Eyskens, Danton électoral

Donner à chaque électeur plusieurs voix : Mark Eyskens (CD&V) veut faire sauter la banque électorale.  » De l’audace, toujours de l’audace !  » Recyclant Danton, l’ex-Premier ministre appelle à révolutionner la façon de voter pour arracher la Belgique à ses démons extrémistes.

A 80 ans, Mark Eyskens se découvre le tempérament d’un… Danton.  » Pour vaincre les ennemis de la patrie, il nous faut de l’audace, encore de l’audace, toujours de l’audace, et la France sera sauvée !  » tonnait en 1792 le tribun révolutionnaire. L’ancien Premier ministre CVP (d’avril à décembre 1981), remet le couvert à sa façon. Pour sauver la patrie belge en danger, il prône la révolution dans les isoloirs.

Le Vif/L’Express : Un homme = une voix : vous voulez en finir avec la règle d’or de la démocratie parlementaire ?

Mark Eyskens : Le système actuel garantit l’égalité entre chaque électeur. Mais c’est une forme très rudimentaire, et même primitive, de voter. L’électeur n’a qu’une seule voix pour choisir entre cinq, six, voire treize partis différents comme c’est le cas à Bruxelles. Une seule voix pour faire le tri entre des dizaines de candidats qui lui proposent des tas de solutions, c’est peu.

Ce beau principe est trop simpliste ?

Oui, l’électeur est souvent beaucoup plus nuancé qu’on ne le pense. Le système à une voix ne lui permet pas d’exprimer l’intensité de ses préférences, d’affiner son comportement électoral.

L’électeur du futur aurait plusieurs cartes en mains ?

Je suggère d’accorder à chaque électeur plusieurs voix : dix, quinze, vingt voix, le nombre reste à discuter. Libre à lui de les concentrer sur une seule liste ou un seul candidat. Ou de les répartir entre différents partis ou plusieurs candidats. L’électeur pourra ainsi effectuer un second, voire un troisième meilleur choix.

Jusqu’à lui permettre de voter pour tout et son contraire, lors d’un même scrutin : un coup à droite, un coup à gauche ?

Et pourquoi pas ? Vive le panachage absolu ! Le raisonnement s’inspire du comportement du consommateur. L’argent dont il dispose pour faire ses emplettes, sous la forme de billets de banque, remplit la fonction d’une sorte de bulletin de vote. A la différence qu’en raison de l’inégalité des revenus, certains possèdent plus de billets de banque que d’autres.

Sur le marché politique, l’exigence démocratique essentielle veut que tous les électeurs soient traités de façon semblable. Le  » vote à points « , par sa pluralité de voix, permet d’exprimer l’intensité des préférences de l’électeur. Il rendra la démocratie plus qualitative.

Le consommateur reste plus ou moins maître de ses achats. Faut-il dès lors libérer l’électeur de l’obligation de voter ?

Je suis gagné à l’idée de supprimer le vote obligatoire. Forcer les gens à aller voter revient à les provoquer. Ces électeurs-là se vengent dans l’isoloir, en votant souvent pour les méchants, pour les partis qui veulent casser la baraque.

La N-VA aurait-elle à souffrir d’un vote non obligatoire ?

C’est possible, oui. En tout cas, cela obligerait la N-VA à jouer cartes sur table, à démasquer ses réelles intentions vis-à-vis de la Belgique.

 » Voter à points « , c’est inciter à voter raisonnable ?

Une expérience de ce genre, menée auprès d’étudiants d’Harvard aux Etats-Unis, montre que la plupart des voix se portent vers le centre politique au détriment des extrêmes, de droite comme de gauche. Cette évolution pourrait enrayer la tendance à la démagogie, au populisme, voire au nationalisme, en favorisant le retour au compromis. La démocratie y gagnerait en stabilité. L’électeur, par ses votes multiples, mélangera lui-même et synthétisera les propositions des différents partis.

Bonjour les files devant les isoloirs et les nuits blanches pour dépouiller les votes…

Il va de soi que le vote à points n’est concevable qu’avec un vote électronique ou par Internet. La technologie est en marche. Le vote à points sera le couronnement de la démocratie digitale.

En prime, vous réinventez aussi le Parlement…

Oui. Fusionnons la Chambre et le Sénat en une grande assemblée confédérale. Le terme choisi fera plaisir à certains, et puis reflétera une réalité. La Belgique est déjà un Etat confédéral : il n’existe plus de partis politiques nationaux, et les Régions sont en fait des républiques au sein d’un royaume.

Comment la remplissez-vous, cette assemblée confédérale ?

De 220 députés, aux statuts différents. La moitié, voire deux tiers de ces élus seraient issus des scrutins régionaux ou désignés par les parlements régionaux. Le poids de la représentation régionale sera donc très important.

La moitié ou le tiers restant seraient des parlementaires élus à l’échelle d’une grande circonscription fédérale belge, allant d’Arlon à Ostende. Il s’agira donc de sièges  » nationaux « , occupés par des élus qui auront eu la confiance de Flamands et de francophones, sur la base d’un programme de conciliation et de coopération.

Elus régionaux et  » nationaux  » : la cohabitation promet quelques conflits d’intérêts….

Cette assemblée mixte obligera les politiques à se parler, les niveaux fédéral et régional à coopérer. Elle fera appel aux jeteurs de ponts plutôt qu’aux creuseurs de tombes. Des élections à l’échelle d’une circonscription fédérale unique forceront les partis traditionnels à former des cartels par-delà la frontière linguistique : CD&V-CDH, par exemple.

Faire campagne pour se faire élire à l’échelle du pays : vous ramez carrément à contre-courant…

Pas du tout. Quoi qu’on en dise, les parlements régionaux gardent un petit côté provincial. Après un ou deux verres de bière, un élu régional vous confiera sa frustration. Peu d’hommes ou de femmes politiques résistent à l’attraction du pouvoir fédéral.

Le 16 rue de la Loi peut encore faire rêver un ministre-président flamand comme Kris Peeters (CD&V) ?

Bien sûr. Le fédéral reste le centre de gravité politique, parce qu’il est le marchepied vers l’Europe. C’est au fédéral, et pas au niveau régional, que vous êtes en mesure de mettre le pied à l’étrier vers le pouvoir européen. Il subsiste une hiérarchie de compétences.

Vous rêvez tout haut ?

On me dit souvent : vos propositions viennent trop tard, le train est déjà parti. Mais un train, ça s’arrête.

Pourquoi ne pas donner sa chance au futur Sénat appelé à devenir un lieu de rencontre entre élus indirects, flamands et francophones ?

Ce Sénat se réunira tout au plus une fois par mois. La réforme en cours a tout d’un enterrement de première classe, d’une forme d’euthanasie.

La recette que vous préconisez, c’est un antidote à l’ascension de la N-VA ?

Le nationalisme est déjà dépassé par les événements. Chaque peuple doit devenir un Etat ? Vue de l’esprit ! Il n’y a plus de peuple ethnique, il n’y a plus qu’une population multiculturelle. L’Etat belge s’évapore, affirme Bart De Wever. Fort bien : mais il verse dans l’illogisme, quand il songe à le remplacer par une république flamande. La Belgique s’évapore, mais la Flandre aussi !

Savez-vous que le Lion des Flandres est à l’origine un emblème arabe, le drapeau des Sarrazins récupéré par les Croisés au nom de la chrétienté ? Tous ces drapeaux flamands déployés lors des courses cyclistes, quel hommage rendu à l’islam !

Macht en gezag, par Mark Eyskens, éd. Wistand (uniquement en néerlandais), 352 p.

ENTRETIEN : PIERRE HAVAUX

 » Ces drapeaux flamands déployés lors des courses cyclistes : quel hommage à l’islam ! « 

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