Et de l’ombre naquit la lumière…

Louis Danvers
Louis Danvers Journaliste cinéma

La face obscure de la Force inspire à George Lucas une Attaque des clonessombre et spectaculaire, nettement supérieure au précédent épisode de Star Wars

« Pain, suffering, death I feel. » Dans la formulation particulière du vénérable Yoda, cette phrase, prononcée au beau milieu du récit, confirme l’impression générale du nouvel épisode de Star Wars. Peine, souffrance et mort impriment en effet leur marque à L’Attaque des clones. Tout comme L’Empire contre-attaque, le deuxième épisode de la première trilogie, s’en allait explorer la face obscure de la Force et surpassait aisément le film initial, le second volet du nouveau triptyque (?) baigne dans une atmosphère létale où il gagne en puissance dramatique. Succédant au très décevant La Menace fantôme, L’Attaque des clones offre un spectacle nettement plus riche, que ce soit sur le plan visuel ou sur le plan dramatique.

Quelques années ont passé lorsque nous retrouvons le chevalier Jedi Obi-Wan Kenobi (Ewan McGregor) et Anakin Skywalker (Hayden Christensen). Ce dernier a grandi, il est devenu jeune homme et Padawan (apprenti Jedi) et a conquis déjà bien des pouvoirs de la Force, cette puissance magique accessible aux seuls chevaliers et dont l’usage détourné peut mener aux pires dérives. Le film s’ouvre sur des images superbes d’une cité dans la brume. Une musique lourde de menace accompagne la progression d’un vaisseau spatial entre les sommets des gratte-ciel émergeant du brouillard. Le véhicule se pose. Dans quelques instants, une bombe explosera, décimant les passagers tout juste débarqués. En quelques poignées de secondes, le ton du film est donné. L’attentat visait Padmé Amidala (Natalie Portman), devenue sénatrice et qui arrive dans la capitale de la République pour une réunion décisive. Elle seule semble avoir le cran de proposer au Sénat les mesures drastiques rendues nécessaires par la sécession de nombreux peuples et la perspective d’agressions contre la démocratie. La République lèvera-t-elle une armée pour affronter ses ennemis? Avant qu’une réponse puisse être donnée, Padmé – qui a échappé de justesse à l’attentat – devra être protégée. Obi-Wan et Anakin seront chargés de cette délicate mission. Un défi particulièrement exigeant pour le cadet, épris de Padmé, alors que le code Jedi interdit tout attachement, et par ailleurs hanté par le souvenir de sa mère détenue en esclavage sur sa planète natale…

Les raisons de la colère

A plus d’un égard, le jeune Anakin est le personnage essentiel du nouvel épisode. Confronté à un amour interdit et au sort tragique d’une mère qu’il va tenter de sauver, on verra naître chez lui les blessures, les colères, les motivations qui en feront, plus tard, le sinistre Darth Vader de la trilogie initiale. Rappelons, en effet, que l’action de L’Attaque des clones se déroule avant celles des trois premiers épisodes de Star Wars, et qu’Anakin est le futur père de Luke Skywalker, héros positif de la saga, qu’il affrontera sous le masque du grand méchant de service avant – dans Le Retour du Jedi – de lui sacrifier sa vie en geste de rachat!

Les prémices des tragédies à venir sont donc dévoilées dans le nouveau film, sur un mode « opéra » et accompagné d’une musique aux accents wagnériens qui rappelle une des origines culturelles du projet. Le sous-genre « science-fictionnesque » du « space opera » et la mythologie médiévale teutonne figuraient en tête des influences de Lucas voici un quart de siècle, lorsqu’il entama sa fameuse saga. Ils le restent aujourd’hui et leur fusion intime n’est pas pour rien dans la réussite de L’Attaque des clones. Certes, l’élément wagnérien suscite quelques lourdeurs, certes aussi le « space opera » tourne parfois au cirque. Mais l’ensemble n’en propose pas moins un spectacle intense, qui comblera les fans de longue date tout en suscitant sans doute de nouvelles adhésions.

S’il ne sera jamais un grand directeur d’acteurs, ni un visionnaire inspiré, Lucas élève en effet sa mise en scène au niveau des exigences dramatiques du nouvel épisode. Même l’usage qu’il fait des effets spéciaux numériques est autrement créatif et impressionnant que dans une Menace fantôme définitivement fluette et, par endroits, carrément maladroite. Des images comme celle de la ville embrumée au début sont sans précédent dans la saga. Celles de la ville nocturne aux plongées vertigineuses des gratte-ciel au sol le sont également. On verra non sans raison dans les premières l’influence du Steven Spielberg de A.I. Artificial Intelligence, et, dans les secondes, celle du formidable Blade Runner de Ridley Scott. Mais on ne reprochera pas ces références à un George Lucas dont l’imaginaire propre n’a sans aucun doute pas le même potentiel onirique. L’intervention de Spielberg, son ami de toujours, est même probablement la clé du grand pas qualitatif franchi entre La Menace fantômeet L’Attaque des clones. Succès public mais échec créatif et critique, le film précédent avait des défauts que les conseils du fidèle Steven n’ont pas manqué de corriger. Brian De Palma, autre ami dont Lucas sollicite régulièrement l’avis et que nous rencontrions récemment (1), soulignait cette humilité de Lucas devant l’opinion de collègues proches et qu’il reconnaît volontiers comme des maîtres en matière de réalisation. Rappelons aussi à cet égard que le réalisateur de Star Warsabandonna complètement la mise en scène entre 1977 et… 1999, préférant assumer les responsabilités de producteur et d’entrepreneur pour lesquelles il possède incontestablement un talent supérieur.

Un spectacle total

L’Attaque des clones est donc une réussite. Les séquences les plus spectaculaires (dont une poursuite urbaine sensationnelle et une séquence « jeux du cirque », elle aussi extraordinaire) y alternent avec des scènes plus calmes, que hantent les accents les plus noirs du récit. Les robots R2D2 et C3PO amènent bien un peu de drôlerie, tandis que l’affligeant Jar Jar Binks (2) est sagement repoussé cette fois vers l’arrière-plan. Mais, malgré ces quelques diversions comiques, le ton dominant est bien celui du drame le plus sombre. Et même l’union inévitable d’Anakin et de Padmé, follement amoureux l’un de l’autre, voit peser sur elle des menaces de malheur, car nous savons qu’en naîtra le petit Luke, appelé à se battre contre son père lorsque ce dernier sera devenu Darth Vader…

N’allez pourtant pas chercher dans L’Attaque des clones une vraie profondeur existentielle. Nous sommes devant des figures de total artifice, des éléments dans une fresque, dont les sentiments n’ont pas besoin d’être partagés pour remplir leur fonction dans l’ensemble. Si l’on vibre, c’est aux séductions (même obscures) d’une surface plutôt que d’une texture. La saga de La Guerre des étoilesn’est pas affaire d’épaisseur, mais de superficialité bien comprise. Elle fera (elle fait déjà) partie de l’histoire du cinéma sans pour autant lui avoir donné de chef-d’oeuvre. En avoir conscience n’empêche pas de goûter à ses charmes lorsque ceux-ci se révèlent – comme cette fois – captivants.

(1) On lira un long et passionnant entretien avec lui dans notre numéro du 14 juin prochain, à l’occasion de la sortie de son nouveau film, Femme fatale.

(2) Personnage ridicule et pourtant omniprésent de La Menace fantôme, que plusieurs sites Internet érigèrent illico en cible favorite.

Louis Danvers

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