FAIRE RIRE, À PERDRE LA RAISON

Journaliste, chroniqueuse radio et télé, Myriam Leroy quitte progressivement le terrain strictement humoristique, parce qu’elle trouve que si on peut rire de tout, on n’y est pas obligé non plus. Son explication.

Je sais pas vous mais moi, je suis fatiguée de cette dictature du rire.

(Et je dis ça alors que le rire paie certaines de mes factures à la fin du mois.)

Il n’y a plus une émission de radio, de télé, plus le moindre canard sans son chroniqueur  » drolatique « , humoriste ou assimilé. C’était déjà le cas avant la tuerie de Charlie Hebdo. Ça l’est encore davantage depuis.

L’idée est d’appuyer un droit à l’irrévérence devenu un devoir. Rire, rire, rire ! Peu importe que tout ne s’y prête peut-être pas ou que l’exercice tourne en rond, on doit rire à perdre la raison, à tort et à travers,  » sinon ils auront gagné « , comme dit la formule consacrée. L’injonction n’est plus  » Indignez-vous ! « , mais  » Gondolez-vous !  »

Plus l’actualité est morose, plus la tyrannie de la joie se durcit.

Il faut s’être pris la tête sur l’angle à creuser dans une chronique au lendemain d’attentats (mordant sans être heurtant, drôle mais avec du fond, défendant des nobles valeurs sans sursouligner un message…) pour comprendre la difficulté du job de chroniqueur, invité à s’exprimer sur tout, même s’il n’est légitime sur rien.

L’humoriste est présenté comme un fou du roi, celui qui, parce qu’il n’est tenu par aucune réciprocité relationnelle avec les puissants, leur crache sur les bottes au nom du petit peuple.

Mais le chroniqueur a surtout la lourde tâche de désamorcer la tension d’une information toujours plus anxiogène, de glisser un coussin péteur sous les fesses des semeurs de terreur – en cela, il sert d’alibi aux médias qui flattent à leur profit les pulsions d’un public accro à l’angoisse.

Les deux vannes d’un même robinet : épouvante d’un côté, bonne humeur de l’autre.

Le règne de la punchline

L’avènement de la  » chronique  » dans les médias n’est pas qu’une courageuse profession de foi aux accents voltairiens. L’humour est un outil de communication : faire parler de l’humoriste et de l’organe de presse qui l’héberge à travers un contenu facilement  » viralisable « . Glaner du retweet, devenir un trending topic. (Sachant qu’à l’heure où une chronique est délivrée sur antenne elle a déjà été faite mille fois sur Twitter… où essaiment par ailleurs les Jean-Claude Romand de la farce, reprenant à leur compte les plus efficaces blagues des autres.)

Une chronique qui n’est pas partagée est une chronique ratée. Il faut qu’elle soit rentable, qu’elle serve de cheval de Troie, qu’elle engrange une  » adhésion  » à une marque.

Je vous épargnerai une longue démonstration sur les mécanismes formatés convoqués par  » l’humour médiatique « . Il suffit pour s’en convaincre de jeter un oeil au cimetière des éléphants comiques, Snuls en tête, dont aucune des blagues sans chute ne serait possible dans le paysage actuel, où les chroniqueurs très occupés engagent des auteurs qu’ils paient à la vanne, à la punchline.

Or, la complexité du réel ne peut évidemment pas se satisfaire uniquement de caricature.

Alors, à la question  » Les humoristes sont-ils les nouveaux éditorialistes ? « , je répondrais pour ma part :  » Surtout pas !  »

Et je plaiderais pour la voie médiane : lutter contre l’esprit de sérieux et l’austérité du récit médiatique en y semant simplement un peu de malice, de verve, quand il y a lieu. Faire sauter le séquençage rigide des grilles horaires où une chronique succède à une autre puis à une autre, infernal Tetris médiatique où, au bout du compte, une fois toutes les briques alignées, tout disparaît. Rigoler si on veut. Et si on peut.

PAR MYRIAM LEROY

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