[EXTRAITS]

J’ai coupé mes cheveux car ils tombaient à cause de mon traitement. Je ressemble à Manuel, comme ça, non ?  » Giovanna Valls Galfetti, la soeur du ministre de l’Intérieur, sourit, à l’entrée de la maison familiale dans laquelle elle vit à Horta (NDLR : quartier de Barcelone). Un sourire qui transperce : le sourire de l’âme, celui des rescapés, celui de ceux qui sont partis, très loin, avant de revenir in extremis dans le monde des vivants. Giovanna, née en 1963, a connu l’univers des  » zombies « , affronté ses chimères. Ses yeux translucides reflètent la violence de son expérience. Elle nous rappelle la fragilité de l’existence :  » J’avais le choix entre vivre et mourir. J’ai réfléchi toute une nuit et au matin, j’ai pris ma décision. Je voulais vivre.  » Le ministre veille à distance sur sa cadette. Dès qu’il évoque Giovanna –  » J’ai une soeur qui a seulement seize mois d’écart avec moi  » -, la voix de Manuel Valls change, mélange d’émotion et de pudeur :  » Giovanna s’en est sortie, elle va mieux désormais. Elle est très belle et a retrouvé le sourire. Quand vous la voyez, vous n’imaginez pas qu’elle a 50 ans.  »

Ce mercredi à Barcelone, tranquillement installée dans son salon, devant deux hautes armoires, Giovanna nous raconte son histoire bouleversante, celle d’une jeune fille expansive, frivole, si heureuse sur les photos du début des années 1980, avant d’être brisée par l’amour.  » J’avais 20 ans quand un homme m’a fait du mal. Et j’ai eu la malchance en 1984 de me retrouver devant une ligne d’héroïne aussi longue qu’un serpent. C’était la première drogue que j’ingérais. L’héroïne a accroché mes neurones. Ça a duré neuf mois. J’ai eu envie de vivre, alors j’ai quitté Paris en août 1985 pour me désintoxiquer. Je devais m’éloigner de ce qui me tuait petit à petit.  » […] Manuel Valls n’a rien oublié non plus de ces mois dramatiques de 1984 :  » Une rupture amoureuse, de celles qui peuvent toucher n’importe quel adolescent, a fait plonger Giovanna.  » Avec le recul, il pense que Barcelone a sauvé sa soeur, malgré tant de souffrances :  » On a cru que cela allait bien se passer quand Giovanna est partie à Barcelone. En fait, non. En 1985, cela a été très difficile, avec des périodes de rémission, mais le corps ne suivait pas. Elle sombrait.  » […]

Ses démons et la  » mortelle amie « , l’héroïne, resurgissent, par surprise.  » A 35 ans, je vivais avec un alcoolique qui m’humiliait. J’étais fragile à force de me faire insulter, déprimée, dans une situation poignante qui me vidait. Je suis retombée dans l’héroïne. Et je suis allée dans un « supermarché » de la drogue qui n’existe plus, là où des Gitans en vendaient. J’ai tendu mon bras, je le revois encore ce bras, on m’a fait un shoot. J’ai eu une overdose et fini à l’hôpital. Mes neurones se sont accrochés à l’héroïne. J’étais restée quinze ans sans toucher à la drogue mais là, je me suis shootée pendant cinq, six, dix ans. Je suis devenue junkie, marginale, un fantôme, dans une ambiance Rolling Stones ou Freddie Mercury. Et sachez que je n’ai jamais pris mon pied en me droguant.  » Durant cette  » période obscure « , Giovanna commet quelques vols de vêtements griffés et les revend à un Pakistanais  » pour survivre « . Interpellée, elle ne peut pas payer les amendes et séjourne plusieurs fois en prison. Cinq mois au total.  » Un jour, j’ai fait des analyses. J’ai reçu les résultats, ma mère était là. J’ai compris que j’étais infectée par le sida et l’hépatite C. J’ai pris cela froidement.  » Giovanna devient  » presque un cadavre, très malade  » :  » La drogue te domine, tu ne vis que par elle. […] Manuel a tenu ma main et m’a dit : « Fais quelque chose. » Un soir, j’ai mis sur la balance d’un côté l’héroïne, de l’autre ma vie. Toute la nuit, je me suis dit : « Je me shoote ou je vis. » J’ai jeté l’héroïne, j’ai eu foi en moi, en Dieu, en la vie. C’était ma guerre, c’est ma victoire.  » […]

La vérité, mais Manuel Valls ne l’avouera jamais, il estime ne pas en avoir le droit, est que le destin de Giovanna constitue à la fois une grande histoire d’amour familial, peut-être la plus belle, mais aussi une douleur indicible qui a façonné certains aspects de sa propre personnalité. Luisa (Luisangela Galefetti, leur mère) mesure l’intensité de la relation entre ses deux enfants :  » Giovanna aime beaucoup Manuel. Il y a très peu de différences entre eux, même si leurs chemins se sont séparés à l’adolescence. Manuel a beaucoup souffert de la situation de Giovanna. Il nous a vus malheureux, nous, ses parents. Ma fille a échappé aux difficultés grâce à son immense volonté. C’est merveilleux de la voir avec cette foi dans la vie. Elle est très intelligente, très sensible, se raccroche à l’existence.  » Luisa… Giovanna lui est tellement reconnaissante :  » Ma mère est spéciale, elle ne renonce jamais.  » Manuel le confirme :  » Mes parents ont été inouïs avec Giovanna. Ils ont été totalement pris, dévorés de l’intérieur par la situation de leur fille. Mon père a un jour baissé les bras parce qu’il aimait ma soeur plus que tout, c’était sa fille. J’ai une fille et je sais de quoi il s’agit. Vous comprendrez le regard de mon père à travers les tableaux qu’il a peints de ses enfants. Il a vu sa fille se détruire, et il a vu que ma mère pouvait se détruire. L’amour maternel parlait et elle était aspirée vers le gouffre. Mais en même temps, heureusement, elle était là pour elle, tout le temps.  » […]

L’hommage que Manuel Valls rend à sa soeur est poignant :  » Le plus beau, c’est que Giovanna s’est occupée de mon père alors qu’il était en train de partir. Son cancer est allé très vite. Elle a été merveilleuse avec lui. J’ai vu mon père une semaine avant sa mort et il me l’a dit : « Tu as vu comment ta soeur a été formidable avec moi ? »  » Lorsqu’elle prend connaissance des propos de son frère, Giovanna, émue, évoque un autre moment :  » Je me souviens de l’appel de Manuel quand il a été nommé ministre de l’Intérieur. Il m’a dit : « Dommage que papa ne soit pas là. »  » Après le décès de son père, Giovanna  » s’accroche « .  » Depuis huit ans, je mène une vie normale.  » En 2012, les médecins espagnols d’un des meilleurs hôpitaux au monde proposent à Giovanna un traitement pour éradiquer l’hépatite C.  » C’est très dur. J’en parle à Manuel, j’évoque la chimiothérapie à venir et je lui demande : « J’ai besoin de savoir si, vous tous, vous m’accompagnez. » Il me répond : « Oui, bien sûr ! »  » Pendant neuf mois, Giovanna suit ce traitement, couronné de succès, même si le protocole doit se poursuivre jusqu’au 25 juin 2013.  » L’hépatite a été vite éradiquée, j’ai un virus de moins.  » Début 2013, Giovanna rend visite à Manuel et à sa mère à Paris, pendant douze jours.  » Je me suis rendue au ministère, j’ai dîné avec Manuel et les enfants. Mon frère était tellement content de me savoir en forme. Il m’a déclaré : « Tu es guérie ! » Je reste vigilante avec une épée de Damoclès au-dessus de moi. J’ai vu des amis mourir du sida et de la drogue. Il me faut une discipline, un rythme. Certains affirment que je renverse des montagnes. En tout cas, j’ai retrouvé ma dignité de femme et ne me laisserai plus jamais battre par un homme.  » […] Giovanna est d’accord avec la position très ferme du ministre de l’Intérieur sur la drogue :  » Il a vu les ravages qu’elle cause. Le mal de la drogue, ce n’est ni le drogué ni le dealer, cela va beaucoup plus loin. Cela représente des sommes folles. Il ne faut pas non plus légaliser la marijuana. Ce serait terrible. Je suis contre.  » Giovanna conclut en s’adressant à distance à Manuel :  » Il ne m’a jamais dit en face tous ces mots si touchants qu’il exprime. J’ai un frère, il est ministre de l’Intérieur de la France. Cela pèse, c’est lourd. Mais il est satisfait, heureux.  » Giovanna aussi semble heureuse, désormais.

Manuel Valls. Les secrets d’un destin, par Jacques Hennen et Gilles Verdez. Ed. du Moment, 280 p.

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