Exclusif Uderzo :  » Astérix me survivra « 

Le Vif/L’Express : Pourquoi avoir vendu, à la fin de 2008, votre maison d’édition, qui publie depuis 1979 les aventures d’Astérix, à Hachette ?

E Albert Uderzo : Disons-le franchement : je n’ai pas besoin d’argent. Astérix m’a comblé au-delà de tout ce que j’aurais pu imaginer. Mais je vais avoir 82 ans en avril et je ne suis pas immortel. J’ai voulu assurer la pérennité de mes personnages en les confiant à un groupe solide, qui diffuse déjà nos albums depuis de longues années. J’ai donc cédé à Hachette les 40 % des éditions Albert René que je détenais, en accord avec Anne Goscinny, ayant droit de René, qui a cédé ses 20 %. Nous gardons évidemment le droit moral de création. Mais je ne souhaitais pas que cette maison tombe entre les mains de ma fille, Sylvie – qui détient toujours les 40 % restants – ni surtout de son conjoint, qui aurait dilapidé les bénéfices.

Dans une tribune publiée par Le Monde, votre fille vous accuse d' » avoir renié vos valeurs  » et d’être manipuléà

E Ma fille tient des propos dégradants et indignes, laissant entendre que la sénilité me ferait perdre toute capacité de décision au sein d’une société que j’ai créée seul il y a bientôt trente ans. En tant que père, j’ai apporté à ma fille unique beaucoup d’amour et lui ai accordé plusieurs donations, dont celle des 40 % des éditions Albert René, qui lui ont apporté d’appréciables subsides. Mais elle semble avoir perdu le sens des choses, aidée en cela par un conjoint qui espérait détenir toujours davantage de pouvoir.

Contrairement à ce que vous aviez toujours dit, vous avez accordé à Hachette le droit de poursuivre les aventures d’Astérix après votre mort. Pourquoi ?

EC’est vrai, j’ai changé d’avis. J’ai considéré qu’Astérix n’appartenait pas à ses auteurs, mais à ses lecteurs. Il est une sorte d’emblème national, même si René et moi n’avons jamais voulu en faire un héros cocardier. Je trouve par ailleurs que Lucky Luke, Les Schtroumpfs ou Spirou et Fantasio, de feu mes amis Morris, Peyo et Franquin, ont été repris par des auteurs de qualité. Et puis regardez Tintin : les ventes d’albums baissent depuis la mort de Hergé. Il est très dur de faire vivre une série sans nouveauté. Alors, avec Anne Goscinny, nous nous sommes demandé :  » Pourquoi pas ? « 

Savez-vous déjà qui pourrait reprendre la série ?

EJ’ai autour de moi deux ou trois collaborateurs de grand talent, qui encrent et colorient mes dessins depuis des années. Il paraîtrait assez naturel de se tourner vers eux. Mais, vous savez, tant que je pourrai dessiner, je le ferai ! Je travaille en ce moment sur un album qui paraîtra en octobre, pour les 50 ans d’Astérix. Il s’intitulera Le Livre d’or d’Astérix et devrait réserver quelques surprises. Je m’escrime en ce moment sur un dessin composé de 80 personnages. Et j’ai déjà une idée pour l’album suivant.

Les critiques négatives qui ont accompagné la sortie de votre dernier album, Le ciel lui tombe sur la tête, vous ont-elles atteint ?

EJe vais vous faire un aveu : j’ai songé à abandonner définitivement. Pourtant, depuis la disparition de René, j’avais déjà entendu beaucoup de choses désagréables. Mais là, je l’ai très mal vécu. Avec cet album, j’ai voulu écrire une parabole sur l’invasion de notre culture par les Etats-Unis et le Japon – deux des rares pays où, curieusement, Astérix n’a jamais marché – mais tout le monde a pris cela au premier degré. J’ai raté mon coup. Enfin, il s’en est quand même vendu 5,5 millions d’exemplaires dans le mondeà

L’une de vos planches originales a été vendue 300 000 euros en novembre 2008. Que vont devenir les 1 500 autres que vous gardez précieusement dans un coffre-fort ?

EPour éviter tout risque de dispersion, j’ai décidé, il y a peu, que je léguerai les deux premiers épisodes à mes deux petits-fils et que je ferai don de tout le reste à la Bibliothèque nationale de France.

Quel regard jetez-vous aujourd’hui sur ce demi-siècle d’Astérix ?

EVous savez, lorsque nous avons créé cette série avec René, il ne s’agissait que d’un petit personnage et de son ami Obélix. Notre rêve n’était pas de devenir Disney, pour lequel nous avions une immense admiration. Et puis il y a eu le succès, le parc Astérix, les dessins animés, les films. Mais nous, notre seule envie, au fond, c’était d’amuser les gens. l

Propos recueillis par Jérôme Dupuis

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