Esmeralda  » Tant de légendes courent encore « 

Depuis plus de dix ans, la fille cadette de Léopold III et Lilian défend la mémoire de ses parents, victimes, selon elle, de  » préjugés « . Objectif atteint ? Esmeralda de Belgique se confie au Vif/L’Express.

RETROUVEZ L’INTERVIEW EN VIDÉO SUR IPAD OU SUR WWW.LEVIF.BE

La princesse met une condition à l’entretien exclusif qu’elle nous accorde : qu’on ne lui pose pas de question sur les affaires et polémiques qui ont secoué récemment la famille royale, avec laquelle elle entretient d’étroites relations (demi-soeur d’Albert II, elle est aussi sa filleule). Esmeralda de Belgique arrive de Londres, où elle réside, pour un bref séjour en Belgique. Les activités de la Fondation cardiologique princesse Lilian, qu’elle parraine, la conduisent à revenir de temps à autre au pays. Elle s’y rend aussi dans le cadre de ses projets éditoriaux et télévisuels destinés à apporter un nouvel éclairage, plus intime, sur ses parents, Léopold III et la princesse Lilian de Réthy.

Le Vif/L’Express : De nombreux ouvrages et documentaires ont été consacrés à Léopold III, chef d’Etat dans la tourmente, et à sa seconde épouse, mal aimée des Belges. N’a-t-on pas tout dit sur vos parents ?

Esmeralda de Belgique : Je ne le pense pas. Il y a encore beaucoup à découvrir, notamment dans la correspondance de mon père. Tout au long d’une vie commune de quarante-deux ans, mes parents n’ont cessé de s’écrire. Lors des séparations liées à l’exil ou aux voyages lointains de mon père, la passion épistolaire permettait d’affronter les absences. Ils s’échangeaient même des lettres quand ils étaient tous deux à la maison. D’autres écrits du roi se trouvent dans les archives du Palais.

Vous êtes l’auteure de Léopold III, mon père et, avec Patrick Weber, de Lilian, une princesse entre ombre et lumière. Vous avez aussi participé étroitement aux documentaires consacrés à vos parents. Une entreprise de réhabilitation ?

Le mot est sans doute trop fort pour mon père, qui n’a pas besoin d’une réhabilitation. J’essaie plutôt, pour les générations futures, d’éclairer, de compléter ce que l’on sait sur lui. Je veux montrer que l’homme derrière le roi avait de nombreuses facettes. S’il n’était pas né fils de roi, il aurait pu devenir ethnologue, botaniste, mathématicien, poète. Ses photos en terres inconnues révèlent sa curiosité, son amour de la nature, son perfectionnisme.

Votre démarche à l’égard de votre mère, la princesse de Réthy, est-elle du même ordre ?

Pour ma mère, le terme de  » réhabilitation  » convient mieux. Elle a été attaquée avec plus de violence que le roi. En tant que souverain et personnage de l’Histoire, mon père peut être jugé, critiqué pour son action. Lilian Baels, elle, voit son destin scellé le 11 septembre 1941, le jour où elle épouse l’homme de sa vie. Elle vient après la regrettée reine Astrid et sait qu’elle ne pourra jamais se mesurer à cette icône. Elle sera qualifiée d’intrigante, de calculatrice. Nombreux sont ceux qui ont excusé le comportement du roi pendant la guerre en accablant sa nouvelle épouse. Trop belle, trop lointaine, trop silencieuse, Lilian a été appelée  » l’ange noir « . Maladroite, elle ne parviendra jamais à modifier son image. Les jugements l’ont meurtrie et elle s’est forgé une carapace.

Cette image de Lilian, vue comme l’âme damnée du roi, est-elle en train de changer ?

Bien des bruits et légendes courent encore à son propos et restent ancrés dans l’esprit des gens. A l’issue des conférences qu’il m’arrive de donner sur le sujet, des auditeurs m’avouent leur ignorance, leurs préjugés. Beaucoup sont persuadés que ma mère a été la gouvernante des enfants royaux et qu’elle a profité de sa position pour séduire le roi, veuf depuis 1935. En réalité, Lilian Baels n’avait jamais rencontré les enfants de Léopold III et de la reine Astrid avant son mariage. Des liens étroits ont ensuite uni Baudouin, Albert et Joséphine-Charlotte à leur belle-mère.

Pendant les dix années passées à Laeken, de 1950 à 1960, année de l’arrivée de Fabiola et de l’exil de vos parents à Argenteuil, Lilian a été presque reine. Quel rôle joue-t-elle alors ?

Avec son physique de star hollywoodienne, genre Ava Gardner, elle apporte une touche de glamour à une monarchie qui en est dépourvue. Monté sur le trône après l’abdication de Léopold III, Baudouin apparaît dans l’opinion comme un roi triste. Un jeune homme qui doit supporter la présence du personnel politique qui a combattu son père et vilipendé sa belle-mère, qu’il adore. Les détracteurs de Lilian s’en prennent à son goût pour la mode, à son rôle supposé d’intrigante auprès du roi, et, bien sûr, de conseillère occulte auprès de son beau-fils Baudouin.

Cette influence dans le domaine politique n’est-elle qu’un mythe, selon vous ?

Il faut nuancer. Comme toute épouse, elle a pu influencer son mari. Mais cette influence était contrebalancée par celle des conseillers de Léopold III. Je l’ai souvent entendu dire à la maison :  » Moi, j’ai dit, mais ton père n’a pas suivi.  » Ma mère était révoltée contre l’injustice faite au roi. Elle était aussi ambitieuse. Plus pour son mari et ses enfants que pour elle-même. Parfaite maîtresse de maison, élégante et cultivée, c’était une femme dynamique, l’énergie de son couple. Car son mari, roi prisonnier, exilé, puis détrôné, a eu, lui, des moments de profond découragement. Intransigeante, Lilian avait un caractère entier, excessif. Elle s’est montrée rigide à l’égard de ses enfants devenus adolescents, à propos de leurs sorties, du choix de leurs tenues ou coiffures, de la question des chaperons. Mais elle savait aussi, après une grosse dispute avec les siens, s’excuser, envoyer un petit mot pour dire à quel point nous lui manquions.

Votre soeur, Marie-Christine, qui a rompu tout lien avec la famille royale, n’est pas de votre avis. Elle a notamment raconté qu’elle n’avait jamais reçu d’amour de son père et sa mère.

Je ne la juge pas. Elle a eu ses blessures. Je regrette seulement qu’elle ait cru bon de laver le linge sale en public. C’était peut-être pour elle une forme de thérapie. Moi, je suis restée plus longtemps à la maison et j’ai eu une relation privilégiée avec mon père. Débarrassé du protocole et des obligations après notre déménagement de Laeken à Argenteuil, il a eu enfin le temps de voir grandir l’un de ses enfants. Il m’a consacré du temps, m’a raconté ses voyages.

Le temps est-il venu de reconsidérer le rôle de Léopold III et de la princesse de Réthy dans l’Histoire ?

Les protagonistes des événements des années 1940-1950 ont presque tous disparu. Les controverses se sont apaisées. On analyse le passé avec plus de sérénité. Les ouvrages et documentaires sur Léopold et Lilian font apparaître des portraits dégagés des clichés. Mais il faut du temps. A la mort de ma mère, en 2002, beaucoup de Belges ont balancé entre indifférence et hostilité. Aujourd’hui, je suis parfois effrayée des propos postés sur le Net. Mes enfants sont tombés sur des sites où figuraient des commentaires qui ont de quoi nous choquer.

L’engagement de votre mère dans le domaine scientifique n’aurait-il pas pu redorer son image dans l’opinion ?

Sûrement, mais son soutien à la cardiologie belge n’a pas été assez médiatisé. Pudique et timide, Lilian n’est jamais parvenue à prononcer un discours en public. J’aurais voulu que le domaine d’Argenteuil, où mes parents ont vécu à partir de 1960, devienne un lieu de mémoire ouvert au public, une demeure comme il en existe beaucoup en Angleterre, où l’on aurait pu exposer les collections de mon père et organiser des colloques. Mais l’Etat belge en a décidé autrement.

ENTRETIEN : OLIVIER ROGEAU

Vous avez repéré une erreur ou disposez de plus d’infos? Signalez-le ici

Contenu partenaire