Thierry Fiorilli

C’est beau comme exposer son âme (chronique)

Thierry Fiorilli Journaliste

Ces artistes-là attendaient qu’on s’arrête net devant ce qui ressemble fort à leur mise à nu.

C’était le premier week-end de décembre, à Ixelles. C’était dans un parking souterrain. C’était le marché de l’illustration, intitulé L’illuminé.e et monté par le collectif Atelier Ton Piquant, « à la fois galerie, espace de création et de production », installé vingt mètres plus haut. Un événement pas juste underground physiquement: celles et ceux qui y exposaient n’occupent pas forcément les premières places dans les médias ou les rayons dominants. Mais toutes leurs créations étalées sur la petite table leur servant de stand, avec des prix indiqués à la main et des cartes de visite qui renvoient à un compte Insta, donnaient à l’endroit et au moment bien plus qu’une allure de place commerciale. Une allure de quai d’embarquement, plutôt. Pour autant de destinations qu’il y avait d’artistes. Destinations? Non, pas d’autres lieux: d’autres mondes. Et, au fond, d’autres temps. Que la géographie et l’histoire auxquelles on se réfère dans notre monde ne recensent pas.

C’était une plongée dans des imaginaires. Ceux de souvent jeunes gens, souvent jeunes femmes, souvent avec un métier, souvent de graphiste ici ou là, assis masqués derrière leurs oeuvres, observant celles et ceux qui scrutaient avec plus ou moins d’attention, plus ou moins d’insistance, plus ou moins d’intérêt, ces « illustrations » qui sont en réalité des fragments de leur âme. Peut-être que plusieurs escomptaient quand même surtout vendre (un dessin à 15 euros, le grand à 60, une risographie à 25, un sticker à 2,50…). C’était le but. Il était bien écrit « marché » sur l’affiche. Mais, sûrement, c’est ce qu’on a cru ressentir en tout cas, la dizaine de ces artistes-là attendaient qu’on s’arrête net devant ce qui ressemble quand même fort à leur mise à nu. Qu’on s’y fige, charmé. Qu’on y soit happé, qu’on s’en empare, à plein bras, pas juste parce que jackpot côté sous, du coup, mais parce que « waouh, voilà quelqu’un que je ne connais pas qui entre, fasciné, de plein gré, dans mon univers ». Qui s’y engouffre parce qu’il l’attire, qu’il lui convient pour des raisons qui ne me regardent pas mais qui font que ce que je crée n’est donc pas juste bon à rester sous cloche, éteint, comme prisonnier ou moribond, en fait. Qui prouve que tant de frissons, d’énergie, de feu ne peuvent pas rester secrets.

On aurait voulu tout prendre. On aurait voulu dire à Manon, à Claudia, à Loule, à Mathilde, à Alice, merci pour ces voyages, au fil de ces traits comme un souffle, ces figures émaciées, ces silhouettes dodues, ces créatures indescriptibles, ces pastels ou ces fluos, ces noirs ou ces orangés, ces accents « reggianiens » ou de kermesse, ces heures hindoues ou ces saveurs salées. Merci et bravo. Et continuez. Qu’on comprenne ou pas, qu’on aime ou moins, que ça résonne clair ou brumeux, peu importe, juste quel boulot, quels royaumes, quelles musiques, quelles épopées! On l’a pensé. Fort.

Parce que c’est si beau, les gens qui illuminent par ce qu’ils font. Ce qu’ils sont. Et qui guettent, à coeur perdu, les éblouis.

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