ET LES AMÉRICAINS REDÉCOUVRIRENT L’ÉTAT

Christian Makarian

Il y a vingt ans, Hillary Clinton publiait un livre au titre généreux et prometteur, Il faut tout un village pour élever un enfant. Aujourd’hui, elle est confrontée à une autre réalité : il faut tout un pays pour élire un(e) président(e). Pour parvenir à son but, elle présente un parcours d’un classicisme aussi impeccable qu’ennuyeux. Elle incarne la poursuite de la ligne impulsée par Barack Obama, déploie tous les atours d’une First Lady depuis un quart de siècle, s’affiche sans retenue avec son mari et sa fille, réalise des performances en matière de levées de fonds, se révèle experte pour ses finances personnelles (8 millions de dollars d’avance reçus pour la rédaction de ses mémoires, parus en 2003), maquille habilement en compétence ses appétits de pouvoir (sénatrice de l’Etat de New York, secrétaire d’Etat de 2009 à 2013, deux fois candidate à la présidentielle), fait campagne sur les bons sentiments la main sur le coeur (elle a pourtant soutenu la guerre d’Irak de George W. Bush et reste favorable à la peine de mort). Au point que l’idée d’élire, pour la première fois, une femme à la Maison-Blanche n’apparaît presque pas comme une innovation. Du reste, le FBI poursuit les investigations sur sa manie irresponsable d’utiliser son courriel privé, non protégé, pour traiter des dossiers les plus délicats et les plus confidentiels lorsqu’elle dirigeait le Département d’Etat.

Il n’y a là rien de très  » frais « , bien au contraire. La nouveauté, c’est – ce fut – Bernie Sanders et ses 74 ans. Ce courant pourrait à l’avenir influer sur le torrent politique américain, en commençant par obliger Hillary à ramer vers le peuple. Même s’il est définitivement écarté de la candidature démocrate, Sanders a donné le la et engendré un phénomène assez surprenant pour laisser des traces durables. Il a confirmé l’existence d’un fossé entre l’establishment et le pays réel, entre la finance anonyme et les entrepreneurs qui prennent des risques personnels, entre les classes moyennes et la haute bourgeoisie démocrate. Par-dessus tout, Sanders a soulevé un élan de sympathie chez les jeunes, agacés par les discours des caciques. Certes, ce  » socialiste démocrate « , réputé rédiger lui-même ses discours, n’a ni la carrure d’un président ni un programme très crédible. On a tort, cependant, de se focaliser sur ses propositions, inspirées du mouvement Occupy Wall Street : protectionnisme renforcé, grands travaux, taxation des plus riches. L’essentiel est ailleurs : toutes ces idées convergent vers un Etat fédéral plus fort sur le plan économique et social. C’est cette thématique que Hillary Clinton est maintenant obligée d’intégrer à sa propre plateforme – et que tous les sondages d’opinion viennent conforter.

La confirmation la plus surprenante provient du camp adverse. Pour des raisons tout à fait opposées, Donald Trump en arrive au même point théorique : il est également favorable à un Etat fort – mais sur le plan strictement sécuritaire et répressif. Construction d’un mur le long de la frontière avec le Mexique,  » carte blanche  » donnée aux agents fédéraux pour contrer toute arrivée illégale sur le sol américain, réaffirmation de la suprématie militaire des Etats-Unis… Ce qui se traduirait, peu ou prou, par une augmentation de la dépense publique.

On comprend mieux pourquoi Ted Cruz, rival ultralibéral de Trump, a fait naufrage. Non sans avoir déclaré avec rage :  » Cette élection est simple. Donald Trump et Hillary Clinton sont tous deux des gauchistes étatistes.  »

Christian Makarian

 » Cette élection est simple. Donald Trump et Hillary Clinton sont tous deux des gauchistes étatistes  » (Ted Cruz)

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