-Unis ont été saisis d’un véritable engouement pour les écoles non mixtes. En 2002, seules 11 écoles publiques ne mélangeaient pas les deux sexes. Aujourd’hui, leur nombre s’élève à 440, selon la Nasspe, une association qui milite en faveur de la non-mixité ( lire l’encadré p. 46).

En Belgique, aucun groupement ne conteste la mixité à l’école.  » Et c’est tant mieux, lance Dominique Lafontaine, professeur en sciences de l’éducation à l’université de Liège (ULg). L’école subit déjà suffisamment de clivages comme ça pour qu’il faille en rajouter. Ces mouvements sont le fait de milieux ultraconservateurs, qui pensent qu’il vaut mieux séparer les filles des garçons pour éviter qu’elles ne soient distraites de leurs études. « 

 » Il n’y a pas que les résultatsqui comptent « 

Pour étayer leurs revendications, ces associations font état d’études qui prouveraient que les filles réussissent mieux – et mieux que les garçons – si elles demeurent entre elles. Le hic, c’est que ces études sont peu nombreuses et qu’elles ont été réalisées à une époque où le mélange des sexes était loin d’être la règle. Par ailleurs, les conclusions des enquêtes plus récentes sont altérées parce que celles-ci concernent des établissements privés où la mixité sociale, cette fois, n’est pas assurée.

 » Les filles obtiennent déjà de meilleurs résultats que les garçons. Pourquoi cela s’améliorerait-il encore, si elles sont séparées ?  » s’interroge Dominique Lafontaine. En Communauté française, où la mixité est généralisée depuis 1984, plusieurs indica-teurs révèlent en effet que les filles se débrouillent mieux que les garçons. Si les scores aux dernières évaluations externes, pilotées en 2007 en 2e et 5e primaires, montrent un léger avantage pour les garçons, la tendance s’inverse en 2e secondaire. Parmi les élèves obtenant leur certificat d’étude de base (CEB) en 6e primaire, le nombre de filles est aussi plus élevé : en 2005, 93,9 % d’entre elles étaient détentrices de leur CEB, contre 92,6 % de garçons.

Mais le fossé se creuse surtout si on considère le retard scolaire. En 2005, au terme de leurs études secondaires, 55,9 % des adolescentes n’avaient jamais doublé au cours de leur scolarité. Contre 43,8 % des garçons. Pis : 27,1 % d’entre eux avaient doublé plus d’une fois, pour 17,7 % chez les filles. Enfin, chaque année, la population universitaire se féminise davantage. En 2006, celle-ci formait 53,2 % du total des étudiants.  » Cela me fait dire que la thèse basée sur la différence des résultats scolaires cache, en fait, d’autres arguments, plutôt réactionnaires et élitistes, voire radicalement féministes, indique Dominique Lafontaine. Par ailleurs, il ne faut pas oublier qu’à l’école il n’y a pas que les résultats scolaires qui comptent. Il y a aussi l’apprentissage de la vie en société. « 

 » On a voulu accoler mixité et égalité. Mais ça ne marche pas « 

 » Le problème, affirme le Français Michel Fize, sociologue et chercheur au CNRS, c’est qu’on a voulu accoler mixité et égalité. Cela a-t-il du sens ? Ma réponse est non.  » Auteur de Pièges de la mixité scolaire (Presses de la Renaissance, 2003), il a été cloué au pilori lors de la parution de son ouvrage. Il se veut en tout cas ni réactionnaire ni élitiste.  » J’ai étudié objectivement la mixité dans l’enseignement, précise-t-il. Pour moi, la mixité a été imposée en 1975 ( NDLR : en France), davantage pour des raisons pratiques – le manque de places dans les écoles – que pour des motifs pédagogiques. Mais la mixité n’a jamais fait l’objet de mesures d’accompagnement. Or ce n’est pas parce qu’on met les garçons avec les filles qu’ils vont d’un seul coup s’aimer. L’objectif doit rester l’égalité des chances entre filles et garçons. Et la mixité est un outil pédagogique pour y arriver. Mais cet outil ne fonctionne pas toujours.  »

Et Michel Fize de citer les cours de gymnastique et d’éducation sexuelle, où les élèves sont séparés. Faut-il aller plus loin ?  » Deux arguments servent souvent à défendre la séparation des sexes. Tout d’abord, le décalage de l’âge de la puberté entre les filles et les garçons, ce qui implique que la maturité – encore que je n’aime pas ce terme – survient plus tôt chez les premières que chez les seconds. Ensuite, le fait que la présence des filles perturberait les garçons, et vice versa.  » Aux yeux de Michel Fize, ces deux considérations ne suffisent pas, à elles seules, à instaurer la non-mixité à l’école.  » La séparation peut s’imposer, par contre, lorsque les filles sont confrontées à des faits de violence. Dans ces cas, le principe de précaution doit prévaloir. Mais attention : la séparation doit être librement acceptée par les élèves eux-mêmes. « 

Dans certains cas marginaux, le sociologue serait donc prêt à remettre en cause le sacro-saint principe de la mixité,  » sur lequel tout débat est escamoté depuis des années « , se plaint-il. Toutefois, le parlement français a pris le contre-pied de cette attitude. En mai dernier, celui-ci a adopté une loi qui permet de déroger à la mixité dans les écoles publiques ( lire l’encadré p. 45). Apparemment, sans y mettre de garde-fous. En revanche, la question n’est pas à l’ordre du jour à la Communauté française. Confrontée aux inégalités entre écoles et entre élèves, celle-ci a, il est vrai, d’autres chats à fouetter…

Gilles Quoistiaux

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