EXTREME DROITE

Anciens collabos, idéologues radicaux, néonazis et jeunes skinheads: l’extrême droite flamande porte différents masques et brouille les pistes. Côté francophone, elle est divisée

Faut-il interdire le Sint-Maartensfonds? La justice anversoise s’intéresse de près à cette « amicale » d’anciens collabos, placée sous les feux de l’actualité depuis la visite, fatale pour lui, de l’ex-ministre flamand Johan Sauwens (Le Vif/L’Express du 11 mai 2001). Lors d’une récente réunion de l’association, une série impressionnante d’infractions auraient été commises, en regard des lois contre le racisme et la xénophobie, le négationnisme et les milices privées. Depuis, la Flandre s’interroge sur l’existence de tels groupements d’extrême droite. Sont-ils nombreux, dangereux, voire connectés entre eux?

Créé dans les années 50, le Sint-Maartensfonds (SMF ou « Fonds Saint-Martin ») est la principale organisation d’anciens volontaires flamands, partis se battre pour l’Allemagne nazie sur le front de l’Est durant la Seconde Guerre mondiale. Comme l’indiquent les statuts publiés au Moniteur de l’époque, le SMF fournit une aide « matérielle et morale » aux anciens combattants et à leurs familles, frappés par la répression d’après-guerre. Soutenir et… se souvenir. Car l’autre objectif – qui n’apparaît pas, lui, dans les statuts – est d’entretenir la mémoire et de justifier l’engagement militaire au sein des Waffen-SS. Au nom de l’émancipation de la Flandre, de la lutte contre l’ennemi commun soviétique et, parfois, de l’exaltation de l’idéologie national-socialiste.

Rares sont les journalistes qui ont pu infiltrer les réunions du « fonds », considéré comme subversif et surveillé par la Sûreté de l’Etat. La presse n’y est jamais invitée et, pour adhérer au SMF, il faut être parrainé par deux membres au moins (le périodique Berkenkruis compterait 1 700 abonnés). Le récit des quelques journalistes qui ont suivi des manifestations ou commémorations du fonds Saint-Martin sont pathétiques et délirants. Des papys en civil débarquent incognito, un sac de plastique à la main. A peine sur les lieux de la réunion, ces nostalgiques en extraient l’uniforme gris ou noir de l’époque, rafistolé et bardé d’insignes, puis, ainsi vêtus, ils entonnent en néerlandais ou en allemand des chants non équivoques. Aux grandes occasions, ces octogénaires et leurs familles figurent en singulière compagnie. Ainsi, le samedi 5 mai dernier, à l’occasion des 50 ans d' »action sociale » du SMF, personne ne manquait à l’appel: dans une salle de la banlieue d’Anvers, le groupe d’action Voorpost assurait la sécurité, les scouts de la Vlaams Nationaal Jeugdverbond se chargeaient du decorum et de la fanfare, tandis que plusieurs mandataires du Vlaams Blok étaient assis bien en vue. Aux murs et sur des tables, divers slogans et écrits multipliaient les références au nazisme.

Bien structuré, le Sint-Maartensfonds ne peut nier sa participation à la nébuleuse d’extrême droite, dont les ramifications dépassent les limites de nos frontières. Il compte plusieurs sections locales, en Flandre et à Bruxelles, dont certaines sont très radicales. Ainsi, l’organisation politico-militaire Hertog Jan van Brabant s’en était un moment distanciée, avant de revenir dans le giron du SMF. Lié à une internationale informelle de néonazis, le « Hertog » jugeait l’extrême droite flamande trop modérée, après que le Vlaams Blok avait voté au Parlement la loi contre le négationnisme!

« A l’exception des écologistes d’Agalev, nous comptons des membres dans tous les partis politiques flamands », déclarait, il y a peu, le président du Sint-Maartensfonds au journal De Morgen. « Au sein du Mouvement flamand, beaucoup de ténors n’ont voulu voir que les préoccupations sociales et humaines du « fonds ». Pourtant, les références à l’Allemagne nazie y ont toujours existé », estime le journaliste Hugo Gijsels, auteur de plusieurs livres sur l’extrême droite. Au lendemain de la guerre, les chrétiens du CVP et, surtout, les nationalistes de la Volksunie ont puisé dans le vivier d’électeurs que constituaient les anciens collaborateurs et leurs familles. Aujourd’hui, certes, c’est avec le Vlaams Blok que le lien est resté le plus ferme. Mais certains dirigeants d’autres partis pourraient bien être rattrapés par leur passé. Ancien président de la Volksunie, le ministre fédéral de l’Agriculture est actuellement dans le collimateur. On suspecte Jaak Gabriëls, passé dans les rangs du VLD, d’avoir détenu une carte de membre du SMF. Poussé dans ses derniers retranchements, le principal intéressé a nié à demi-mot. Pourra-t-il également réfuter son appartenance à un comité d’honneur constitué par l’ultra-radical Vlaamse Militanten Orde (VMO), en octobre 1979? C’était le moyen utilisé par Gabriëls et d’autres responsables de la Volksunie pour honorer la mémoire de Staf de Clercq, l’une des figures emblématiques de la collaboration en Flandre. C’est le même homme, encore, qui s’opposera à la première mouture d’un cordon sanitaire autour du Vlaams Blok, dix ans plus tard…

« Le Vlaams Blok est la pointe de l’iceberg, explique Manuel Abramowicz, spécialiste de l’extrême droite. Derrière cet « outil » politique, l’extrême droite flamande forme une vaste galaxie, avec des liens évidents, des sympathies, des synergies, comme en dispose le Sint-Maartensfonds, lié à d’autres associations du même type, à l’étranger. Il ne faut ni fantasmer sur cette internationale d’anciens SS nostalgiques, ni en sous-estimer l’importance. De manière générale, les extrémistes flamands disposent d’un petit nombre de militants très actifs. » Dans cette galaxie d’extrême droite, chacun remplit son rôle. En tant que parti politique, doté de moyens financiers substantiels, le Vlaams Blok recrute, organise et relaie les revendications. En permanence, il tient un double discours: radical à l’intérieur de la mouvance, pragmatique et « modéré » à l’attention de son électorat potentiel et des éventuels partenaires politiques. C’est la raison pour laquelle des dirigeants du Blok participaient aux dernières festivités du SMF (parmi lesquels le député Francis Van den Eynde, vice-président de la Chambre). En revanche, les vrais ténors s’abstiennent de fréquenter ces lieux, soucieux qu’ils sont de donner à leur parti un vernis de respectabilité.

Un réseau

Outre l’appui des associations d’anciens combattants, qui constituent un creuset limité – mais fidèle – pour leurs idées, les stratèges de l’extrême droite flamande s’alimentent auprès de groupes de réflexion (comme Were di, en perte de vitesse) et se ressourcent au sein de cercles culturels ou religieux (à l’image de Traditie ou de mini-sectes païennes totalement obscures). Dans la plupart des cas, on y retrouve des cadres du Vlaams Blok.

Enfin, des groupes d’action complètent l’éventail des ressources. Ancien service d’ordre de la Volksunie, le VMO a été condamné à plusieurs reprises pour des actes de violence; dissous en 1983, il a été absorbé par le Blok. Son « fantôme » resurgit de temps en temps, ranimé par d’anciens militants. Egalement contrôlé par des « blokkers », Voorpost s’est clairement rangé au service du parti. Son site Internet est sans ambages sur son idéologie néofasciste et ses connexions internationales: le lion des Flandres y côtoie le drapeau des Pays-Bas et celui de l’Afrique du Sud… du temps de l’apartheid. Enfin, la triste réputation du Taal Aktie Komitee (TAK) n’est plus à faire, toujours prêt à en découdre sur le terrain des conflits linguistiques.

Comparée à cette nébuleuse édifiante, l’extrême droite francophone fait office d’enfant de choeur. Le Front national (FN) et le Front nouveau de Belgique, deux partis aux inimitiés croissantes, se partagent un électorat pointé en net recul lors du scrutin législatif de 1999 et des communales de 2000. Concurrencés par le Vlaams Blok à Bruxelles, ils le sont également par le Bloc wallon dans les villes du sud du pays (créé en avril 2000, ce parti a été lancé sans guère de succès par des anciens d’Agir, passés un moment au FN). Comme au Nord, des cercles de « réflexion », divers groupuscules de skinheads et autres dissidents complètent le tableau. Parmi eux, le mouvement Nation est jugé le plus dangereux par les autorités et les organisations antifascistes: fondé en 1999 par des anciens du groupe néonazi L’Assaut, Nation forme ses militants et recrute au sein des « sides » de hooligans, notamment à Bruxelles et à Charleroi.

Enfin, l’extrême droite francophone compte également ses associations d’anciens collaborateurs. Celles-ci sont toutefois déchirées, divisées et plutôt confidentielles. Composés d’anciens rexistes, Les Bourguignons ont accusé le coup à la mort de leur mentor, Léon Degrelle, en 1994, dont l’héritage a fait l’objet de sourdes rivalités. Aujourd’hui, la principale organisation francophone d’anciens volontaires de la Légion Wallonie a mis la clé sous le paillasson. Le repreneur porte un nom qui en dit long: Le Dernier Carré.

Philippe Engels

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